FYI.

This story is over 5 years old.

News

Le Passeur de réfugiés

On a discuté avec un adolescent danois qui fait entrer clandestinement des réfugiés en Suède.
Calle Vangstrup (à gauche) lors de son premier voyage sur l'Øresund. Photo publiée avec son aimable autorisation

Depuis que la crise des réfugiés est venue envahir la Scandinavie, des Danois ont commencé à faire rentrer clandestinement des gens cherchant l'asile en Suède, par la mer et par la terre. Récemment, la police suédoise a arrêté un chauffeur de taxi danois, accusé d'avoir fait passer des réfugiés clandestinement, après qu'un Syrien a déposé une demande d'asile de l'autre côté de la frontière. C'est la deuxième fois en deux jours seulement qu'un chauffeur de taxi est mis en examen pour avoir aidé et soutenu un demandeur d'asile. Les autorités à la frontière semblent vouloir faire preuve de fermeté face à cette situation. De plus, deux hommes ont été arrêtés en Suède après avoir traversé le Sund dans un canot pneumatique, supposément volé à Helsingør.

Publicité

On a voulu savoir pourquoi certaines personnes choisissent de privilégier leur idéologie plutôt que la loi, au risque de terminer en prison pour avoir fait passer illégalement des réfugiés. On en a discuté avec Calle Vangstrup, un jeune homme de 20 ans, qui a fait plusieurs traversées avec des réfugiés à bord de son voilier.

VICE : Comment as-tu commencé à faire passer des gens illégalement à travers la frontière ?
Calle Vangstrup : J'ai commencé en automne 2015, quand les rumeurs ont commencé à se répandre sur l'arrivée des réfugiés à Rødby. J'ai proposé de les emmener en bateau, parce que je me suis dit que les polices danoises et suédoises garderaient un œil sur eux. On a trouvé des réfugiés à la gare centrale de Copenhague, et on les a emmenés jusqu'en Suède. On a dû le faire trois ou quatre fois ensuite. Puis les Suédois ont annoncé qu'ils ne renverraient plus les gens qui avaient traversé la frontière en train, alors on s'est arrêté parce qu'on trouvait ça plus logique de les aider à passer en train. Ça n'avait plus de sens de dépenser autant d'énergie à les faire passer en bateau alors qu'on pouvait simplement les mettre dans un train.

Tu te souviens de ce que tu as ressenti, en leur faisant traverser le Sund pour la première fois ?
J'étais un peu parano. Pas vraiment à cause du voyage, à vrai dire. Ce qui nous inquiétait, c'était de savoir si la police nous attendrait en rentrant chez nous. On avait publié une photo sur Facebook pendant la traversée, où on expliquait pourquoi on sentait que ce qu'on était en train de faire avait du sens, politiquement parlant. On a eu beaucoup de likes et de partages, ce qui nous a fait flipper ; on a eu peur que ça attire l'attention des autorités. Mais, ça n'est pas arrivé, alors on a continué.

Publicité

Combien de personnes pouvais-tu prendre sur ton bateau ?
On pouvait prendre jusqu'à 15 personnes pour un seul voyage, équipage et traducteur compris.

Combien de personnes as-tu fait traverser ?
Je dirais entre 20 et 30.

Que s'est-il passé ensuite ?
Après un bout de temps, la police m'a contacté pour me dire que j'étais inculpé pour trafic d'êtres humains, d'après l'article 8 de la section 58 du traité Danois sur les Étrangers. Ils peuvent t'inculper sous deux sections. L'autre est en rapport à un délit criminel ; c'est-à-dire uniquement dans le cas où tu as accepté de l'argent pour leur faire passer la frontière. Les sanctions varient aussi ; je peux être condamné à un maximum de deux ans de prison, alors que le maximum pour la violation de l'autre section est de huit ans.

Doit-on s'attendre à voir plus de bateaux transportant des réfugiés maintenant qu'ils ne peuvent plus prendre le train ?
Oui, peut-être. Il y a beaucoup de ports des deux côtés du détroit. Le seul problème, c'est que les bateaux ont été retirés des eaux à cause de l'hiver. Si la situation reste telle quelle, on risque de voir beaucoup de bateaux faire la traversée prochainement – des gens qui aiment la voile et autres – et il sera plus facile de se fondre dans la masse. Ven est une île suédoise au milieu du détroit. Elle se situe à environ cinq milles marins du port de Rungsted. Donc, si vous emmenez les réfugiés là-bas, vous passerez peu de temps dans les eaux suédoises. Puis, les réfugiés pourront prendre le ferry pour Malmö une fois là-bas.

Publicité

Feras-tu passer plus de gens en Suède ?
Si la situation l'exige, alors je suis prêt. Ça risque d'être le cas au vu de ce qu'il se passe aujourd'hui ; dans ce scénario, je ferai traverser des gens de nouveau, même si ce n'est plus aussi facile. Le contrôle frontalier dissuade les gens d'aider les réfugiés à se rendre en Suède. Les garde-côtes suédois sont plus nombreux, mais ça reste faisable.

Qu'est-ce que ça te fait de te retrouver inculpé pour trafic d'êtres humains ?
Ça ne m'inquiète pas vraiment. Je ne risque pas la peine maximale. J'ai suivi mon cœur et mon code moral. Le système judiciaire peut me condamner si ça lui chante.

Alors ça ne te dérange pas d'avoir enfreint la loi ?
Je pense que ce n'est pas grave d'outrepasser la loi comme je l'ai fait, parce qu'il s'agit d'une loi injuste qui ne respecte pas la dignité humaine.

Qu'en pense ta famille ?
Ils sont plutôt d'accord avec moi. Simplement, ils ne comprennent pas pourquoi je souhaite parler aux médias. Le truc, c'est qu'ils ne comprennent pas qu'il s'agit d'un moyen de faire passer un message et de montrer aux gens qu'ils peuvent eux aussi faire quelque chose.

Te sens-tu obligé d'agir ? Te sens-tu responsable ?
Oui. Je pense que nous sommes tous responsables. Tout dépend du code moral de chacun. Je ne pourrais pas me contenter d'agiter un drapeau à la frontière et d'abandonner les demandeurs d'asile aux mains de la police, s'ils préfèrent faire une demande en Suède.