Le punk à roulettes peut-il bien vieillir ?

Si vous avez plus de 21 ans et que vous n’avez jamais lu L’Attrape-cœurs, laissez tomber. Déjà, comment vous avez fait pour ne pas le lire ? Non que ce soit le meilleur livre jamais écrit – loin de là – mais il fait partie de la liste de lectures obligatoires (ou du moins, vivement conseillées) de presque tous les lycéens du monde depuis à peu près 50 ans. Ce livre est quasiment préinstallé dans le processus de puberté, avec les plaques de boutons purulents et les duvets de poils pubiens. Enfin bon, ne vous embêtez plus à le lire, vous avez loupé votre chance. Il fallait le lire pendant votre adolescence : quand vous étiez une catastrophe empotée et mal habillée. Parce que, comme ce livre est un gros truc destiné à apaiser les esprits torturés des lycéens, vous, personne désormais complètement adulte, risquez de vous faire salement chier.

En ce qui concerne le punk mélodique, ou punk à roulettes, c’est pareil. Ça passe sans problème au lycée, et c’est normal, vu que tout y est rudimentaire. Musicalement parlant, si vous savez apprécier trois accords mélodiques à la suite pendant deux minutes, félicitations, vous êtes punk (à roulettes). Au niveau des paroles, tout ce que le punk à roulettes exige, ce sont des connaissances basiques en rimes et une compréhension approximative des relations amoureuses. Un petit aperçu de ce qui s’est fait de mieux dans le style ? « She's got a couple of Pony Kegs / Her arms are bigger than my legs / And when she holds me, I can’t beathe / That’s why I love her. » Ceci n’est pas seulement un extrait d’un morceau de punk à roulettes, c’est également un extrait relativement connu. Mais si le punk à roulettes est juvénile et profondément débile par nature, est-il censé grandir un jour ?

Les paroles ci-dessus proviennent d’un morceau de NOFX, sorti quelque part au milieu de leurs 30 longues années de carrière de délinquants juvéniles. À cette époque, Fat Mike et le reste du groupe, aujourd’hui la quarantaine, n’avaient pas seulement oublié de grandir, leur stupidité avait carrément doublé. Et même si leurs albums les plus récents ont traité de questions de grands garçons, genre la politique, ils y ont inséré un tas de blagues vaseuses (voir : l’album War on Errorism sorti en 2003).

Et contrairement à, disons, les Rolling Stones (si les gens de l’Académie du Rock lisent ceci, en effet, sachez que NOFX viennent d’être comparés aux Rolling Stones), qui ont conquis des fans de tous âges tout au long de leur carrière, les fans de NOFX auront toujours 16 ans. On ne croise jamais un quadra dont le groupe préféré est NOFX. C’est parce que les goûts musicaux évoluent en même temps que la personne. NOFX est le genre de groupe qui ouvre la porte vers d’autres types de musique. Après NOFX, on découvre des groupes type Bad Religion et Lagwagon. Ensuite on tombe sur le hardcore, l’indie rock, et lorsqu’on arrive à 30 balais, on se trouve devant un dilemme : va-t-on écouter de la musique ou plutôt un podcast de France Culture pour accompagner sa tisane à la camomille.

Les membres de Blink-182 ont extrêmement mal vieilli. Ça a commencé il y a quelques temps, lorsque le groupe avait décidé de « faire une pause ». Le guitariste Tom Delonge avait alors annoncé qu’il travaillait sur un nouveau projet intitulé Angels & Airwaves – selon ses dires, une combinaison entre Pink Floyd et U2. Mais lorsqu’il est devenu évident que personne ne voulait voir un débilos (qui autrefois chantait sur le fait d’enculer un chien) devenir adulte aux yeux de tous, Delonge est vite retourné se réfugier dans le cocon douillet de l’humour scato avec ses anciens potes de Blink.

À leur époque de gloire, Blink avaient presque le monopole de l’immaturité. Les albums du groupe étaient tellement pleins de stupidité que ça en débordait jusque dans leurs titres – notamment les très bons Take Off Your Pants and Jacket et Enema of the State. Le problème, c’est que depuis leurs retrouvailles en 2009, ils ont lâché leurs blagues potaches pour une musique plus sérieuse ; il suffit d’écouter leur album de 2011, Neighborhoods, malheureusement dénué de toute référence au fait de chier dans un ballon.

Ceci est triste. S’ils le voulaient, Blink-182 pourraient jouer des morceaux de pop punk mielleux jusqu’à la fin des temps. Principalement parce qu’ils sont multimillionnaires. Être si riche est l’équivalent de vivre chez ses parents toute sa vie. Du moment qu’ils continuent de mettre leurs cheveux (de plus en plus fins) en pics et de porter des bermudas, ils pourront encore chanter autant qu’ils veulent sur le fait de se branler dans une chaussette. Ils auront l’air ridicule – et encore – mais les gamins paieront pour aller les voir.

De l’autre côté du spectre punk à roulettes, il y a Ben Weasel. Bien qu’il soit toujours l’une des icônes du genre, le frontman de Screeching Weasel est loin d’être aussi stable financièrement que Blink-182. On pourrait même dire que Mark Hoppus dépense le salaire mensuel net de Weasel tous les jours, rien qu’en lunettes de soleil modèle Sarkozy. Weasel ne vieillit donc pas bien avec le punk mélodique. Dans les années 1980 et 90, Weasel était une machine punk prolifique, beuglant des chansons a-bu-sées type « I Wanna Be A Homosexual ». Mais ces jours-ci, il passe son temps à cumuler les coups de gueule de droite sur Facebook et à découvrir la chrétienté.

Il a tout de même réussi à refaire parler de lui en 2011 lorsqu’il a frappé deux femmes sur scène au South by Southwest. Cet événement a donné de quoi réfléchir à beaucoup de gens, pas seulement à Weasel – qui a choisi le mauvais moment pour s’apercevoir qu’il ne savait pas se battre – mais à toute la communauté punk à roulettes. C’est comme si toutes les lumières s’étaient allumées d’un coup ; tout le monde a dessoûlé d’un coup et s’est mis à réfléchir.

On trouve bien entendu des exceptions à la règle qui voudrait que les punks à roulettes soient incapables de vieillir décemment. Frank Portman (alias Dr. Frank) de Mr. T Experience a joui d’une longue carrière dans la pop mélodique sans jamais devenir trop embarrassant, à moins de considérer son surnom « Docteur » comme un truc embarrassant. Portman a réussi à mener à bien sa carrière de musicien trente années durant. Il se sert aujourd’hui de sa compréhension de l’état d’esprit des jeunes adultes pour écrire des romans pour jeunes adultes, comme son best-seller King Dork.

Mais faire carrière dans le punk à roulettes n’est pas chose aisée. Chaque année que passe un groupe de punk à roulettes sans se séparer est une année de musique catastrophique de plus. Puis, un jour, ils sont sur scène et tout le monde se rend compte qu’ils ressemblent moins à des rock stars qu’à des oncles alcooliques. C’est toujours bizarre quand un morceau survit au groupe qui l’a écrit. C’est bizarre. Peut-être que le punk à roulettes n’aurait jamais dû vieillir tout court.

J.D. Salinger avait 91 ans quand il est mort, presque 60 ans après avoir écrit L’Attrape-cœurs. Des rumeurs disent qu’il détestait le livre après toutes ces années. Avec le recul, ses réflexions sur l’adolescence et ses tourments avaient fini par le gêner. Malheureusement, Salinger ayant été tout au long de sa vie un mec bizarre et solitaire, on n’en sera jamais certains. Mais pour en revenir à ce que je disais au début ; sérieux, ne vous embêtez pas à le lire.

Dan Ozzi tient un site plutôt génial nommé Jaded Punk. Il est aussi sur Twitter : @danozzi

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