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LE NUMÉRO DU JOUR MALADE

Le rap français est enfin totalement décomplexé

Après des années à vouloir rester « real », les rappeurs français n'en ont désormais plus rien à foutre – pourquoi ?

Illustration : Pierre Thyss

Cet article est extrait du numéro du « Jour malade »

Bonne nouvelle : plus le temps passe et moins les rappeurs français ont l'air concernés par toutes ces préoccupations extra-musicales vaines et inutiles qui leur ont pourri la vie (et celles de leurs auditeurs) depuis que le rap français existe. Ce qui fait tout de même presque 30 ans.

Déjà, il semble que l'on en ait enfin fini avec l'éternel débat autour du « vrai rap contre le rap commercial ». D'une part, parce que certains albums considérés à l'époque de leur sortie comme des preuves de corruption de l'artiste vieillissent bien mieux que d'autres et sont aujourd'hui vus comme des classiques. Au hasard, Première Consultation de Doc Gynéco, sorti en 1996. Cet album fantastique et d'abord méprisé, fut réhabilité au fil des années, tout simplement parce qu'il reste agréable à écouter ; et en tant qu'auditeur, c'est un critère qui peut faire la différence. Aussi, il faut prendre en compte le fait que le public est moins binaire qu'avant et surtout, plus pragmatique : on n'associe plus forcément un succès populaire à un baissage de froc dans les règles. Chacun est enfin jugé au cas par cas. Et puis surtout, l'évolution du mode de consommation de la musique a donné la parole à une génération plus conciliante que la précédente (la mienne), laquelle fait son marché parmi les sorties, piochant dans les albums morceau par morceau. L'auditeur ne retient, de fait, que les titres qu'il juge réussis.

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De la même façon, les artistes eux-mêmes sont beaucoup plus détendus dans leur approche qu'auparavant. Il suffit, pour s'en convaincre, d'écouter leur musique : ils tentent plein de trucs. Certes il faut toujours respecter certains codes, ceux du rap américain des dix dernières années, en gros. Mais concrètement, les rappeurs s'interdisent de moins en moins de choses, à tous les niveaux. Si l'on sentait jusque dans les années 2000 une certaine volonté de ne pas paraître ridicule (aux yeux du public, mais aussi vis-à-vis des médias et de tout observateur extérieur), c'est bel et bien fini. Bien sûr, cela débouche parfois sur des rimes d'une stupidité abyssale, mais pas seulement. On a aussi droit à des références inattendues, en matière de films, de livres, de bande dessinée ou de dessins animés, au détour d'un texte qui n'avait a priori rien à voir. Aujourd'hui, c'est ce genre d'associations d'idées saugrenues qui rend l'artiste plus intéressant qu'un type qui donne l'impression de n'avoir vu dans sa vie qu'une partie de la filmographie de Martin Scorsese ou Brian De Palma.

L'évolution de rappeurs tels que Alkpote ou Seth Gueko au fil de leur carrière est en ce sens assez symptomatique de ce phénomène. Si l'un comme l'autre ont débuté dans des sphères très traditionnelles – le groupe Unité 2 Feu pour Al-K et une sorte de sous Time Bomb dans le cas de Gueko –, chaque projet des deux artistes depuis bientôt dix ans appuie à chaque fois leur je-m'en-foutisme progressif vis-à-vis des normes en vigueur dans le rap. Tous deux épousent de plus en plus un style de texte qui correspond à des personnages cartoonesques, et le revendiquent haut et fort. Un projet comme L'Orgasmixtape 2 aurait été impossible pour le Alkpote de 2006, aussi bien au niveau du choix des productions que des textes, lesquels partent clairement dans tous les sens. Le côté humour est ici plus qu'assumé, il est voulu. Cette vieille peur typique du rap français – celle de passer pour un rigolo, voire un phénomène de foire – semble s'être volatilisée.

Même au niveau des postures, les artistes se lâchent. N'importe qui lirait les textes d'Hamza sans connaître physiquement le personnage pourrait s'imaginer une sorte de gangsta-rappeur noir mesurant 2 mètres. Mais non, c'est juste un lutin belge qui clame haut et fort assumer être dans un rôle.

À l'inverse, toute une nouvelle génération ne se soucie guère de leur image de rappeurs. Ils sont capables de dire à longueur de morceaux (PNL) ou d'interviews (Jul) qu'ils ne sont de toute façon « pas là pour rester », voire même qu'ils se considèrent comme moins forts que nombre de leurs -collègues. Humilité ou nihilisme pur et simple, le résultat est le même : ça fait un certain nombre de balais dans le cul en moins chez une tripotée d'artistes. Et surtout, chez les plus révérés.

En d'autres termes, les rappeurs français et avec eux une partie de plus en plus importante du public semblent plus préoccupés par la recherche de bon rap plutôt que de, hum, « vrai rap ». L'idée même de vrai rap sonne aujourd'hui déplacée, ridicule. Et évidemment, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle.