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Drogue

Weed, MDMA, weed : le rôle de la France dans le marché de la drogue

Consommation de cannabis en hausse, retour de la MDMA – ce qu'il faut retenir du rapport de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

Un policier suite à une saisie. Photo via Flickr

À peine Jean-Marie Le Guen a-t-il suggéré l'ouverture du débat sur la dépénalisation du cannabis en France que beaucoup ont réagi avec ardeur, et plutôt négativement. Certes, le feu n'a pas pris, mais au vu des bénéfices que pourraient en tirer l'État et la société, l'idée mérite au moins qu'on s'y attarde plus que quelques secondes. « Un jour, peut-être », se diront les plus passionnés des 4,6 millions de consommateurs occasionnels. La lutte continue.

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Cependant, avant de militer un joint à la main depuis les tréfonds de votre canapé dépliable devant Breaking Bad, sachez que les enjeux soulevés par le débat ne se limitent pas à un caprice politicien qui consisterait à vouloir vous priver de votre petit moment de plaisir cannabinoïde. L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) et Europol ont cosigné au début du mois d'avril un rapport sur le marché de la drogue, pour vous le rappeler.

Ce rapport explore notamment les nouvelles tendances en matière de consommation et de vente, les flux internationaux ou encore les liens entre drogue et criminalité.Il rend par la même occasion compte de l'influence des drogues illicites sur divers aspects de la société tout en effectuant un état des lieux du trafic en Europe. Voici, dans les grandes lignes, ce qu'on a retenu de ce rapport.

Capture d'écran du graphique représentant les principaux flux de cocaïne par voies aériennes, maritimes et terrestres à travers le monde. Source : EMCDDA

Une vue globale du marché

D'après les estimations de l'EMCDDA, les drogues qui circulent le plus en Europe sont le cannabis, l'héroïne et la cocaïne. À elles seules, elles représentent près de 90 % du chiffre d'affaires d'un marché dont la valeur totale est estimée à plus de 24 milliards d'euros. Le cannabis est majoritairement cultivé localement, tandis que l'héroïne et la cocaïne sont importées en grande quantité depuis l'Amérique latine, l'Afrique du Nord et l'Afghanistan. L'importation et la revente s'opèrent très souvent sous la houlette de divers groupes criminels organisés (GCO) qui collaborent les uns avec les autres, à l'image des gangs colombiens et des mafieux italiens qui travaillent main dans la main pour importer la majorité de cocaïne en Europe.

Tout comme la plus grande partie du cannabis consommé sur le territoire européen, les drogues de synthèse telles que la MDMA et les amphétamines sont essentiellement produites ici même, dans les laboratoires des Pays-Bas, de Belgique et de République tchèque. Elles desservent un marché local estimé valoir 2,5 milliards d'euros. Même si cette valeur reste minime, ces drogues deviennent de plus en plus populaires sur le continent.

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Pendant que les clients consomment joyeusement de la MDMA plus fortement dosée que jamais, les organismes de lutte contre la drogue se désolent de la prolifération de labos clandestins et d'une hausse de la consommation d'amphétamines et d'autres tendances.

Capture d'écran du graphique représentant la pureté des drogues saisies depuis 2002. Source : EMCDDA

Les tendances en France

Si la France ne fait pas figure d'acteur majeur dans ce marché lucratif, la consommation de drogue y est très élevée. Les Français ont même décroché le titre de champions d'Europe de la fumette. C'est encore plus vrai chez les moins de 25 ans, pour qui le cannabis reste la substance la plus appréciée, devant la MDMA – qui fait son grand retour dans le milieu festif – et la cocaïne. À noter aussi que la pureté de ces drogues ne fait qu'augmenter depuis 2013.

Pendant que les technologies de communication se développent, l'offre se modernise. Par exemple, les Stups notent que les dealers parisiens opèrent de plus en plus via des call-centers où les appels/SMS sont centralisés afin d'envoyer des vendeurs vers des points de rendez-vous « dans des lieux qui varient constamment ». Ce n'est pas tout. Des drogues presque pures sont désormais mises en vente sur le web – et sont encore plus nombreuses sur le deep web.

Trafic de drogues et activités criminelles

À en juger par l'insistance du rapport à employer le terme « terrorisme » – qui apparaît 24 fois, sans être accompagné d'illustration concrète – et celle du commissaire européen aux affaires intérieures, le trafic de drogues y serait lié. Mis à part l'existence de rumeurs sur la possibilité que Mohamed Merah ait financé lui-même son djihad avec de l'argent obtenu grâce au trafic de drogues, aucun lien direct n'a pu être établi, comme le souligne Alexis Goosdeel, directeur de l'EMCDDA. En revanche, il est vrai que nombre de jeunes qui sombrent dans le terrorisme islamiste ont déjà été condamnés pour trafic de drogues.

Contrairement au Sahel, à l'Amérique du Sud et à l'Afghanistan, où l'argent de la drogue sert ouvertement à financer le terrorisme, aucune donnée n'a pu prouver qu'il en allait de même pour l'Europe.

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Ceci dit, le trafic de drogues est très souvent associé à d'autres activités criminelles, comme la traite et l'exploitation d'êtres humains – esclavage et prostitution entre autres. En Europe, et en particulier au Royaume-Uni, de nombreux immigrés clandestins – majoritairement vietnamiens – sont victimes d'esclavage. Il s'agit en général de personnes vulnérables, amenées illégalement en Occident par des réseaux de trafiquants, puis enfermées dans des maisons qui servent à la culture de plants de cannabis où elles officient en tant que « jardiniers ». En France, il semblerait que la prostitution ait des ramifications importantes avec les GCO des Balkans.

Les routes de la drogue

Bien que la plus grande partie de l'herbe que l'on trouve en France soit cultivée au sein même de l'UE, de plus en plus de cannabis en provenance du Maroc et d'Afghanistan arrive sur le continent. Des GCO marocains gèrent le trafic, depuis la culture dans les montagnes du Rif jusqu'à l'acheminement de la résine en Europe, via des zones de transit importantes, à l'image de Marseille. Si le rapport mentionne à tort et à travers des liens fallacieux entre trafic et terrorisme, il oublie de préciser que la culture du cannabis au Maroc compte pour 3 % du PNB du secteur agricole et constitue une source de revenus pour plus de 800 000 Marocains, déstabilisés par la crise.

Les routes de la drogue sont nombreuses et changent constamment – par exemple, l'Afrique est de plus en plus utilisé comme point de transit pour importer la cocaïne en Europe. Cependant, il est fort à parier qu'avant de se frayer un chemin de part et d'autre de votre cloison nasale, la cocaïne que vous venez d'acheter a été fabriquée dans les labos de la jungle péruvienne, avant d'être vendue aux Italiens qui l'ont importée en Europe puis vendue à des Hollandais, qui l'ont eux-mêmes vendue à d'autres trafiquants [ainsi de suite jusqu'au mec qui vous l'a vendue].

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Blanchiment d'argent et mules

Parmi les pratiques institutionnalisées par le trafic de drogues, on retrouve le blanchiment d'argent. L'exemple du fonctionnement d'un réseau lié à la vente de cannabis démantelé en mars 2014l 'illustre bien. L'argent de la vente, récolté en France, était ensuite envoyé en Belgique où il était utilisé pour acheter de l'or. Des étudiants belges faisant office de mules transportaient l'or jusqu'à Dubaï où il était transformé en bijoux, revendus plus tard en Inde. Les sommes étaient ensuite partagées selon un système de fraude fiscale élaboré entre divers organisateurs de ce trafic, dont la tête pensante était un citoyen indien résidant en Seine-Saint-Denis.

L'utilisation de mules est une constante du marché de la drogue, au même titre que le blanchiment. Qu'il s'agisse de personnes étant forcées ou agissant volontairement, depuis très récemment, les douanes françaises mettent de plus en plus souvent la main sur des mules, souvent originaires de territoires d'outre-mer.

Les réseaux de production de cannabis en France

Une saisie particulière ayant eu lieu dans une zone rurale française a permis de mettre à jour le rôle important que joue notre pays dans le trafic d'herbe en termes de production. En janvier 2015, un ressortissant hollandais âgé de 52 ans a été arrêté dans une ferme à Gouise, en Auvergne, où il cultivait 596 plants de cannabis. L'herbe était ensuite transportée aux Pays-Bas, puis vendue en Angleterre.

Lors de l'interrogatoire mené par la police, l'homme a indiqué qu'il n'était pas un cas isolé et qu'il existait de nombreuses microcellules comme la sienne implantées en France. Chacune agirait d'après les directives de commanditaires installés en Hollande, même si les dirigeants du réseau seraient – comme c'est très souvent le cas – en Europe de l'Est.

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En plus de fournir un exemple du degré de sophistication de la structure des GCO et de leur collaboration, cette saisie montre à quel point les organisations profitent de la libre circulation au sein de l'UE pour s'implanter dans des zones isolées et internationaliser leur trafic.

Données sur les saisies d'amphétamine et de cannabis. Source : EMCDDA

Mise en place de mesures

Afin de contrer ces flux, l'UE a mis en place certaines mesures et créé des plans d'action, comme la stratégie antidrogue 2013-2020. Signée par les pays membres de l'union en décembre 2012, son but est d'agir selon quatre grands axes : la réduction de la demande, la réduction de l'offre, une meilleure coopération entre les pays et le développement de la recherche. Au vu des dernières tendances relatives aux saisies, cette stratégie semble payante.

Néanmoins, le rapport montre que la lutte est loin d'être terminée et que de nouvelles substances continueront d'apparaître ; que de nouveaux points de transit et d'autres routes seront utilisés ; et que la complexité organisationnelle et technique des GCO ne fera qu'augmenter. Bref, de quoi donner un sacré coup de frein à la lutte contre la drogue. Et si, comme l'évoquait Le Guen au début de la semaine, un début de solution commençait par réfléchir quant à la dépénalisation du cannabis au lieu de continuer à faire l'autruche ?

Le rapport de l'EMCDDA est disponible en anglais à cette adresse.

Robin est sur Twitter et sur son site.