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Les cadavres exquis de Paul Koudounaris

Vos morts ne se sont jamais aussi bien portés.

Saint Valère, toujours aussi fringant après toutes ces années.

Les funérailles contemporaines sont nulles. Ils vous mettent un costume (ou une robe), vous foutent dans une boîte, avec votre nom au-dessus, et direction l’éternité. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Les photos de squelettes couverts de bijoux du Dr Paul Koudounaris, chercheur en histoire de l’art, le prouvent. Vous vous souvenez sans doute de ses photos dans « L'Empire de la mort : l'histoire culturelle des ossuaires et des catacombes ». Désormais, Koudounaris publie un carnet de suivi intitulé « Corps célestes : trésors de culte et saints spectaculaires », qui parle également de jolis cadavres, sauf qu’eux portent des bijoux.

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Koudounaris a commencé à faire des reportages sur les squelettes il y a un peu moins de cinq ans, quand il photographiait des ossuaires en Allemagne de l’Est, aussi appelés trous à cadavres. « Ces squelettes sont devenus ma vie, explique-t-il. Je me sentais comme sous l’emprise d’une divinité qui voulait absolument que je raconte cette histoire. »

Bien qu’il y ait eu des articles sur les squelettes dans diverses revues scientifiques (principalement en Allemagne), et aussi quelques thèses de fac sur le sujet, personne ne les avaient encore envisagées comme de véritables œuvres d’art. « Ils en parlaient comme des objets historiques ou des objets de culte, mais je pense qu’ils oubliaient un truc, selon Koudounaris. Ces squelettes montrent un travail artistique de grande qualité, et c’est dans ce contexte que je voulais en parler. »

« C’est malsain, mais je dirais qu’ils se personnifient au fur et à mesure. Ils redeviennent humains à nouveau », admet Koudounaris. Tout en prenant des photos, il s’est retrouvé à parler à ses sujets, à encourager les squelettes de la même façon qu’on photographe encourage ses modèles. Il a cherché à saisir ce que les squelettes lui inspiraient – fierté, dignité, ou une certaine forme d’abandon – de sorte que les photos respectent, selon lui, la psychologie de chaque squelette.

Sainte Luciana

Koudounaris est tombé sur quelque 200 squelettes dans sa vie, la plupart d’entre eux ayant été retrouvés en Suisse, en Autriche, et en Allemagne, où les morts minutieusement décorés sont devenus chose courante sous la Réforme du XVIe siècle. Lorsqu’on lui a demandé la valeur d’un vieux squelette pailleté, il nous a répondu qu’il était inestimable. Leur prix n’indique pas seulement la valeur totale des bijoux, mais de l’ensemble. « L’objectif ici, c’était la présentation, explique Koudounaris, Ce n’est pas simplement conserver l’or ou l’argent d’autrefois. »

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Dans son nouveau livre, Koudounaris enquête sur l’expérience sociale de la vie et de la mort, et les interactions entre ces deux états. Il cherche à trouver des lieux où ce dialogue avec la mort existe encore. Par le passé, les morts aidaient les vivants parce qu’ils les informaient sur leur futur plus ou moins proche, et Koudounaris est convaincu que nous devrions nous y intéresser à nouveau. « Le sujet principal, c’est, en fin de compte – et ce, peu importe vos croyances – que les morts vivent à travers nous. Il y a cette idée, cette psychologie que nous nous devons de préserver. »

Koudounaris nous a présenté une série d’images de son livre et de son expo qui se tient pendant un mois à la galerie La Luz de Jesus de Los Angeles ; on lui a demandé de nous les commenter.

« Saint Felix avait convoqué le vent afin de chasser un incendie hors de la ville ; c’est pourquoi son sanctuaire à l’Église Saint-Jean Baptiste du Friedenweiler, est devenu un lieu de pèlerinage populaire en l’Allemagne. Cette association étrange du vent avec le saint aurait prétendumment donné à Saint Felix le pouvoir de conjurer les pets. »

« À l’Église monastique d’Irsee, en Allemagne, Saint Candide a cru en son temps être capable d’éliminer les odeurs d’objets nauséabonds. Il est impossible de comprendre la genèse du mythe, mais dans la même Église, des textes évoquent une relique qui, paraît-il, sentait la merde. L’odeur ayant disparu en même temps que l’arrivée du saint mort, on lui a depuis accordé le pouvoir d’enlever les mauvaises odeurs. »

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« Les restes de Saint Pancrace Premier sont arrivés en Suisse, à l’Église de Saint Nicolas de la ville de Wil, en 1672, lors d’une longue cérémonie ayant réuni quelque 5 000 personnes – tous les villages alentour s’y étaient pressés. C’est là qu’une femme a hurlé à la mort afin de recevoir l’aide des saints, et pour cause : son mariage était alors en difficulté à cause de gros problèmes de vessie dus à son récent accouchement. Elle a promis de réciter tous les jours ses Ave Maria si Saint Pancratius lui venait en aide. Peu de temps après, elle était guérie. La rumeur s’est répandue jusqu’à très loin, et les gens ont afflué à Saint Pancrace jusqu’au début du XXe siècle car ils pensaient que celui-ci continuait de soigner l’incontinence urinaire depuis le Paradis. »

« Conrad II à la basilique Saint Michel à Mondsee, en Autriche. Conrad est un prêtre assassiné en 1145. Ce n’est pas un saint à proprement parler, mais, juste parce qu’il est mort en martyr, l’histoire l’a élevé au rang de presque-saint. Selon la légende, si vous avez peur d’être assassiné et que vous priez pour lui, il vous protègera. »

« Saint Léonce était un noble romain qui a fini cuit au barbecue puis décapité sous le règne de Dioclétien. Enterré à l’Église monastique de Mur, en Suisse, ses restes seraient capables de ressusciter les enfants morts – mais seulement pour quelques minutes. Au Moyen âge, c’était suffisant pour que les bébés soient baptisés, avant qu’ils se rendorment pour toujours, au Paradis. »

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« Voici Saint Albert à l’Église Saint George de Burgrain, en Allemagne. Il était connu pour avoir la faculté de stériliser les animaux. Je ne connais pas l’origine exacte de cette croyance mais apparemment, si vous tenez un animal par les pattes arrière et que vous écartez ses jambes en récitant une prière pour Albertus, alors l’animal devient stérile sur-le-champ. »

« Après être arrivé à l’Église paroissiale de Bürglen en 1682, le squelette de Saint Maxime s’est mis à sécréter un liquide bizarre, jaune et parfumé. Au même moment, les villageois ont aperçu un énorme chat blanc qui s’amusait à se cacher derrière l’autel, où étaient cachés les ossements des saints. Il visitait également les maisons des pauvres ; à chaque fois que le chat se pointait chez eux, les gens croyaient en une rentrée d’argent inattendue, qui n’arrivait pas toujours. »

Sainte Faustine a également échappé à la postérité. Koudounaris l'a retrouvée à Porrentruy, en Suisse, dans un dépôt, sous une pile de mobilier d'église cassé.

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