Les célébrités et les marques ont définitivement pris le monopole du « cool »

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Culture

Les célébrités et les marques ont définitivement pris le monopole du « cool »

Comment le concept même de cool a été étudié, analysé et standardisé jusqu'à en devenir l'inverse de ce qu'il définissait.

Illustration : Dan Evans

Le « cool » a toujours été un concept difficile à atteindre. Pour certains, c'est accidentel ou inné ; on veut tous l'être et on peut même être traité d'imposteur, d'escroc ou de loser à force de trop essayer. L'idée même de cool est définie par ce qu'elle contient d'arbitraire ; par le fait qu'une chose change et devienne subitement cool. C'est pour cette raison que Steve Rubell ne laissait jamais rentrer ceux qui avaient l'air de trop le vouloir au Studio 54 – c'est aussi pour cette raison que ma mère n'a jamais aimé les Clash. Être cool, c'est être une sorte de branleur qui se définit à travers un ensemble grandissant de codes et de styles singuliers qui cherchent, métaphoriquement et littéralement, à échapper à toute norme. C'est la pierre angulaire de la culture jeune.

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Mais avec le temps, ce concept a fini par être compris par des gens sans personnalité. Le capitalisme sait depuis longtemps que le cool se vend bien, même s'il a longtemps tâtonné, en essayant désespérément de plaire aux jeunes à l'aide de campagnes publicitaires comme « Generationext » de Pepsi en 1997, où un tas de gamins « branchés » se trémoussaient sur ce qui ressemblait à un morceau de Sneaker Pimps au beau milieu de canettes de soda. Vous ne vous en souvenez pas ? Probablement parce que cette pub était faite pour sombrer dans l'oubli. Naturellement, elle a échoué dans sa tentative d'associer Pepsi aux gamins fans de Douglas Copland.

L'histoire est remplie d'exemples de tentatives maladroites d'appropriation de la culture jeune. Prenez l'exemple de Billy Joel essayant de faire du groove, Madonna en train de rapper ou Robbie Williams en train de faire du grime. Ces derniers temps, il semblerait que les hautes sphères aient fini par comprendre ce que les jeunes veulent – sauf qu'elles ne le font pas en les suivant, mais en cherchent à les mener.

Des marques qui auraient été ridiculisées par le passé pour avoir tenté de plaire aux jeunes leur dictent maintenant ce qu'il faut aimer : elles organisent des événements, créent des sites web et des clips dans lesquels elles insèrent des logos et des slogans ciblés au millimètre près. Les célébrités qu'on aurait traitées comme des imposteurs ou des moutons sont considérées comme des pionniers. Plus personne ne reconnaît l'importance des vrais innovateurs de l'ombre, hormis quelques magazines de mode qui leur consacrent un article de temps à autre, ou des responsables marketing de compagnies de boissons gazeuses.

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La racine de ce problème est profondément ancrée dans l'économie – l'argent a complètement disparu de l'underground. L'argent de l'underground – lequel venait des gens qui achetaient leur musique, magazines et fringues chez des fournisseurs indépendants – a quasiment disparu de l'équation à cause de la nature néolibérale d'Internet. L'underground a dû s'inspirer des gens qui rapportaient de l'argent, ceux qui vendaient des choses qui n'étaient pas jetables, ou dont le travail serait toujours acheté par quelqu'un d'autre. Ainsi, cette culture menée par Internet s'est mise à dépendre entièrement des marques, des maisons de disques et des riches. Ces quelques super-riches étaient visiblement heureux de se retrouver à la tête de l'underground, arborant des vêtements de jeunes designers dans des soirées déguisées, dépensant leur argent dans des publicités pour des magazines branchés, investissant dans des artistes prometteurs – et ainsi de suite. En retour, ils ne voulaient qu'une seule chose : être cool. Ils voulaient leur part du gâteau.

Ce qu'il nous reste, c'est un pacte avec le diable dans lequel l'idée même de cool a été étudiée, analysée, quantifiée et standardisée jusqu'à devenir l'inverse de ce qu'elle définissait. Dès lors que quelque chose d'intéressant ou d'excitant est pris d'assaut par une marque, le cool en est compromis au point de perdre toute crédibilité. La croyance que nous avons en nos créations et nos créateurs a été bafouée ; tout est à vendre à celui qui alignera le plus. Presque n'importe qui, ou n'importe quelle marque, peut sortir du gouffre à l'aide de l'étendard du cool.

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Lewis Hamilton au Grand Prix US en 2012. Photo via Wikipedia

Un exemple de la facilité à se réinventer lorsque l'on sait bien s'entourer se manifeste sous la forme de Lewis Hamilton. Hamilton n'a jamais été un mec particulièrement cool : un adolescent de Stevenage prodige du kart devenu champion de Formule 1, il ne fait aucun doute que ce type possède un talent fou en plus d'être assez réglo. En revanche, ce n'est certainement pas un innovateur, un avant-gardiste, un pionnier ou une référence du style.

Sur les circuits, il est excellent, régulier et digne de confiance. En dehors, jusqu'à très récemment, son activité se limitait à se tenir devant des panneaux Santander et à une relation amoureuse avec Nicole Scherzinger. En 2008, il a affirmé que Natasha Bedingfield et Chaka Demus & Pliers étaient deux de ses artistes préférés. Comme la plupart des athlètes au top en Grande-Bretagne, c'est un jeune homme poli et travailleur. Il présente à peu près toutes les caractéristiques pour jouer dans un pub pour des corn-flakes.

Mais au cours de l'année dernière, Hamilton a subitement changé. Blasé par les panneaux Santander et les discussions avec les journalistes sportifs sur les plateaux télés, il s'est mis à traîner avec Gigi Hadid. Il porte du Givenchy, il « fait trop la fête » et prétend collaborer avec Drake. Il est tatoué, porte des lunettes de soleil même quand il fait nuit, des costumes Mark Ronson et une coupe de cheveux de footballeur. Il est passé d'une image de Prince William à Prince Harry, puis à Prince tout court – tout ça en un temps record. Et c'est très bien joué de sa part.

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Beaucoup de gens continueront de l'aider pour peaufiner son changement de personnalité : stylistes, coaches personnels, attachés de presse, agents et promoteurs de soirées. C'est là que ça devient un problème. Parce que ça signifie que la recette pour être cool, c'est simplement de dépenser son argent dans des trucs, être vu avec des gens, fréquenter certains endroits. Le cycle du cool est ainsi fait, mais aujourd'hui, il est devenu beaucoup plus facile d'y aboutir. Il existe des industries dont l'unique but est de vous rendre plus cool, tant que vous avez suffisamment d'argent. Désormais, modes de vie et idées peuvent être achetés aussi facilement que des costumes de superhéros.

Ce problème est répandu dans toutes les couches de la culture moderne, de Findus à La Halle aux Chaussures en passant par Kim Kardashian, dont le passé de fille ringarde courant à tout prix derrière la célébrité a été quasiment oublié depuis sa reconversion en icône de la mode. C'est aussi le cas des Miley Cyrus, Katy Perry, Zayn Malik ou Justin Bieber – voir aussi : tout acteur, pop star ou politicien ayant employé des gens dans le but de changer la perception que le public avait d'eux.

Mais qu'en est-il des gens qui essayent de créer une nouvelle culture ? Ceux qui portent les vêtements cool quelques années avant tout le monde et font face aux regards moqueurs dans les supermarchés, se font tabasser dans les arrêts de bus et entendent trop souvent des « pas ce soir » de la part des videurs de boîtes de nuit ? Qu'en est-il des musiciens qui passent à côté de grosses sommes d'argent pour que des jeunes pastiches Disney s'approprient leurs idées quelques années après ? Qu'en est-il des designers qui inventent des looks qui sont ensuite repris par les grands noms de la mode, alors qu'ils galèrent à payer leurs loyers ? La culture est désormais contrôlée par une élite, dont l'influence et la richesse leur permettent de prendre impunément des éléments de l'underground sans avoir à donner grand-chose – voire rien du tout – en retour.

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Les marques de sport ont beau imiter le look, l'argot et les influences des gamins du nord de Londres, elles ne s'intéressent en aucun cas à leur vie ; elles se contentent de revendre leur esthétique sur un marché qui rapporte. Kim Kardashian a-t-elle un intérêt pour la culture des minorités de New York, Paris ou Londres – villes desquelles sont originaires de nombreux designers dont elle porte les vêtements ? Non. Elle se contente de traîner au Dorchester avec Anna Wintour. Certes, elle donne un peu d'argent à droite à gauche, mais cela ne comble en rien le manque d'investissements dans des sphères qui leur rapportent énormément. À cause d'eux, les cercles de jeunes créatifs de gauche sont devenus des serviteurs du capitalisme.

Le problème, c'est que pendant que la culture monte, l'argent reste là où il a toujours été. Dans une économie où peu de gens troquent argent contre culture, les célébrités et marques ont un contrôle total. Ils peuvent se tourner vers ceux qui créent des choses nouvelles et excitantes et leur en racheter un morceau. Mais cet argent ne va nulle part et d'ici peu, ils seront déjà à l'affût de la prochaine nouvelle tendance, laissant tout le monde se piétiner dans la course à « qui sera le plus cool » – tandis qu'ils resteront au sommet en s'appropriant les mérites des vrais innovateurs.

En ce moment, la marchandisation du mode de vie hipster est encore à ses balbutiements et la répartition du pouvoir n'est toujours pas clairement établie. Que se passera-t-il quand les marques auront le contrôle total ? La vérité, c'est que nous ne sommes pas loin d'un monde dans lequel les marques disent aux artistes quoi faire, comment protéger leurs intérêts, comment améliorer leur image, et ce qu'ils n'ont pas le droit de faire. On entre dans une période de censure entrepreneuriale – un cauchemar encore jamais vu, dont les répercussions se feront ressentir durant les vingt prochaines années.

La solution est simple, mais peu commode : il est temps de se remettre à payer. On risque de devoir dépenser dans les choses qu'on trouve excitantes avant qu'elles ne deviennent « cool ». On doit supporter l'underground depuis l'underground, plutôt qu'attendre qu'il apparaisse sur les épaules d'une célébrité, sur son prochain album, dans une publicité pour une nouvelle paire de chaussures de foot, au risque de voir des innovations être avortées avant même d'avoir eu l'occasion de devenir cool.

Clive et Dan sont sur Twitter.