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reportage

Les derniers Vikings habitent l'Islande

Les hommes les plus forts du monde soulèvent de la fonte dans le Grand Nord.

L'Islande est un pays qui ne ressemble à aucun autre. Perdue au milieu des océans, cette terre de glace est un des rares lieux où la nature semble libre de reprendre ses droits. Le paysage et le climat islandais rendent une grosse partie du pays presque inhabitable – aujourd'hui, sa population est estimée à environ 320 000 personnes.

Malgré tous ces facteurs, l'Islande bénéficie d'une reconnaissance planétaire. En plus de célébrités locales comme Björk et Sigur Rós, le pays est également réputé pour les nombreux colosses qu'il abrite – lesquels participent annuellement à la compétition World's Strongest Man (L'homme le plus fort du monde). Deux d'entre eux ont remporté le titre à quatre reprises : Jón Páll Sigmarsson et Magnús Ver Magnússon.

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On s'est récemment rendu en Islande pour réaliser le documentaire VICE Le Nid des Géants, qui traite de ces surhommes et du monde sauvage dans lequel ils vivent. Pendant ce séjour, nous nous sommes vite rendu compte que cette force herculéenne remontait à des générations.

L'épicentre de cette scène est une salle de sport baptisée Jakaból – qu'on peut littéralement traduire « Nid des géants ». Dans ce gymnase hors du commun, des hommes s'entraînent à soulever des voitures. Aucune trace de sauna, de cours de Pilates ou de cafétéria à Jakaból. Si on peut y retrouver quelques tapis de course et autres appareils de musculation, le principal objectif de ses membres est d'atteindre une force colossale, aussi pure que naturelle.

L'endroit a été repensé par Ver Magnusson pour être « le plus hardcore possible ». La salle principale est parsemée d'objets – pesant souvent deux fois plus lourd qu'un homme moyen – qui paraissent plus adaptés pour maintenir un bateau en place que pour être soulevés d'une seule main.

Dans la salle, des hommes gigantesques s'entraînaient sur fond de death metal – ce genre musical que certains accusent d'inciter les âmes tourmentées à brûler des Églises. Le froid ambiant a vite laissé place à la transpiration.

Jakaból est un lieu conçu pour ne rassembler que des personnes foncièrement déterminées. Une pancarte affichée au mur précisait « Ici, aucune fiotte n'est admise ». À en juger par les personnes qui se trouvaient autour de moi, cette règle était scrupuleusement respectée.

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Actuellement, la salle est dirigée par Ver Magnússon, qui a pris le relais de Jón Páll Sigmarsson. Magnus lui a succédé lorsqu'il est décédé d'une rupture de l'aorte, à l'âge de 32 ans. Depuis, Jakaból s'est élevé au rang de mythe – ce qui n'était pas gagné pour cette petite salle située sur un parking de supermarché, quelque part dans la banlieue de Reykjavik.

La réputation de Magnus n'est plus à faire. Selon une de nos sources, il aurait gâché le whisky hors de prix de son ennemi en y versant de l'eau. Quelqu'un d'autre nous a dit que c'était un « enfoiré complet ». Pourtant, quand nous l'avons rencontré, nous avons découvert une âme douce et romantique dont l'unique sacerdoce était de pousser ses compatriotes à livrer le meilleur d'eux-mêmes.

La grande star de Jakaból s'appelle Hafthor "Thor" Bjornsson – l'homme le plus fort d'Islande et le troisième homme le plus fort du monde. Ce dieu nordique fait 2 mètres 5 et pèse environ 189 kilos. Talentueux basketteur dans sa jeunesse, Hafthor s'est mis à la musculation lorsqu'une blessure au genou l'a contraint à abandonner son rêve de rejoindre la NBA.

L'année dernière, Hafthor a été invité à faire une apparition dans Game of Thrones – bien entendu, il incarnera un géant. En plus d'être une star incontestable dans son pays natal, Hafthor a voyagé un peu partout à travers le monde pour exhiber son corps grotesquement musclé lors de compétitions diverses. Il m'a confié qu'il espérait décrocher plus de rôles à l'avenir.

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En période de compétition, Thor consomme entre 8 000 et 10 000 calories par jour. Je lui ai demandé si c'était difficile – sachant que je suis complètement incapable de visualiser ce que peuvent constituer 10 000 calories. « C'est difficile, parce que ça affecte ma vie sociale, a-t-il expliqué. Ça m'oblige aussi à engloutir un repas toutes les deux heures, et ça limite vraiment mes activités quotidiennes. » J'en ai profité pour lui demander si ça lui arrivait de boire de l'alcool, ce à quoi il m'a répondu : « environ deux fois par an ».

Difficile d'être un surhomme dans un monde aussi compétitif. La plupart de ces types ont plusieurs boulots pour assurer leurs dépenses. Une grande majorité d'entre eux bossent en tant que videurs, et ils ont tous l'air de détester ça. Ari travaille dans une piscine. Pall vend des frigidaires, et Stefan bosse dans un hôpital psychiatrique. Hafthor est le seul à gagner sa vie grâce à ses muscles, ce qui l'empêche malheureusement de rendre régulièrement visite à sa famille.

Mais même pour les non-professionnels, ce hobby peut s'avérer très prenant. Naturellement, il est sujet à de nombreuses controverses : certains disent que le corps humain n'est pas adapté pour soulever des poids aussi lourds, d'autres estiment que le régime des culturistes favorise les maladies cardiaques. Au cours de notre voyage, nous avons rencontré quelques hommes qui avaient été contraints d'abandonner leur entraînement au profit de leur santé.

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Bien entendu, une dérive de cette discipline suscite encore plus le débat : les stéroïdes.

Beaucoup de gens ignorent que la plupart de ces compétitions n'imposent pas de tests de stéroïdes. Aucun de nos interlocuteurs ne nous a confié en prendre, mais nos échanges devenaient souvent gênants lorsque nous abordions le sujet.

Selon Sölvi Fannar – qui bosse en tant qu'agent pour culturistes –, prendre des stéroïdes tient plus d'un choix moral que médical. Il m'a fait remarquer que tous les types qui prenaient des stéroïdes dans les années 1980 et 1990 étaient encore vivants aujourd'hui et qu'il estimait que ces produits étaient bien plus inoffensifs que ce que l'on pouvait croire, malgré la mort controversée de Jón Páll Sigmarsson.

Mais pour être honnête, aucun de ces colosses ne semblait prendre de stéroïde. En fait, ces types font partie des gens les plus adorables et humbles qu'il m'ait été donné de rencontrer. À l'image de leur pays natal, ces hommes aux apparences dures cachent un petit cœur sensible.

L'Islande est un pays invivable pendant une bonne partie de l'année, peuplé par les dignes descendants des Vikings, qui ont débarqué sur l'île il y a plus d'un millénaire. Comme les culturistes d'Islande n'ont rien à prouver à personne, ils ne sont ni arrogants, ni brutaux. Ce sont des gros durs, tellement incroyables qu'ils ont réussi à me convaincre que l'homme était capable de tout.

Le documentaire Le Nid des géants est disponible ci-dessous :

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