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Drogue

La vie des Dirtbags de Yosemite

Un groupe d’individus qui se fait appeler les Dirtbags vit illégalement dans le parc national de Yosemite, aux États-Unis, depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Photos publiées avec l'aimable autorisation de Peter Hoffmeister

Un groupe d’individus qui se fait appeler les Dirtbags (« Sacs à merde », en français) vit illégalement dans le parc national de Yosemite, aux États-Unis, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les Dirtbags dorment dans des grottes, font de l’escalade, de la randonnée et de la natation toute la journée. Ils mangent les restes de nourriture des touristes pour survivre. Et assez souvent, les Dirtbags doivent se battre contre des ours.

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Peter Hoffmeister a laissé tomber le collège en 1990 et a campé 102 nuits d'affilée durant l’été de ses quatorze ans. C’était sa vraie première expérience de Dirtbag. Il est retourné au collège à la rentrée suivante mais a passé une adolescence à déménager sans cesse à travers les États-Unis, à se balader avec un pistolet et un fusil à pompe et à dealer. Il s’est fait renvoyer de trois lycées avant de vivre quelque temps dans une gare routière à Dallas, au Texas (voir ses mémoires, The End of Boys).

Après avoir atteint l’Oregon en bus et reconstruit sa vie avec l’aide de la mère d’un ami, il s’est inscrit à l’université où il a entrepris des études d'anglais et d’écriture. Puis, il est enfin arrivé dans la vallée de Yosemite, où, en compagnie des Dirtbags, il s’est mis à l’escalade, à grappiller des repas gratuits et à se faufiler dans des hôtels de luxe pour se laver et taper du café haut de gamme. Pendant tout ce temps, Peter entendait des rumeurs sur un avion Lodestar rempli de drogues qui se serait crashé, et dont les Dirtbags, en 1977, auraient retrouvé l’épave avant le FBI, chargée d’herbe de première qualité.

Le nouveau roman de Peter, Graphic the Valley, qui sort ce mois-ci, dévoile la face cachée des Dirtbags de Yosemite. Peter nous embarque dans l’esprit d’un adolescent qui a grandi au sein d’un camp caché dans la vallée de Yosemite et qui vit de l’argent que s’est fait son père grâce à l’herbe du Lodestar.

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Aujourd’hui, Peter exerce un boulot normal mais il continue à s’habiller avec les vêtements dont ses amis ne veulent pas. Lorsque je l’ai appelé, il finissait de manger les croûtes des sandwichs de ses enfants. On a parlé d’attaques d’ours, de ce que ça fait de voler des ailes de poulet avec un mannequin de lingerie et d’avions pleins de weed.

VICE : Salut, Pete. Ton livre est génial. Parle-moi un peu de l’histoire des Dirtbags.
Peter Hoffmeister : Il existe une vieille tradition de gens qui vivent illégalement dans la vallée de Yosemite. Pendant la Grande Dépression, des gens ont commencé à venir vivre dans la vallée et à y dormir – dans leur voiture. La rivière Merced contenait tellement de poissons qu’on pouvait en vivre éternellement, à partir du moment où l’on acceptait de manger du poisson matin, midi et soir. Mais il y a des sectes Dirtbag partout, pas seulement à Yosemite.

Les premiers Dirtbags sont apparus à Yosemite après la seconde guerre mondiale, lorsqu’ils se sont aperçus qu’ils pouvaient vivre dans le plus bel endroit sur Terre gratuitement. Ils pouvaient se balader en montagne, nager dans les rivières et faire de l’escalade à volonté sans s’inquiéter de l’état de leurs finances.

Comment le Service national des parcs (SNP) a réagi par rapport à ça ?
Ils n’ont évidemment pas trop apprécié que des gens vivent illégalement sur leur terrain. Les Dirtbags vivaient derrière le Camp n°4 de Yosemite, mais les Rangers du SNP ont petit à petit dégagé les campeurs qui restaient sur le long terme. Quand j’ai commencé dans le Dirtbagging, la plupart des Dirtbags s’étaient réimplantés dans les grottes d’ours derrière l’hôtel Ahwahnee. Les touristes dépensaient environ 300 euros par nuit pour dormir à l’hôtel alors que des Dirtbags vivaient comme des hommes des cavernes, juste sous leurs fenêtres. La nuit, ils pillaient les bennes à ordures de l’hôtel.

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Où est-ce qu’on trouve à manger à Yosemite, à part la nature et les poubelles de l’hôtel ?
Il y a un stand de pizza au Curry Village où vont tous les Dirtbag. On se faufilait et on finissait les pizzas, les Pepsi et les bières que les gens laissaient sur les tables. J’avais l’habitude d’y aller avec une amie que je surnomme la mannequin en lingerie. Le but de notre compétition de longue date au Curry était de trouver une aile de poulet. En dix ans à Yosemite, je n’ai jamais trouvé une seule aile de poulet abandonnée. La compétition est encore d’actualité aujourd’hui.

Tu as dit que vous viviez dans des grottes d’ours. Tu t’es déjà retrouvé nez à nez avec un ours?
Les ours de Yosemite sont tarés. Un jour, un ours m’a forcé à m’enfermer dans une salle de bain. Il est resté devant la porte pendant une heure. Moi j’étais là, à flipper et à paniquer, avec un Australien que je ne connaissais pas. Ça arrive tout le temps.

Tu t’es déjà battu avec un ours ?
Une fois, j’étais parti escalader quand j’ai vu un type qui dormait par terre, enroulé dans une couverture, comme une sorte de burrito humain. Je ne sais pas pourquoi, mais il avait aussi gardé sa nourriture dans la couverture. Il avait sûrement oublié que les ours avaient un odorat 2 000 fois plus développé que celui de l’homme.

J’escaladais un rocher quand j’ai entendu les cris. Je suis revenu en courant et j’ai retrouvé le gars couvert de sang. Son visage était griffé, plein de contusions. Un ours était entré dans le camp et avait commencé à manger la nourriture. L’homme s’était réveillé, avait vu un ours de plus de 200 kilos assis à côté de lui et, surpris, il avait laissé échapper un petit cri.

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L’ours avait levé la patte et tapoté le visage du gars comme pour dire, « Silence, je mange ». Les ours sont trois fois plus forts qu’un homme, la patte de l’ours lui avait cassé le nez et troué la joue.

Peter, dans le Camp 4 de Yosemite

Wow. Tu peux m’en dire plus sur ce fameux avion Lodestar rempli de drogues ?
Dans les années 1970, les Dirtbags se sont aperçus que grâce à certaines innovations dans le matériel d’escalade, ils pouvaient grimper des murs jusque là infranchissables. La philosophie principale du Dirtbag, c’est de privilégier le temps à l’argent ; aucun d’eux ne voulait passer sa vie à travailler. Et un jour, de l’argent est tombé du ciel.

Au cours de l’hiver 1977, un avion s’est écrasé dans un lac en bordure de la vallée de Yosemite. Un Ranger du SNP en a parlé à l’un des Dirtbags du Camp n°4. Il avait beaucoup neigé, récupérer l’avion allait être une tâche ardue pour le FBI. Ils ont décidé de repousser l’opération de récupération au printemps. L’avion était au fond d’un lac recouvert de glace. Il était aussi rempli de weed.

Les Dirtbags campaient dehors toute l’année. Je suis sûr qu’un peu de neige ne leur faisait pas peur.
Exactement. Et c’étaient tous des gens robustes qui connaissaient très bien la nature. Alors un groupe de Dirtbags a fait du stop jusque Fresno pour louer du matériel de plongée. Ils sont montés jusqu’au lac, ont fait un trou dans la glace et ont remonté plusieurs centaines de kilos de marijuana.

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Les Dirtbags ont porté plusieurs sacs pleins de weed jusqu’au Camp n°4 et l’ont fait sécher autour de plusieurs feux. L’argent qu’ils se sont fait en la vendant leur a permis de s’acheter du super matériel d’escalade et de camping. Cet argent a un peu changé la vie des Dirtbags, mais ça leur a surtout permis de vivre à Yosemite pour toujours ou presque.

Combien d’argent les Dirtbags se sont-ils fait ?
Personne ne sait qui s’est fait combien. Et vu que je suis né l’année où ils ont pêché le gros lot, j’aurais du mal à avoir des renseignements fiables. Mais je connais quelques grimpeurs de renommée mondiale qui ont vécu pendant plus d’une décennie grâce à cet argent. Des sacs marins pleins de weed, ça vaut beaucoup, beaucoup d’argent.

J’aime la manière dont tu ficelles le monde des Dirtbags de Yosemite dans Graphic the Valley. Certains des personnages sont réels ?
Le narrateur, Tenaya, un garçon qui a passé toute sa vie à Yosemite, fait les poubelles avec un Dirtbag du nom de Kenny. Kenny existe vraiment. Il est mort pendant que j’écrivais mon roman. Je voulais honorer sa mémoire. Il était un modèle pour tous les Dirtbags.

Pourquoi ?
Un jour, Kenny faisait du stop et la voiture dans laquelle il était a percuté un cerf. Kenny est sorti et a traîné la carcasse. Il l’a étripée, a fait sécher la viande et ne s’est nourri que de ce cerf pendant un mois.

Il y a quelques années, Kenny a décidé d’entreprendre une ultime expédition de survie dans le canyon de Waimea à Kauai, Hawaï. Il avait tout bien organisé. Il savait quelles plantes il pouvait manger et comment attraper les chèvres sauvages et les poules dans le canyon. Kenny a passé 77 jours tout seul dans le canyon. C’est une histoire incroyable, mais elle a une fin tragique. Il est mort quelques semaines après être sorti du canyon, et on pense que c’est parce qu’il a bu de l’eau non potable. Mais on n’en sait pas plus.

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Kenny vivait pour l’aventure. Il faisait ce qu’il avait envie de faire. Mais c’est compliqué : je connais le père de Kenny, et j’essaie d’imaginer ce que ça doit lui faire d’avoir perdu son fils alors que cela aurait pu aisément être évité. Ça me rend vraiment triste.

La question de la propriété de la vallée de Yosemite, et de la nature en général, est un des grands thèmes de Graphic the Valley.
Je suis constamment en train de m’interroger sur la propriété. Est-ce qu’un humain devrait posséder quoi que ce soit ? Certainement pas quelque chose d’aussi beau que la vallée de Yosemite, en tout cas. C’est son plus gros problème, cette beauté. Ça fait mille ans que les gens se battent pour la posséder.

Les mecs du SNP pensent qu’ils possèdent le parc de Yosemite. Ils jurent qu’ils le préserveront et le protégeront pour le plaisir des générations futures. Mais ont-ils le droit de tout réguler ? Le SNP devrait peut-être limiter la fréquentation de la vallée ou y interdire les véhicules motorisés et la préserver davantage. Je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça. Je n’ai pas de réponses. Mais les questions sont importantes.

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