FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

En Nouvelle-Zélande, les étudiants paient leurs bières avec des rats

Beer Trap est un programme qui propose aux étudiants d'échanger des rongeurs morts contre quelques pintes.

Jonathan et sa bière en devenir.

Pendant des siècles, les oiseaux aptères et les reptiles insouciants de Nouvelle-Zélande vivaient paisiblement, peu inquiétés par les prédateurs locaux. Mais tout a changé lorsque les Anglais sont arrivés à bord de navires infestés de rats. Depuis, les rongeurs sont devenus en grande partie responsables de la destruction de la forêt locale et sont à l'origine de l'extinction de neufs espèces endémiques d'oiseaux. Il était nécessaire de faire quelque chose contre eux, mais comment transformer les Néo-Zélandais en véritables chasseurs de rats ?

Publicité

Beer Trap est un programme qui propose aux étudiants d'échanger des rats morts contre quelques pintes – ce qui est potentiellement la meilleure idée du monde. On a rencontré Jonathan Musther, l'un des génies à l'origine de cette campagne, pour qu'il nous parle de cette façon incroyable de protéger l'environnement.

VICE : Alors explique-moi, comment fait-on pour avoir une bière gratuite ?
Jonathan Musther : C'est très simple : il suffit de ramener un rat mort à la Science Society de l'Université Victoria de Wellington – où des pièges sont également fournis – en échange d'un coupon valable pour une bière au Hunter Lounge [le bar de l'université].

À part pour les bières, pourquoi tuer des rats ?
C'est un double problème. D'abord, ils sont à l'origine de la disparition d'espèces endémiques : ils mangent des scinques (lézards néo-zélandais) ou des insectes comme des wetas. Sans oublier les œufs d'oiseaux : même certaines espèces comme les tui, qui nichent dans les arbres, sont concernées. Les rats se font un plaisir de grimper jusqu'à leurs nids.

Les rats grimpent aux arbres ?
Oui, tout à fait. L'autre problème, c'est qu'ils ne sont pas juste des prédateurs pour certaines espèces, ils sont aussi des concurrents pour d'autres. En Nouvelle-Zélande, la niche écologique que les rats occupent en Europe était seulement peuplée d'oiseaux terrestres et de gros insectes comme les wetas. Or, les rats sont beaucoup plus efficaces lorsqu'il s'agit de trouver de la nourriture au sol, parce qu'ils ont évolué dans un milieu où la pression des autres organismes était beaucoup plus forte. La Nouvelle-Zélande était un pays confortable, et cela se ressent dans les évolutions des espèces locales : la plupart des oiseaux n'ont même pas eu besoin de conserver leurs ailes pour voler.

Publicité

Pourquoi demander particulièrement aux étudiants de tuer des rats ?
Le ministère de l'environnement a déjà un système très efficace pour en capturer dans les parcs et les réserves, mais ils ne peuvent pas se permettre d'aller les attraper dans le jardin des gens. On a donc réfléchi à des moyens d'inciter les autres à les capturer en milieu urbain. Au départ, c'était un projet local, à Wellington, qui devait permettre de créer une sorte de zone tampon autour des réserves et des parcs. Il arrive que des oiseaux franchissent les limites, et il fallait donc éviter qu'ils se fassent manger immédiatement.

À Kelburn, la situation est plus grave et on doit faire plus attention, parce qu'il existe deux importantes zones de reproduction. Les oiseaux se réunissent généralement dans ces deux zones qui sont protégées. Mais lorsqu'ils transitent entre ces deux zones, ils courent le risque d'être dévorés par un chat ou un opossum ; s'ils font leur nid en dehors, les œufs sont mangés par des hérissons ou des rats.

C'est pour cette raison que nous avons décidé de solliciter les étudiants, et on s'est dit que le meilleur moyen de les motiver était de leur proposer des bières gratuites. Ce sont des étudiants, après tout.

Ça ne vous a jamais posé problème d'utiliser l'alcool comme motivation ?
Ça dérange certaines personnes, mais je pense qu'il n'y a aucun problème – personne ne va attraper dix rats pour aller se prendre une cuite au Hunter Lounge juste après.

Publicité

Même si quelqu'un le faisait, ça serait une juste récompense après avoir tué 10 rats.
Oui, s'ils veulent passer une soirée mémorable, c'est à eux de voir.

Sinon, vous tuez quoi d'autre ?
Les pièges qu'on distribue servent surtout à attraper des rats, même s'il est possible de se retrouver avec une hermine. En ce qui me concerne, je possède aussi des pièges spéciaux qui permettent d'attraper des rats, des hermines et des hérissons. Tu tues des hérissons, sérieux ?
Il n'y a pas beaucoup d'études sur les hérissons ici, mais le ministère de l'environnement commence à peine à découvrir à quel point ils sont dangereux. Mais comme ils sont mignons, ils arrivent toujours à s'en tirer. Pourtant, une étude récente a montré qu'ils étaient à l'origine d'une attaque sur cinq subie par les nids d'oiseaux terrestres. Ils raffolent également d'invertébrés et d'insectes : un hérisson a été retrouvé une fois avec 283 pattes de weta dans son estomac. Ils peuvent manger 10% de leur masse corporelle chaque nuit, soit environ 100g.

Nous sommes très attachés aux hérissons, ils sont vraiment mignons et adorables, mais ils dévorent certaines espèces emblématiques comme le weta.

Ce n'est pas un peu difficile de convaincre les gens qu'un énorme insecte repoussant doit être sauvé aux dépens de la vie d'un petit hérisson ?
Le vrai problème, c'est que les wetas ne vivent qu'en Nouvelle-Zélande, et notre société considère que chaque espèce a une valeur irréductible, et qu'il faut la protéger si elle risque l'extinction.

Publicité

La distinction ne devrait pas se faire selon qu'un animal est mignon ou pas. Si on considère qu'il faut sauver le kakapo parce qu'il est rare, alors on doit aussi défendre le vilain weta géant, parce qu'il est rare aussi.

Je peux comprendre les gens qui disent qu'il ne faut pas tuer les animaux ; je peux comprendre qu'on affirme que chaque espèce doit être préservée ; mais toute autre position me paraît étrange. C'est se laisser guider par ses émotions. On ne peut pas dire : « j'ai envie de faire des câlins à telle créature alors je vais la sauver, mais les autres sont moches alors je m'en fiche ». C'est soit l'un, soit l'autre.

Des gens se sont déjà opposés au projet ?
Oui, les défenseurs des hérissons, par exemple. Les gens nous soutenaient jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que les hérissons étaient également concernés. Depuis, certains nous qualifient de « tueurs de hérissons sans pitié ».

Dur. Que font les défenseurs des hérissons, exactement ?
Le ministère de l'environnement dépense des millions pour empoisonner ou capturer les hérissons, mais les défenseurs les récupèrent, les soignent et les relâchent.

Au final, pourquoi les « tuer sans pitié » ?
Pour l'instant, notre objectif est de réguler leur population pour éviter qu'ils ne menacent les espèces endémiques. Mais certains conservationnistes espèrent un jour pouvoir se débarrasser complètement de tous ces prédateurs – les rats, les opossums, les hermines, les furets, les souris, les hérissons. Ça permettrait peut-être de trouver un kiwi dans son jardin plutôt qu'un hérisson, et de trouver un weta géant  dans le grenier plutôt qu'un rat – même si ça, ce serait terrifiant.

Suivez Laetitia Laubscher sur Twitter.