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J'ai fait des études à l'Institut d'Études Politiques puis dans une école de management et de gestion. Je prenais clairement une orientation marketing et j'ai fait un stage de fin d'études dans une entreprise de médias où j'ai eu l'opportunité d'écrire quelques articles et de chroniquer des livres. J'ai tout de suite trouvé ça beaucoup plus intéressant, mais je n'avais aucune formation en la matière. Ensuite, j'ai travaillé dans le marketing tout en faisant des piges à côté, de l'édit et des traductions. En 2013, à la fin de mon CDD, j'ai décidé de tenter le coup en freelance parce que j'avais l'impression que c'était le meilleur moyen de passer du temps « sur le terrain ». J'avais déjà l'assurance d'une rentrée d'argent à peu près régulière en écrivant pour la rubrique « Sports de glisse » d'un journal. Je suis parti assez serein, mais ça s'est arrêté et les choses sont devenues plus difficiles : sans travail fixe, les entrées d'argent sont sporadiques. Dès lors que je n'étais pas en CDD, j'ai accepté presque tous les boulots qu'on m'a proposés. Grâce à ma formation initiale dans le marketing, j'ai assez vite travaillé avec la pub. J'ai écrit des articles – brand content ou publireportage – pour des marques d'opérateur mobile et d'alcool ou des banques et tenu un blog sur les loups-garous ; interviewé des lycéens pour MTV ; tourné des vidéos et écrit des articles pour Adidas ; traduit des vidéos de promotion ou des textes pour Netflix ou des films.
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J'ai un profil atypique, selon les recruteurs : j'ai étudié l'anthropologie pendant un an, puis j'ai planché quatre ans en droit et enfin un an en école de commerce. Tout de suite après l'école, je me suis retrouvé dans une agence de communication éditoriale, dont l'objectif premier est de parler à la place des marques. C'est comme être le valet du roi. Ces pseudos milieux créatifs semblaient être un bon compromis entre travailler dans un bureau au 32 e étage d'une tour de la Défense à faire des réunions avec des personnes ayant l'âge de mes parents et bosser avec des jeunes créatifs tournés vers l'avenir. Puis, j'avais surtout besoin de tune.Quand j'ai commencé à bosser dans ce milieu, je savais très bien que ce n'était pas « mon rêve » en soi. Je voyais déjà cela comme quelque chose de temporaire. Le fait est que, à cette époque, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Ça m'a surtout servi d'apprentissage. Cette expérience a fait naître chez moi une envie d'écrire. J'avais tellement le sentiment de faire de la merde toute la journée que ça m'a donné envie de faire les choses à ma façon. C'est comme ça que j'ai commencé à écrire des tribunes. Travailler dans une agence de communication m'a donc plutôt ouvert les yeux, plus que détruit mes idéaux.
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J'ai travaillé pendant trois ans dans l'audiovisuel, où j'exerçais mes talents de monteur. J'ai le parcours classique du « technicien » (entre guillemets parce que, en théorie du moins, le métier de monteur est aussi créatif que technique, en tout cas la part de travail artistique est – en théorie toujours – plus importante que pour le gars qui bosse dans un car régie) : option audiovisuel au lycée, BTS audiovisuel public entre 2010 et 2012, obtenu brillamment, et ensuite, l'aventure à Paris pour le petit écran.Je me suis lancé pour les mêmes raisons que tout le monde, j'imagine : mon goût prononcé pour le cinéma – le cinéma en général d'abord, puis le documentaire en particulier. Même si je gagnais suffisamment pour payer mon loyer et ma bouffe et qu'il me restait assez pour me payer le rouge et la weed qui me permettaient d'oublier, je perdais un peu plus une partie de moi-même chaque jour.J'avais l'impression d'être un gigolo qui te fait la totale. J'ai fait des vidéos pour L'Oréal, (de la publicité à la vidéo corpo pour l'anniversaire du DRH), de la téléréalité, du jeu de midi… J'ai même fait du docu pour RMC Découverte. Je suis cégétiste par mon père, NPA par ma mère, alors bosser dans la pub, c'était pas le top… Au-delà de la blague, j'ai vraiment fini par me sentir sale. Un jour, j'ai fait la vidéo de mariage d'un milliardaire libanais qui avait privatisé l'Opéra Garnier pour l'occasion. À la base, mes ambitions artistiques soutiennent et prolongent mes idéaux humanistes, alors j'ai décidé de calculer : sur une année, je fais environ 10 % de trucs intéressants d'un point de vue artistique ou humain. Voilà pourquoi j'ai quitté le navire. Aujourd'hui, je prépare les concours pour être prof de français. Ça me botte, je reste en contact avec les arts et la philosophie, et j'ai toutes les vacances scolaires pour faire mes documentaires et m'investir dans les collectifs artistiques que je fréquente.Il suffit d'ouvrir un programme télé pour se rendre compte à quel point les industries créatives ne le sont plus du tout. C'est compliqué d'expliquer pourquoi en trois lignes, bien que j'aie des idées très précises sur la question, à force d'y réfléchir. Mais l'explication est éminemment politique. Qui détient les télés, les grosses boîtes de production ? Qui commande les pubs sur lesquelles tout le modèle économique de la production audiovisuelle est basé ? Les grosses fortunes, les dominants, ceux qui possèdent l'outil de production, n'ont pas du tout intérêt à ce que ça change. Le temps de cerveau disponible, c'est bon pour eux. Ils n'ont pas du tout intérêt à ce que les gens prennent l'habitude de réfléchir ou de s'émouvoir.Et pour continuer de nous obliger, nous les « artistes » et « techniciens », à renier nos idéaux et nos ambitions, et à nous tenir en servage, quoi de mieux que le chantage à l'emploi, la précarité organisée, le boulot avec le flingue sur la tempe ?*Certains noms ont été modifiés.Robin est sur Twitter et sur son site.