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reportage

Dans le monde sibyllin des jeunes Français accros au Coca

Une bouteille d'un litre et demi chaque jour de votre vie, et vous devenez plus ou moins un junky.
Photo via Flickr.

« J'ai commencé à boire une boisson à base de cola lors d'un régime où j'avais droit à tout ce qui était light. En gros, je me restreignais sur la nourriture mais compensais par une boisson light similaire au Coca. J'en achetais par bouteilles de deux litres. Le régime a marché sur le court terme – mais je n'ai pas réussi à stabiliser ma consommation de Coca », me raconte Élodie, mon ancienne coéquipière de roller derby. Elle fut l'une des premières filles que j'ai rencontrées qui se revendiquaient « accro au Coca-Cola ». Quand elle passait nous voir, nos amis faisaient toujours attention à toujours avoir du stock à la maison. À l'époque, tout le monde prenait cette particularité à la rigolade.

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Après son régime durant lequel elle a été initiée à une variante de Coca – le Freeway Light –, Élodie a continué à en consommer deux litres par jour durant quatre ans. « Ça entraînait de grosses contraintes logistiques car je n'avais pas le permis et c'était mes parents qui allaient m'en acheter. Quand je suis arrivée à Nantes pour mes études, je n'avais plus de Lidl à proximité. J'ai donc commencé à boire du vrai Coca Light, m'explique-t-elle. Il fallait qu'il y en ait tout le temps dans mon frigo ou je commençais à angoisser. »

Même son de cloche du côté de Marine, une amie que je vois rarement sans un gobelet de Coca Zéro à proximité. L'an passé, en vacances, je me souviens avoir été étonnée de la voir arriver au petit-déjeuner avec un verre de Coca à la main. Elle débutait sa journée ainsi, au moment où je rêvais d'un jus de fruit pressé.

Marine a grandi dans une famille qui lui interdisait de boire des sodas. Quand à 17 ans elle est partie poursuivre ses études loin de chez ses parents, elle s'est libérée de leurs contraintes gastronomiques et s'est mise à déconner avec l'Orangina – son premier amour, selon ses termes. Elle a pris dix kilos. « Au moment où j'ai pris du poids, je me suis tournée vers l'Orangina Light – mais je n'aimais pas ça, idem pour le Coca Light. C'est pourquoi lorsque le Coca Zéro, dont le goût est si différent du Light, est sorti, ça a été le début d'une longue histoire. »

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Marine rythme aujourd'hui ses journées de travail par sa consommation presque inquiétante de Coca-Cola. Un phénomène assez classique m'explique Alain Rigaud, psychiatre addictologue à Reims et président de l'ANPAA, l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. Celui-ci m'explique que la tendance aux addictions est naturelle chez l'homme, mais il précise que ce terme est exagéré dans le cas d'un soda. De fait, l'agent psychoactif qui crée la dépendance dans le Coca, la caféine, n'est pas très puissant. Mais selon lui, notre condition d'humain nous confère un « besoin de distraction » pour oublier qu'il faut bosser ou passer outre des conditions de vie difficile. « Dans une société où la performance individuelle est mise en avant, il faut toujours être au top et la consommation d'une boisson à base de cola, énergisante grâce à sa caféine, est encouragée », précise-t-il.

La sensation d'être plus en forme grâce au Coca, Élodie me l'a longuement décrite. « C'est l'aspect gazeux qui me manquait – et probablement la caféine. Quand je buvais du Coca, je me sentais plus réveillée. Dès la première gorgée je sentais que ça allait mieux », m'explique-t-elle. Comme elle adorait cette sensation, elle en buvait beaucoup. « Je descendais une bouteille par jour, soit 1,5 litre. C'était une époque où j'étudiais et où je passais beaucoup de temps chez moi. Le Coca était à disposition et je n'avais qu'à tendre le bras pour me servir. Je tournais à trois bouteilles par semaine. »

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L'addiction au Coca est considérée avec de plus en plus d'attention par les médecins et addictologues internationaux. En 2012, France Soir relayait cette affaire au sujet d'une Australienne qui avait pris la fâcheuse habitude de boire huit litres de Coca par jour, en conséquence de quoi la pauvre accro avait eu une crise cardiaque – qui lui fut fatale. Son compagnon avait relaté les modes de consommation particulièrement néfastes de son amie, lesquels l'obligeaient par exemple à « boire un verre de Coca-Cola dans son lit tous les soirs avant de se coucher ».

Marine évoque ses élans de solidarité avec les autres gros consommateurs de Coca ; à la manière des junkies, ils se connaissent et se dépannent. « J'ai deux collègues qui consomment autant de Coca que moi. Mais l'une d'entre elles n'aime pas le Zéro – on ne peut pas vraiment partager. Avec l'autre, on se remplit mutuellement le frigo afin d'avoir toujours du stock au frais. » Car les consommateurs de Coca-Cola sont des puristes. Un accro au Light n'aime pas le Coca classique, comme un fan du Zéro ne supporte pas le Light.

Pour Marine, le summum du plaisir revient à boire son Coca-Cola Zéro dans une authentique bouteille en verre. Il faut que la boisson soit ultra-bulleuse et lui pique la gorge. Il n'est pas non plus nécessaire d'évoquer les autres marques : « Un jour, un bar m'a servi un Pepsi – je n'y ai pas touché », raconte-t-elle. Car, fait intéressant, elle adore la marque Coca. « Je suis fan de la marque en elle-même. J'ai une casquette, une pochette, un t-shirt et pas mal de goodies Coca-Cola. »

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« Quand j'ai décidé d'arrêter le Coca, j'ai ressenti une petite angoisse. Mais je savais qu'une bouteille était encore dans ma voiture, au cas où. Et ça me rassurait. »

Elle a réalisé qu'elle devenait peu à peu accro il y a un an et demi. « Mes collègues me l'ont fait remarquer. Au début je me fixais des limites – puis un jour, j'ai ouvert les vannes. » Elle tente d'expliquer pourquoi, mais les raisons sont aussi vagues que multiples. « Je ne sais pas pour quelle raison ; ça correspond sans doute à une époque où je me séparais de mon mec. Je crois que je n'avais plus envie de me mettre de barrières. » Elle poursuit en me rappelant à quel point la marque Coca est forte au niveau de ses visuels et de son marketing. « J'adore suivre l'évolution de leur charte graphique. Vu que j'en consomme tous les jours, je remarque le moindre changement. »

En effet, Coca-Cola est un mastodonte en termes de marketing. Anthony Babkine, Directeur du département médias sociaux de TBWA Corporate, explique que la marque dépense environ sept milliards de dollars dans le marketing chaque année, soit 15 % de ses revenus totaux. Des chiffres qui expliquent que le fameux logo rouge soit inscrit dans nos esprits. Coca est partout dans le monde, et ce depuis plus de cent ans.

Malgré des investissements énormes afin de rendre la marque la plus lisse et politiquement correcte possible, Coca essuie pourtant de nombreuses critiques. Notamment à propos de leur très contestée exploitation des ressources d'eau en Inde. Élodie reconnaît ne pas y être insensible. « Un jour, une personne s'est foutu de ma gueule en me disant : "Tu ne peux pas boire autant de Coca et voter à gauche – tu ne te rends pas compte du lobbying qu'il y a derrière et de leur impact écologique." Là je me suis dit qu'en effet, tout ça était très éloigné de mes valeurs. »

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Cette dichotomie entre l'image véhiculée par Coca et la réalité touche Émilie, et la fait se questionner vis-à-vis de sa consommation de soda. « J'ai repensé à une photo que j'avais vue au collège alors qu'on étudiait le capitalisme. On y voyait une colline dans la forêt amazonienne je crois, où un panneau Coca-Cola énorme y était déposé. À l'époque, je trouvais ça drôle – maintenant, je me demande jusqu'où ils sont prêts à aller pour la publicité. »

Ce questionnement a poussé Élodie à peu à peu stopper sa consommation. Puis un rendez-vous avec sa dentiste l'a contrainte à définitivement arrêter. « Elle m'a dit que j'avais un émail très fin et a confirmé que c'était sans doute lié à ma consommation excessive de Coca. Ça m'a fait un électrochoc. » Puis ce fut au tour d'une nutritionniste de remonter les bretelles d'Émilie. « Elle aussi m'a confirmé que ce n'était pas possible de continuer comme ça. Du coup, quand j'ai décidé d'arrêter le Coca, j'ai ressenti une petite angoisse. Je savais qu'une bouteille était encore dans ma voiture, au cas où – et ça me rassurait. Je l'ai jetée il y a seulement deux semaines alors que j'ai arrêté d'en boire en janvier. »

Lorsque je lui demande comment ça s'est passé, elle me certifie qu'elle ne s'attendait pas à ce que cela soit possible. « Il y a eu un moment où ça a été dur – sans la caféine, j'étais vraiment fatiguée. Au début j'ai compensé avec de l'eau mélangée à du sirop de grenadine. Puis je me suis dit que ce n'était pas beaucoup mieux, alors je me suis mise à l'eau gazeuse. »

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Du côté de Marine, fan de la marque, s'en détacher sera sans doute plus difficile. D'ailleurs, elle n'y pense pas vraiment, et se fout des scandales liés à Coca-Cola. « Pour que ça m'empêche d'en consommer, il faudra vraiment qu'ils soient responsables de beaucoup de morts », me dit-elle. Néanmoins, elle réfléchit parfois à d'éventuels substituts. « Mon idée n'est pas tant de boire moins de Coca-Cola, mais surtout de consommer plus d'eau. J'ai eu des problèmes de migraines récurrentes et d'œil sec liés à ma faible consommation d'eau. Car j'ai tendance à me satisfaire du Coca. »

Lorsque je lui demande ce qui pourrait la faire arrêter, Marine revient elle aussi sur la fragilité de ses dents. « J'ai déjà une déficience génétique au niveau de la dentition et je sais que ça n'aide pas. J'ai essayé de consommer du Coca à la paille pour que ça les touche moins, puis je me suis lassée. » De fait, elle est toujours objectivement accro. Même si ça va mieux. « Avant, je suivais avec précaution mon stock dans le frigo et j'étais vraiment mal s'il n'y en avait pas. Je devenais grognon, désagréable – comme une fumeuse. »

Alain Rigaud, l'addictologue, m'explique que l'accoutumance et la sensation de manque existent vraiment dans le cadre d'une grande consommation de Coca. « Le manque peut se traduire par une sensation de ne pas être réveillée ou par un mal de tête. Néanmoins s'en passer est relativement facile – et n'a rien à voir avec une dépendance à l'alcool, au tabac ou aux amphétamines. » De fait, le Coca est différent des drogues en bien des points. « Déjà, une overdose de caféine est impossible. Une personne qui en boit trop ressentira à la limite un sentiment de nervosité, et connaîtra des réveils nocturnes, des difficultés à dormir – mais rien de plus. »

En revanche, il invite les personnes qui boivent trop de Coca à s'interroger sur les raisons de leur consommation. « Il faut qu'elles sachent de quel jeu elles sont esclaves. Quand on a une provision et que l'on n'est plus dans le plaisir mais dans le "besoin de caféine", je pense qu'une démarche introspective peut être intéressante. »

Lorsque j'ai demandé à Marine de me préciser ce qu'elle ressentait lorsqu'elle était en manque, elle n'a pas su l'expliquer. En revanche, elle m'a dit ça : « Le souci c'est que ce n'était pas vraiment prévisible – une envie de Coca pouvait survenir n'importe quand. Et il fallait que j'aie ma dose. »

Valérie est sur Twitter.