FYI.

This story is over 5 years old.

News

Les juifs ultra-orthodoxes d'Israël refusent le service militaire

Les haredim de Jérusalem veulent faire la prière, pas la guerre.

Il y a une dizaine de jours, plusieurs centaines de milliers de juifs ultra-orthodoxes – des haredim, « ceux qui craignent Dieu »,en hébreu – sont descendus dans les rues du centre-ville de Jérusalem afin d'exprimer leur mécontentement contre le gouvernement israélien. Actuellement, afin de pouvoir se concentrer pleinement à l'étude religieuse, cette communauté très pieuse est exemptée du service militaire. Malheureusement pour elle, un projet de loi pourrait bien changer la donne – et cette perspective est loin d'enchanter les haredim.

Publicité

Ainsi, en début d'après-midi, les rues de Jérusalem ont soudain été peuplées de chapeaux noirs, de chemises blanches et de longues barbes. Aucun discours ni slogan n’a été prononcé. Au lieu de ça, les manifestants ont prié. Ils ont récité la Amida, une prière qui se fait en silence. Ils ont aussi observé le Mincha, la prière de l'après-midi. Des silhouettes de toutes tailles vêtues de noir se sont alors penchées d'avant en arrière. Les lèvres se muaient sans émettre le moindre bruit. Les leaders de la communauté avaient appelé tous les « hommes de plus de 9 ans » à participer à l'événement. Les femmes étaient elles aussi conviées, mais elles ont défilé séparément des hommes. Environ 500 000 personnes étaient attendues. Selon les médias israéliens, entre 250 000 et 400 000 haredim ont répondu à l'appel. C'était en tout cas la plus grande – et la plus calme – foule dans laquelle je m'étais jamais retrouvé.

Jusque l'an dernier et depuis la création de l'État d'Israël en 1948, les ultra-orthodoxes n’étaient pas touchés par la conscription, dans un pays où les autorités obligeaient tout citoyen ou tout résident permanent atteignant les 18 ans à effectuer son service militaire. Les étudiants haredim avaient la possibilité d’en être exemptés en allant étudier à plein temps dans une yeshiva – une école religieuse. Cette communauté a toujours considéré l'étude et la prière comme tout aussi importantes que la défense armée pour veiller à la sécurité du territoire israélien et à la prospérité du judaïsme. Ils vivent ce projet de loi comme une persécution religieuse. Ils accusent aussi le gouvernement israélien de vouloir laïciser leur mode de vie dévot.

Publicité

Une grande partie de la population juive d'Israël ne soutient pas les revendications de la communauté haredi – qui représente environ 10 % de la population juive totale. À leurs yeux, les ultra-orthodoxes ne veulent pas s'impliquer dans la vie citoyenne du pays, représentent une charge financière importante et essaient d'imposer leurs mœurs aux autres citoyens. Alors que le taux de chômage atteint des sommets au sein de leur communauté, les ultra-orthodoxes bénéficient d'aides financières très importantes. Leur nombre ne cesse d'augmenter et, selon certaines estimations, cette communauté représenterait un quart de la population juive totale dans vingt-cinq ans.

Haim, un jeune adolescent haredi, m'a abordé en me demandant si je voulais porter les tefilin – deux petites boîtes noires contenant des versets de la Torah que portent les hommes sur la tête et le bras lors des prières. J'ai décliné poliment son invitation et je lui ai demandé ce qu'il pensait de la manifestation d'aujourd'hui. Haim est né à Jérusalem. Il serait contrait de servir dans l'armée dans le cas où la loi entrerait en vigueur. Il estime que l'État cherche à éloigner les jeunes croyants de leur mode de vie pieux. Mais, le rassemblement d'aujourd'hui le rend confiant pour l'avenir : « Tous les membres de la communauté s'unissent et mettent de côté leurs différences de sorte à œuvrer pour le bien commun », m'a-t-il dit. Selon lui, la loi sera votée mais cette manifestation aura eu le mérite de « montrer au monde entier que nous la rejetons et que nous nous opposons à ce gouvernement qui tente de se débarrasser de la prière ».

Publicité

En 2012, la Cour suprême d'Israël a jugé l’exemption des haredim illégale en raison de son caractère injuste. Le mois dernier, le gouvernement a présenté un projet de réforme rendant obligatoire la conscription pour un certain nombre d'étudiants en yeshiva, tandis que d'autres en resteraient exemptés. Ceux qui refuseraient d'effectuer leur service militaire pourraient alors être condamnés à des peines de prison. La loi a de fortes chances d’être votée en trois lectures d’ici fin mars, mais elle ne devrait pas prendre effet avant au moins trois ans – ce qui représente une longue période pour la politique israélienne. Ainsi, la communauté ultra-orthodoxe promet de maintenir une pression constante sur les autorités en continuant à organiser des prières de rue géantes et des manifestations. Ses membres espèrent réussir à faire reculer le gouvernement sur cette loi.

La manifestation a permis de montrer la capacité de la communauté haredi à se rassembler en cas de besoin. Les principales voies menant à la ville ont été bloquées, la gare routière du centre-ville a été fermée et le tramway a cessé de fonctionner. De nombreux policiers ont été déployés dans les environs du rassemblement afin de prévenir tout éclat de violence, comme ça a été le cas lors de manifestations récentes. Lors de la manifestation que j’ai couverte, les forces de l’ordre avaient choisi de rester en retrait et de ne pas se mêler à la foule.

Publicité

De nombreux flyers de protestation jonchaient les rues et de jeunes hommes arboraient des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des slogans en anglais et en hébreu. On pouvait notamment y lire : « Le gouvernement israélien persécute et piétine les droits des juifs pratiquants », et : « En établissant l'État d'Israël, vous avez créé ce problème. Ne nous demandez pas de le résoudre en rejoignant l'armée ! » Ce second slogan dénotait un fort sentiment antisioniste présent dans certaines franges de la communauté haredi, et principalement chez les hassidiques.

Les juifs hassidiques croient en une forme de judaïsme ultra-orthodoxe née dans l'Europe du 18ème siècle. On les repère facilement grâce à leurs costumes traditionnels et leurs longues papillotes – les anglaises qu'ils arborent des deux côtés du visage. Le sionisme originel était rejeté par les hassidiques en raison de son caractère laïc et de la croyance selon laquelle le peuple hébreu aurait promis à Dieu de ne pas user de la force pour établir un État en terre sainte. Naturellement, ils ne sont pas ravis par la tournure qu'ont pris les événements depuis 1948.

La dynastie hassidique de Satmar, l'une des sectes juives antisionistes les plus importantes, compte de nombreux membres à Williamsburg, à Brooklyn et à Stamford Hill, à Londres. Ce mouvement s'oppose à l'existence d'Israël au point que ses membres rejettent toute aide financière de la part du gouvernement israélien. Récemment, l'un de ses leaders a même déclaré être en « djihad contre [le gouvernement d’Israël] ».

Publicité

J'ai aussi rencontré Yakov, un juif hassidique membre de la mouvance Satmar originaire d’Angleterre. Avant le début de la manifestation, il m'a annoncé qu'il était « préférable de se convertir à l’islam que de rejoindre l'armée ». Il m'a expliqué qu'en cas de conversion à la religion musulmane, on restait « monothéiste ». Alors, qu'en rejoignant l'armée, on devenait « un adorateur de l'État ». Yakov rejette toute ingérence dans ce qu'il appelle le mode de vie « saint ». Pour lui, être hassidique signifie passer sa vie à prier.

Il m'a aussi affirmer qu'on pouvait tout à fait vivre en Israël et se déclarer antisioniste. « Je n'ai pas le choix. Je souhaite vivre dans un environnement dans lequel je puisse me consacrer pleinement à la religion. Vivre à Mea Shearim [un quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem] me permet de rester pur. Je peux sortir dans la rue sans craindre d’être pollué par un environnement laïc. » Bien qu'idyllique pour les hassidiques qui y vivent, le quartier connaît de régulières manifestations qui virent souvent à l'émeute. En juillet dernier, un soldat haredi venu rendre visite à sa famille a même dû être secouru par la police après qu'une foule d'hommes s'en sont pris à lui.

Yakov n'étant pas citoyen israélien, il ne sera jamais contraint de servir au sein de l'armée israélienne. Néanmoins, il s'oppose farouchement à ce projet de loi et ne pense pas que le gouvernement puisse mettre en pratique sa menace d'emprisonnement pour toute personne refusant d'effectuer son service militaire. « Ils ne peuvent pas arrêter tous les étudiants en yeshiva, dit-il. Il faudrait qu'ils construisent des camps de détention pour tous les enfermer. Ça ressemblerait à quoi, des juifs dans des camps ? Et puis, même s'ils se mettaient à le faire, nous créerions des yeshivot au sein même des prisons. Peu importe ce qu'ils décident, nous étudierons. Cela ne changera pas. »

Après la fin de la prière, de la musique religieuse a retenti des nombreux haut-parleurs disposés aux alentours du rassemblement. L'atmosphère était plutôt festive et de jeunes hommes haredim se sont mis à danser en cercle en se tenant par les bras. Au coucher du soleil, des dizaines de milliers d'ultra-orthodoxes occupaient toujours les rues. Encouragés par le nombre de participants, ils semblaient tous convaincus que Dieu répondrait à leurs prières. Que ce soit grâce à une manœuvre politique ou à une intervention divine, Yakov m'a en tout cas assuré qu'une chose était sûre : « Nous ne servirons jamais dans l'armée israélienne. »

@daniel_tepper