Méduses + rats-taupes nus + nanorobots = immortalité

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Méduses + rats-taupes nus + nanorobots = immortalité

Des experts du monde entier expliquent comment ils comptent s'y prendre pour éradiquer cet horrible fléau qu'est la mort.

Le Dr Chris Faulkes caresse tendrement une chose qui ressemble en tout point à un pénis. Ce n'est pas son pénis. Ce n'est pas le mien non plus – et ce n'est définitivement pas celui du seul autre homme présent dans la pièce, Chris, le photographe qui m'accompagne. En tout cas, cette chose de dix centimètres de long à la peau fripée ressemble énormément à un pénis. Soudain, elle se tortille dans sa main comme si elle tentait de s'en échapper, dévoilant une énorme rangée de dents à la Bugs Bunny.

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« Ça, c'est un rat-taupe nu, bien qu'il ressemble à un pénis avec des dents, n'est-ce pas ? » me demande Faulkes. « Ou à une saucisse à dents de sabre. Mais ne vous y méprenez pas – le rat-taupe nu est le super-héros du royaume animal. »

Faulkes et moi nous trouvons dans son laboratoire de Queen Mary, à l'université de Londres. Faulkes est un mec affable avec une queue de cheval, des tatouages à moitié dissimulés sous la manche de son t-shirt et des bagues en argent aux doigts. Des tubes sont éparpillés dans la pièce et agencés de manière à former une sorte de labyrinthe, dans lequel 12 colonies différentes de 200 rats-taupes nus courent, grattent et couinent. Ce qu'il vient de dire n'est pas une hyperbole. En réalité, le rat-taupe nu et le pénis n'ont pas qu'en commun leur apparence : si le pénis est la clé de la vie, cette immonde créature-phallus pourrait bien être la clé de l'immortalité.

« Depuis toujours, le mode de vie extrême et bizarre des rats-taupes étonne et déroute les biologistes. Ce sont les animaux les plus intéressants à étudier », déclare Faulkes, qui a consacré les trente dernières années de sa vie à essayer de comprendre comment cette espèce est devenue l'une des créatures les mieux adaptées et les plus finement ajustées sur Terre. « Tous les aspects de leur biologie semblent nous fournir des informations sur les autres animaux, y compris les humains, notamment pour ce qui est du vieillissement sain et de la résistance au cancer. »

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Les rongeurs de taille similaire vivent généralement cinq ans. Le rat-taupe en vit trente. Même à l'approche de l'âge fatidique, il ne semble pas montrer de signes de vieillesse – il reste en bonne santé, avec de forts battements de cœur, des os solides, un esprit éveillé et un taux de fécondité élevé. Il ne semble pas ressentir la douleur et, contrairement aux autres mammifères, il ne contracte presque jamais le cancer.

En d'autres termes, si les humains vivaient aussi longtemps que les rats-taupes nus – en prenant en compte la taille de leur organisme –, ils vivraient 500 ans dans un corps de 25 ans. « Il n'est pas ridicule d'envisager qu'un jour nous puissions manipuler nos propres voies biochimiques et métaboliques par le biais de médicaments ou de thérapies géniques pour imiter celles du rat-taupe », avance Faulkes tout en caressant son animal. « En fait, grâce à sa résistance à la maladie et son imperméabilité à l'âge, le rat-taupe nu nous fournit le modèle parfait pour la recherche universelle sur le vieillissement chez l'homme. »

Au fil des siècles, nombre d'optimistes, d'alchimistes, de colporteurs et de pop stars ont redoublé d'inventivité pour essayer de contrer la mort – que ce soit en buvant des élixirs de jeunesse ou en dormant dans des caissons hyperbares. Au final, la seule chose que ces personnes ont en commun, c'est la fatalité de leur sort. Reste que l'industrie anti-âge est plus importante que jamais. En 2013, son marché mondial a généré plus de 150 milliards de dollars. D'ici 2018, il atteindra les 216 milliards. Nombre de milliardaires de la Silicon Valley et d'oligarques russes sont prêts à s'offrir l'immortalité depuis qu'ils ont compris que toute une vie ne suffirait pas à dépenser l'intégralité de leur fortune. Même Google ajoute son grain de sable en lançant Calico, son centre de recherche sur le prolongement de la durée de vie à 1,5 milliards de dollars. La mission de cette structure est d'inverser la biologie qui nous rend vieux ou, comme l'écrit le Time, de « résoudre la mort ». C'est un marché effet boule de neige que certains appellent « l'Internet de la santé ». Mais sur qui ces entrepreneurs futés parient-ils ? Après tout, la course à l'immortalité a champ libre.

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Dans un bureau situé non loin du siège social de Google à Mountain View, avec sa longue barbe et sa queue de cheval, le gérontologue britannique Aubrey De Grey profite de cet engouement pour la conquête du vieillissement, ou, comme il aime à l'appeler, de la « sénescence ». Son association caritative, la SENS Research Foundation, se porte très bien depuis quelques années grâce à un investissement de 540 000 euros par an de la part de Peter Thiel, cofondateur de Paypal et bienfaiteur transhumaniste (« La mort est la plus extrême forme d'inégalité entre les hommes »). De Grey affirme toutefois que le budget annuel de la fondation de cinq millions d'euros peut encore « lutter » pour soutenir la charge de travail croissante.

Selon ce scientifique formé à Cambridge, la connaissance fondamentale doit développer des thérapies anti-âge efficaces qui existent déjà. Il avance que les sept processus biochimiques qui provoquent les dommages que nous accumulons à la vieillesse ont été découverts, et que si nous les controns, nous pouvons théoriquement stopper le processus de vieillissement. En effet, non seulement il envisage le vieillissement comme un état de santé qui peut s'améliorer, mais il croit fermement que « la première personne qui pourra vivre jusqu'à 1 000 ans est déjà parmi nous ». À première vue, on pourrait croire que ce ne sont que les divagations d'un vieux fou, mais il se trouve que le Dr De Grey a des chiffres pour appuyer ses propos.

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« D'un point de vue mathématique, c'est très simple, déclare-t-il. Tout ce que je dis, c'est qu'il est fort probable que d'ici 20 à 30 ans nous développions des médicaments capables de rajeunir les gens à mesure que le temps passe. Ce n'est pas encore au point, mais bientôt, une personne âgée de 60 ans pourra être soignée de sorte que, biologiquement parlant, elle n'ait plus 60 ans pendant 30 ans. Durant cette période, les thérapies vont encore s'améliorer et nous serons capable de la rajeunir encore jusqu'à qu'elle ait chronologiquement 150 ans et ainsi de suite. Si nous arrivons à garder une longueur d'avance sur ce problème, les gens ne mourront plus jamais de vieillesse. »

« Vous parlez d'immortalité ? » je demande. Le Dr De Grey soupire : « Ce mot est le fléau de ma vie. Les gens l'utilisent pour se moquer de nous, pour garder une distance émotionnelle et ne pas se faire de faux espoirs. Je ne cherche pas à "résoudre la mort" mais à garder les gens en bonne santé. Alors oui, si mon travail portait ses fruits, le principal effet secondaire serait le prolongement de la vie humaine. Mais "résoudre la mort" implique d'éliminer toutes ses causes, y compris les accidents de voiture. Je doute également que nous puissions survivre à une apocalypse. »

Le Dr De Grey se focalise donc plutôt sur les causes de la mort objectivement évitables – l'hypertension, le cancer, l'Alzheimer et autres maladies liées à l'âge. Il n'est pas en quête de l'immortalité mais d'un « prolongement radical de la vie ». Selon lui, les médicaments traditionnels ne sont pas en mesure d'inverser nos horloges biologiques – nous devons pour ce faire manipuler notre composition à un niveau cellulaire, par exemple en utilisant des enzymes bactériennes pour laver les « déchets » moléculaires qui s'accumulent dans notre corps, ou en bricolant notre codage génétique pour empêcher le cancer et les autres maladies.

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Chris Faulkes et un rat-taupe nu

Chris Faulkes prétend connaître un remède miracle contre le cancer. Il étaye ses propos en tirant sur la peau d'un rat-taupe nu. « C'est la peau élastique du rat-taupe nu qui met le cancer à l'épreuve », avance-t-il. « La théorie – d'abord découverte par un laboratoire américain – suggère que les rats-taupes ont développé une peau vraiment lâche afin de s'adapter à la vie souterraine dans les tunnels étroits, et de ne pas y rester coincés ou accrochés. Cette élasticité est le résultat de la production d'un sucre gluant [le polysaccharide], un hyaluronane à poids moléculaire élevé. »

Les humains possèdent déjà une version de hyaluronane dans le corps qui aide à guérir les blessures en encourageant la division cellulaire (et, ironiquement, qui favorise la croissance de la tumeur), mais celle du rat-taupe nu fait tout le contraire. « Le hyaluronane du rat-taupe nu est six fois plus large que le nôtre », déclare Faulkes. « Il interagit avec une voie métabolique et empêche les cellules de se rassembler pour former des tumeurs. »

Mais ce n'est pas tout : il permettrait également aux vaisseaux sanguins de rester élastiques, vaisseaux qui, à leur tour, soulagent la pression artérielle élevée (hypertension) – un problème qui touche une personne sur trois et qui est surnommé « le tueur silencieux » dans le milieu médical, étant donné que la plupart des patients ne savent même pas qu'ils l'ont. « Rien ne nous empêche de manipuler notre propre système de hyaluronane », explique Faulkes.

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Puis viennent les cellules du rat-taupe nu elles-mêmes, qui semblent produire des protéines – les machines moléculaires qui font fonctionner le corps – plus précisément que les nôtres, freinant les maladies liées à l'âge comme l'Alzheimer. Et la façon dont ils gèrent le glucose ne change pas avec l'âge, ce qui réduit leur sensibilité à des maladies comme le diabète. « La plupart des déclins liés à l'âge dans la physiologie des mammifères ne se produisent pas chez les rats-taupes nus », ajoute Faulkes. « Nous ne faisons que commencer nos recherches sur le rat-taupe, et c'est déjà tout un univers qui s'ouvre à nous et qui pourrait avoir un effet majeur sur la santé humaine. C'est très excitant. »

Bien sûr, le rat-taupe nu n'est pas le seul animal dont les scientifiques jalousent la longévité. « Avec une fréquence cardiaque de 1 000 battements par minute, le petit colibri devrait être criblé de radicaux libres indésirables [les produits chimiques à base d'oxygène qui font vieillir les mammifères en détruisant l'ADN, les protéines et les molécules de graisse]. Or ce n'est pas le cas », déclare le zoologue Jules Howard, auteur de Death on Earth: Adventures in Evolution and Mortality . « Il y a également la larve de moule perlière, qui vit dans les branchies du saumon de l'Atlantique et qui éponge les radicaux libres, et les homards, qui semblent avoir développé une protéine qui répare les extrémités de l'ADN [les télomères], favorisant de plus amples divisions cellulaires que chez la majorité des animaux. Et n'oublions pas le Caenorhabditis elegans, un ver de terre de 2 mm de long. Ces nématodes ont des mécanismes génétiques qui peuvent être désassemblés comme des rouages et des ressorts afin d'essayer de mieux comprendre les causes du vieillissement et de la mort. »

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La méduse immortelle (Capture dcran via)

Mais un animal sur Terre détiendrait bel et bien le secret de la vie éternelle : la Turritopsis dohrnii, surnommée la « méduse immortelle ». Quand elles arrivent à la fin de leur vie, la plupart des méduses meurent et se fondent dans la mer. Pas la Turritopsis dohrnii. Cette créature marine de 4 mm coule au fond de l'océan, où son corps se replie sur lui-même – ce qui est comparable à la position fœtale chez l'humain – et se régénère en bébé méduse, ou polype, grâce à un rare processus biologique appelé la transdifférenciation, qui convertit les vieilles cellules en jeunes cellules.

Jusqu'à présent, un seul chercheur est parvenu à conserver sans interruption des polypes Turritopsis dans son laboratoire. Il travaille seul, sans budget et sans équipe, dans un bureau exigu de Shirahama, une station balnéaire léthargique près de Kyoto. Il s'appelle Shin Kubota, et a observé le rajeunissement des Turritopsis 14 fois d'affilée, avant qu'un typhon ne les emporte. « La Turritopsis dohrnii est un miracle de la nature », déclare-t-il au téléphone. « Mon objectif ultime est de comprendre exactement comment elle se régénère afin que nous puissions appliquer ces mécanismes aux êtres humains. Aussi surprenant soit-il, le génome de la Turritopsis est très similaire à celui des hommes – bien plus que celui des vers de terre. Je pense que la technologie va nous permettre d'appliquer ce génome immortel à l'homme très prochainement. »

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Dans combien de temps ? « Dans 20 ans », déclare-t-il malicieusement.

Si le professeur Kubota est sûr de ce qu'il avance, alors il ferait mieux de se dépêcher ; il n'est pas le seul scientifique à annoncer une prophétie de « 20 ans ». Ray Kurzweil, futurologue et informaticien de renom, prédit que d'ici les années 2030, de minuscules robots flotteront dans notre corps. Ils répareront nos cellules et nos organes endommagés, éradiqueront les maladies et nous rendront biologiquement immortels. « La réalisation future des nanorobots éliminera fondamentalement les maladies biologiques et le vieillissement », annonçait-il au monde entier il y a quelques années.

C'est une industrie florissante, et, installée dans un laboratoire de pointe de l'université de Bristol, le Dr Sabine Hauert en est une actrice majeure. Elle conçoit des essaims de nanorobots — chacun étant mille fois plus petit que la largeur d'un cheveu — qui peuvent être injectés dans le système sanguin par le biais de médicaments pour infiltrer les pores des cellules cancéreuses, tels des millions de petits chevaux de Troie, et les détruire de l'intérieur. « Nous pouvons concevoir des nanoparticules qui feront tout ce que nous voulons qu'elles fassent », déclare-t-elle. « Nous pouvons modifier leur taille, leur forme, leur poids ou leur substance grâce à des molécules ou des médicaments qu'elles peuvent libérer de manière contrôlée. »

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Même si elle affirme que la technologie peut être utilisée pour lutter contre toute une gamme de différentes maladies, le Dr Hauert a le cancer dans sa ligne de mire. Quelle est la nano-arme la plus efficace contre les tumeurs malignes ? L'or. Des millions de nanorobots dorés pourront être envoyés dans le système sanguin, où ils s'infiltreront dans la tumeur via les petits trous de ses vaisseaux à croissance rapide et resteront à l'affût. « Ensuite, déclare-t-elle, quand on les chauffera avec un laser infrarouge, ils se mettront à vibrer violemment, dégradant ainsi les cellules tumorales. Nous pourrons alors envoyer un autre essaim de nanoparticules chargées d'un médicament de chimiothérapie, ce qui permettra d'augmenter jusqu'à 40 fois la quantité de médicaments que nous pouvons offrir actuellement. C'est une technologie très excitante qui a déjà un énorme impact sur la façon de traiter le cancer, et qui aura un impact sur d'autres maladies à l'avenir. »

La prochaine étape logique, comme l'affirme Kurzweil, est de faire circuler dans nos veines ces nanorobots de façon permanente, pour qu'ils nettoient et maintiennent nos corps indéfiniment. Ils seraient également capables de remplacer nos organes lorsque ceux-ci seront défaillants. Des essais cliniques sont déjà en cours sur des souris.

La colonie de rats-taupes nus dans le laboratoire de Chris Faulkes

La souris qui a vécu le plus longtemps au monde s'appelait Yoda. Elle a vécu jusqu'à l'âge de quatre ans. Le plus vieux chien, Buey, en avait 29 à sa mort. Le plus vieux flamant rose en avait 83. Le plus vieil homme en avait 122. La plus vieille palourde, 507. Le fait est que l'évolution a récompensé les espèces qui ont développé des moyens de ne pas se faire dévorer par des espèces plus grandes – que ce soit en apprenant à voler, en développant de grands cerveaux ou en formant des coquilles de protection. Les rats-taupes nus sont descendus sous terre et ont appris à œuvrer ensemble.

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« Une souris n'aura jamais à s'inquiéter du cancer autant que les chats », déclare Faulkes. « Les rats-taupes nus n'ont pas de telles préoccupations, car ils ont construit un vaste réseau de tunnels, développé des hiérarchies et endossé différents rôles sociaux afin de rationaliser la productivité. Ils se sont laissés le temps d'évoluer en une merveille biologique. »

À la tête de chaque colonie se trouve une reine. En second rang vient son harem de mâles reproducteurs. Ensuite, on compte une caste de soldats et défenseurs du royaume, les plus gros animaux de la colonie, et enfin, une caste d'ouvriers, chargés du creusement des galeries et du ravitaillement en tubercules, leur principale source de nourriture. Ils ont des toilettes, une chambre à coucher, une chambre de soins infirmiers et une chambre pour garder les morts. Ils remontent rarement à la surface et ne se mêlent presque jamais à d'autres colonies. « L'adaptation à cette niche écologique très extrême a donné lieu à toute une mosaïque de caractéristiques différentes », déclare Faulkes. « Toutes les choses étranges et merveilleuses qui contribuent à leur vieillissement sain viennent de là. Même leur extrême xénophobie aide à prévenir les maladies infectieuses. »

Pourtant, le rat-taupe nu n'est pas parfait. Le Dr Faulkes l'a appris à ses dépens lorsqu'un matin, en mars l'année dernière, il a allumé la lumière dans son laboratoire et a fait face à une scène macabre. « Du sang était étalé sur les murs en Plexiglas d'un tunnel de la colonie N, raconte-t-il, et le cadavre mutilé d'un de mes rats-taupes gisait à l'intérieur. » Il n'y a qu'une seule explication : la reine a été assassinée. « Il y a eu un coup d'État », ajoute-t-il. « Sa fille a décidé qu'elle voulait diriger la colonie, alors elle a tué sa mère pour prendre la relève. Vous voyez, les rats-taupes nus sont peut-être à l'abri de la mort de vieillesse, mais ils ne sont pas à l'abri du meurtre, tout comme vous et moi. »

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Voilà toute la faille du concept de l'extension radicale de la vie : on peut encore se faire frapper par un bus ou se faire tuer. Et si tout le contenu de votre cerveau – vos souvenirs, vos croyances, vos espoirs et vos rêves – pouvait être numérisé et téléchargé sur un ordinateur central ? Comme ça, si votre Vous 1.0 tombait dans un puits d'ascenseur ou se faisait assassiner par un ami, votre Vous 2.0 pourrait être introduit dans un avatar humanoïde et vous pourriez reprendre votre vie là où vous l'aviez laissée.

Le Dr Randall Koene insiste sur le fait que le Vous 2.0 sera toujours vous. « Et si j'ajoutais un neurone artificiel à côté de chaque neurone réel dans votre cerveau et que je les connectais avec les mêmes connexions que vos neurones normaux, afin qu'ils fonctionnent exactement de la même manière ? », demande-t-il. « Ensuite, une fois que tous ces neurones seraient en place, si je retirerais les connexions de tous les vieux neurones, un par un, disparaîtriez-vous ? »

Le Dr Koene est neuroscientifique, neuro-ingénieur et directeur des Sciences à 2045 initiative, un projet né de l'imagination du milliardaire russe Dmitri Itskov qui vise à « créer des technologies permettant le transfert de la personnalité d'un individu à un transporteur non-biologique plus avancé et prolonger la vie, y compris au point de l'immortalité ».

C'est un projet incroyablement ambitieux, mais est-il seulement réalisable ? « L'esprit est un produit du cerveau qui est étudié en physique », déclare Koene. « C'est une chose matérielle sujette au rapport de cause à effet que nous décrivons dans les modèles mathématiques. Si nous pouvons décrire quelque chose mathématiquement, alors cette chose est informatisable. Il ne fait donc aucun doute que nous pouvons mettre en ligne un esprit, de telle sorte qu'il puisse fonctionner sur un substratum différent. Cela dit, il serait triste de n'être qu'un cerveau dans une boîte, c'est pourquoi nous avons besoin d'un corps immortel pour le supporter. »

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Itskov et lui ont donc lancé le « Projet Avatar », un programme en quatre étapes pour conjurer la mort. Au cours de la première, Avatar A, entre 2015 et 2020, des robots seront contrôlés à l'aide d'interfaces cerveau-machine. La deuxième étape, Avatar B, entre 2020 et 2025, consistera à construire une enveloppe artificielle permettant d'héberger un cerveau vivant. La troisième étape, Avatar C, entre 2030 et 2035, permettra de transférer la personnalité d'un individu dans un cerveau artificiel. Enfin, lors de la dernière étape, Avatar D, en 2045, des enveloppes holographiques remplaceront complètement les enveloppes corporelles.

« Le but est de parvenir à une évolution auto-dirigée », déclare Koene. « Si nous pouvons modifier non seulement l'esprit mais aussi le corps, alors nous auront une capacité d'adaptation puissante. Selon Darwin, ce ne sont pas les espèces les plus fortes ou les plus intelligentes qui survivent, mais celles qui s'adaptent le mieux. Cette technologie nous permettra de changer nos capacités de mémoire, de voyage, de rapidité à laquelle [le cerveau] traite l'information, mais aussi d'ajouter de nouveaux sens à l'expérience, bien au-delà de ce dont nous sommes capables actuellement. »

Malgré ses nobles ambitions, Koene est lui aussi d'avis que nous ne pourrons jamais vraiment échapper aux griffes de la mort. « Il est seulement question de contrôler le contenu de votre vie », ajoute-t-il. « Ne le laissez pas à la maladie. »

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Aubrey De Grey (Photo: SHARE Conference, via)

Mais en fin de compte, le choix nous appartiendrait-il vraiment ? Ou serait-il entre les mains de quelqu'un d'autre ? C'est ce que le Dr John Troyer, directeur du Centre for Death and Society à l'université de Bath, cherche à savoir. « Il est évident que le surpeuplement serait un problème à long terme », déclare-t-il. « Mais le problème à court terme est celui de l'accès. Est-ce que cette technologie sera accessible à tout le monde, ou sera-t-elle exclusive ? »

Il marque un point. L'accès aux soins de santé est déjà très disparate entre riches et pauvres ; de récentes données du London Health Observatory ont démontré qu'à Londres, l'écart de l'espérance de vie entre les habitants des milieux aisés et ceux des milieux défavorisés était d'environ 25 ans. « Nous avons déjà des différences d'accès à toutes sortes de soins biomédicaux au Royaume-Uni », déclare-t-il. « Nous nous dirigeons vers une situation où les classes supérieures continueront de vivre leur vie tandis que les classes inférieures n'auront pas d'autre choix que de mourir d'une mort naturelle. Cela arrive déjà – je l'ai juste formulé autrement. »

Cela soulève également des questions politiques, morales, et sociales. « Comment allons-nous financer cela ? », demande-t-il. « Pendant combien de temps les femmes pourront-elles continuer à avoir des bébés ? Pendant combien de temps devrons-nous aller à l'université ? Les prisonniers pourront-ils profiter de cette technologie ? Et que se passera-t-il si l'État essaye de l'utiliser comme un outil punitif – pour régénérer les criminels contre leur gré et rallonger leur peine ? »

Pour le Dr Troyer, un autre aspect ressort de cette quête de la prolongation radicale de la vie. « Je ne pense pas que ce soit une coïncidence que ce domaine soit géré en grande partie par des hommes blancs fortunés qui ont travaillé dans la technologie », avance-t-il. « Bien sûr, loin de moi l'idée d'essentialiser les sexes, mais je pense que l'ego masculin y est pour quelque chose, comme si la société allait être dépossédée du génie masculin. De mon expérience, je sais que la plupart des femmes ne le souhaiteraient pas. C'est une tendance notable. »

Bien sûr, cette tendance n'apparaîtra jamais chez les rats-taupes nus. Leur écosystème féministe ne laisse aucune place aux mâles égocentriques ; c'est la reine seule qui décide de ce qui est bon pour la colonie. Elle a par ailleurs un moyen infaillible pour freiner la surpopulation : ses méthodes d'intimidation réduisent la fécondité des autres femelles, de sorte qu'elle a les droits exclusifs de reproduction. « Elle utilise un système de signaux très subtils – elle bouscule ou piétine les autres femelles – pour les empêcher de se développer sexuellement », déclare Faulkes. « Chez les humains, le stress peut mener à la stérilité, et il semble que ce soit les mêmes mécanismes chez les rats-taupes. »

Résultat, c'est elle qui mange le plus et bosse le moins. Quiconque tente d'usurper son pouvoir se fait provoquer en duel, et perd. Si elle veut du sexe, cela ne tient qu'à elle. « La reine prend toujours l'initiative de l'accouplement », ricane Faulkes. « Malheur à celui qui tente quoi que ce soit sans son consentement. » C'est une dictature, certes, mais une dictature qui fonctionne. « Ça fonctionne parce que chaque rat-taupe est conditionné à faire sa part du boulot, aussi infime soit-elle, pour le bien de la colonie, qui en retour l'aide individuellement », explique Faulkes. « C'est pour ça qu'ils ont développé des gènes anti-âge. »

Le problème est que ce système ne fonctionne pas vraiment chez les humains : en Corée du Nord, l'espérance de vie moyenne est de 69 ans, selon l'Organisation mondiale de la santé, parallèlement à une espérance de 81 ans en Corée du Sud. « Nous n'avons plus qu'à tous nous installer dans les égouts et attendre 20 millions d'années pour évoluer, plaisante Faulkes, c'est le meilleur moyen de copier leurs mécanismes par la biologie. »

Alors, sur qui misez-vous dans cette course à l'immortalité ? Évidemment, chaque scientifique à qui j'ai parlé estime qu'il sera le premier à ouvrir la voie tant convoitée de l'immortalité. Mais en vérité, ce sera probablement une combinaison d'eux tous. Comme l'ajoute De Grey : « Je ne pense pas qu'il y aura un seul vainqueur. Il va falloir diviser pour régner. Beaucoup de personnes vont être sollicitées pour développer toutes sortes de composants avant de les assembler ensemble et vaincre le vieillissement. »

Nous sommes descendus dans le bureau de Faulkes qui, sans compter les tas de paperasse et de bouquins, renferme d'innombrables curiosités biologiques : une chauve-souris baignant dans une boîte en plexiglas, des crânes de singes, des crânes de chevaux, le crâne d'un tigre à dents de sabre, un corbeau mort, un poisson farci et un sac en plastique rempli de rats des années 1920 suspendu à la porte. C'est un véritable musée de la mort, ce qui est le comble étant donné ce qu'il fait dans la vie. « Ça me rappelle que la mort est partout », déclare-t-il. « Pour l'instant, nous ne pouvons pas lui échapper – pas encore –, alors à quoi bon l'ignorer ? »

Si nous parvenions bel et bien à rationaliser notre biologie pour combattre le vieillissement, voudrait-il vivre pour toujours ? Il réfléchit un instant, avant de répondre : « Je ne sais pas. Je pourrais être intéressé. Mais pour être honnête, je n'arrive pas à me projeter au-delà du mois prochain – je vais voir Black Sabbath au Download Festival avec ma femme et mes enfants. Ça, c'est la vie bien réelle, et j'entends bien en profiter autant que possible. »