Les mecs du centre de tir de La Chapelle

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reportage

Les mecs du centre de tir de La Chapelle

La photographe Lola Quivoron a dressé le portrait des policiers et des amateurs d'armes de Paris.

Je suis fascinée par les armes depuis longtemps – sans doute à cause de mon grand-père maternel, qui faisait partie de la mafia nantaise. Avec ses camarades, il s'était retrouvé à braquer un centre commercial avec des masques de clown sur la tête, ce qui lui a valu quelques années de prison. Depuis, ma mère m'a toujours interdit de jouer avec des armes factices. Mais à force d'insister, mon frère et moi avions quand même réussi à nous procurer une très belle réplique en plastique d'un Beretta 92. Des années plus tard, à 18 ans, mon frère finit par s'engager dans l'armée de terre. Il apprend à se servir d'un Famas – un vrai, cette fois-ci.

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Quand je rentre pour la première fois dans le centre de tir de Porte de la Chapelle, à Paris, je repense à cette histoire. Le stand est un espace coupé du monde, qui a ses propres codes, ses propres principes. Les règles de sécurité sont accrochées au mur : « Le tir sur des cibles à représentation humaine est interdit », ou encore « Il est interdit de toucher aux réglages des armes du club ». Tout est contrôlé. Passé le sas de sécurité, les membres du club – essentiellement des hommes – viennent tamponner leur carte en échange de l'arme de leur choix. Les tireurs s'enfoncent alors dans un couloir vitré, se réfugient dans des compartiments et se mettent à tirer. Malgré le casque anti-bruit fourni par le personnel du centre, le son des déflagrations résonne comme des percussions très puissantes.

Les tireurs sont généralement assez méfiants parce que leur pratique est très souvent discréditée. Tous les habitués du stand racontent que le tir constitue pour eux une expérience cathartique. Ils précisent aussi que c'est une discipline sportive. Il n'y a pas vraiment de clientèle type : j'ai aussi bien croisé des professionnels désireux de peaufiner leur technique que des amateurs en quête d'adrénaline. Néanmoins, le tir est vécu par beaucoup comme une pratique spirituelle d'accomplissement de soi, très liée à la force destructrice des armes.

Le rituel suit une mécanique bien huilée. Certains tireurs viennent uniquement s'entraîner pour la compétition. Ils se rejoignent dans une salle spéciale, se mettent en ligne et visent des cibles mécanisées, où il faut être le plus rapide possible. De l'autre côté du mur, les autres tireurs se font plaisir, s'apaisent en vidant leur chargeur. J'y ai aussi vu des enfants encourager leur père.

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De nombreux tireurs possèdent leurs propres armes chez eux, enfermées dans un coffre fort. Ils sont soumis à un contrôle très important de la part de l'État. Je pense qu'une majeure partie d'entre eux considèrent le tir comme une pratique à part. Cela n'a rien à voir avec le port d'armes à feu comme on peut le voir dans certains états américains – ici, le tir est vu comme un loisir plutôt qu'un outil de défense, sauf peut-être pour les hommes issus de la gendarmerie ou de la police.

Il est cependant indéniable que la culture américaine reste très présente dans ce centre. Quand on vient retirer une arme à l'accueil, les gens évoquent souvent les films d'action hollywoodiens, le pistolet de James Bond, le revolver d'Inspecteur Harry, ou encore la carabine du Soldat Ryan. Il y a clairement un fantasme de puissance liée à la représentation des héros dans les films.

La seule femme qui travaille dans le centre de tir, porte un médaillon à l'effigie du soldat Vasquez d' Aliens II. Elle se fond parfaitement dans cet univers masculin. On dirait une amazone. Les cheveux blonds décolorés, le crâne à moitié rasé, on la voit tirer et défier tous les hommes. Je ne peux pas m'empêcher de la percevoir comme une héroïne de film d'anticipation américain. Parmi les caméras, les écrans de surveillance, le tableau de bord et ses nombreux boutons lumineux, cette femme est comme le pilote d'un vaisseau spatial. Une sorte de Lieutenant Ripley, qui conseille, surveille et encadre les séances.

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Au crépuscule, le lieu se métamorphose. Les pas de tirs se vident petit à petit. Alors que les dernières détonations résonnent encore, une équipe d'entretien se prépare. Ils se glissent dans une combinaison blanche, enfilent une cagoule et un masque de protection, puis se rendent sur le pas de tir. Ils se mettent alors balayer les milliers de douilles, à récurer le béton armé, à ramasser le plomb. Je les ai souvent observés depuis le couloir vitré. C'est un travail très ingrat. L'instructeur du centre vient parfois les aider. Leurs déplacements sont mécaniques. J'imagine qu'il ne faut pas perdre de temps, car la poussière de plomb est nocive pour l'organisme. L'air devient irrespirable. Les combinaisons blanches s'agitent, ramènent des sceaux entiers de métaux cuivrés. De loin, on dirait des pierres précieuses. L'espace est alors une dernière fois investi par ces cosmonautes venus d'ailleurs, une dernière fois, avant la réouverture.

Lola Quivoron est une jeune photographe et réalisatrice française. Elle a réalisé un film sur ce centre de tir, STAND. Retrouvez-la sur son Tumblr.