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Les révoltes du Caire, depuis le camp de Morsi

Le pays est aujourd'hui pris au cœur d'une lutte qui voit s'affronter les partisans du gouvernement Morsi – et des Frères Musulmans – à plusieurs organisations de gauche que les supporters de Morsi disent proches du feu-gouvernement Moubarak.

Des partisans de Morsi, au Caire, lundi. Photos : Tom Dale et Max Siegelbaum

Lundi, l'Égypte a assisté à l'apogée de la campagne Tamarod – « Rébellion », en arabe – une pétition d’ampleur nationale exigeant la démission du Président Mohamed Morsi et qui a récemment muté en manifestation générale sur la place Tahrir – avec faisceaux lumineux en prime. Depuis l'élection de Mohamed Morsi l’année dernière, l'économie du pays s'est effondrée, les forces qui assuraient la sécurité du pays ont largement déserté les rues, les coupures de courant se sont généralisées, l'inflation n’a jamais été aussi forte, et l'essence a presque disparue du territoire. Le pays est aujourd'hui pris au cœur d'une lutte qui voit s'affronter les partisans du gouvernement Morsi – et des Frères Musulmans – à plusieurs organisations de gauche rassemblées pour lutter contre Morsi, celles-ci étant, selon les supporters de Morsi, proches du feu-gouvernement Moubarak.

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Les derniers nommés sont descendus dans la rue lundi soir, pour la plus grande manifestation qu'a connue l'Égypte depuis le Printemps arabe de 2011. Comme ils avaient prévu le coup, trois jours plus tôt, vendredi dernier, les partisans de Morsi s’étaient de leur côté rassemblés devant la Mosquée Rabaa Al-Adawiya, dans le quartier de Nasr City, au Caire. Je suis allé voir ce qu’ils préparaient au moment même où les premiers défilés apparaissaient place Tahrir.

Arrivant en bus ou à pieds, une masse humaine à dominante masculine était venue de tout le pays jusqu'à la place pour marquer son désaccord avec ce que beaucoup considèrent comme un danger – à la fois pour leur religion et leur président. Malgré les appels à un rassemblement pacifique, des groupes de manifestants patrouillaient dans le quartier, casque sur la tête et gourdin négligemment trimbalé d'une main à l'autre afin de « protéger le peuple », selon eux.

Mohamed Hussein, charpentier, a voyagé depuis la ville voisine de Gharbia jusqu'au Caire pour participer au rallye. « Morsi est un président légitime, élu à la majorité absolue. Nous vivons le premier effort de démocratie en Égypte depuis 30 ans ! Nous devons accepter les élections » a-t-il déclaré, avant d'ajouter : « On n’est pas là pour Morsi – on est venus pour protéger le corps législatif. »

La plupart des manifestants répétaient peu ou proue la même idée. Essam Abdullah, un avocat de Mansoura, m'a dit : « Je suis là pour protéger le gouvernement et Morsi contre les gauchistes de Tamarod ; le président est incapable de travailler ! Les gens se rebellent contre le gouvernement et c'est illégal. » Le point de désaccord entre les partisans des Frères Musulmans et l'opposition tient au fait que la campagne Tamarod n'aurait aucune valeur juridique qui pourrait légitimement destituer l’actuel président, ce qui est objectivement vrai.

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Des partisans de Mohamed Morsi soulèvent une affiche à l'effigie du président Morsi, vendredi dernier à Nasr City.

Alors que les discours se prolongeaient, les Frères Musulmans et d'autres représentants politiques musulmans essayaient encore et toujours d’affirmer leur respect des préceptes du Coran. « Amenez-moi un fumeur. Amenez-moi un buveur. Amenez-moi un drogué, qu’on lui montre ! » clamait d'Assem Abdel Maged, le leader du mouvement intégriste sunnite Gamaa Islamiyaa, que les États-Unis et l'Union Européenne considèrent comme une organisation terroriste. Il a poursuivi en invoquant la punition que prévoyait la Charia en cas de vol ou visiblement, de non-respect des employés de l’armée : « Quiconque touchera un cheveu d’un soldat égyptien verra ses mains coupées. »

Amr Sheroui, membre des jeunesses des Frères Musulmans, m’a alors glissé « Je suis là pour soutenir notre président. Il est intelligent, connaît Dieu et c'est un bon président » avant d’ajouter : « Tamarod, ce n’est un tas de felool[des membres du régime de l'ancien Président Moubarak]. Mais ils seraient capables de réussir ; ils ont dirigé le pays pendant 30 ans ! »

Des partisans des Frères Musulmans sur la place Rabea Adaweya, à Nasr City, Le Caire, dimanche dernier. Photo : Tom Dale.

Les théories pro-conspiration parcouraient la foule de part et d’autre. Un étudiant, qui a tenu à ne pas révéler son nom, m’a dit : « Des gens donnent de l'argent dans le but de détruire ce pays. Tous ces felool, Mohamed El Baradei, Hamdeen Sabahi ou Amr Moussa. Avant, ils contrôlaient l'économie, et ils veulent retrouver leur place. » Beaucoup des gens sur place s’accordaient aussi sur ce point : l'opposition de gauche serait déconnectée des besoins et désirs de la classe ouvrière du pays : « L’opposition n'a aucune présence dans la rue. Ils s’assoient dans leurs canapés, leurs bâtiments climatisés, avec leurs ordinateurs, mais ils n'ont aucun contact avec le vrai peuple. » C'est ce qu'affirmait un type qui m'a dit s'appeler Hussein.

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Alors que les discours se prolongeaient et que les cendres des feux d'artifices pleuvaient sur la foule, j'ai commencé à m'éloigner du rassemblement. Tandis que j'essayais de me frayer un chemin à travers cet amas de gens, j'ai fait une pause près d'une charrette tirée par un cheval. J'ai échangé quelques mots avec le propriétaire de la carriole, Saber, et ai fini par lui demander ce qu'il pensait de Morsi et Tamarod. Il m'a dit qu'il était venu de la banlieue éloignée du Caire pour venir au rassemblement, espérant se faire quelques thunes grâce à l’important afflux de population. Il m'a ensuite dit qu'il était pauvre et qu'il ne se souciait pas vraiment de la politique. Avant de s’en aller, il a pourtant ajouté : « Tant que le président est du côté de Dieu, alors je serai du côté du président. »

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