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Les Riches tels qu’on les voit en bossant dans un hôtel de luxe

Comment j'ai servi la soupe à des nantis de France et d'ailleurs pendant quatre ans de ma vie.

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J'ai la trentaine bien entamée. J'ai tour à tour été manutentionnaire, opérateur de production, éboueur, vendeur de glaces, apprenti charpentier, chauffeur-livreur. J'ai fait tous ces jobs qui servent aux kids des classes populaires à entrevoir le futur auxquels ils sont promis s'ils ont le malheur de quitter le système scolaire sans diplôme. Ce que j'ai fait. Ce que je ne savais pas en revanche, c'est que c'est aussi à cause de cela que je rencontrerais des gens riches.

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En effet, j'ai été bagagiste dans différents hôtels de luxe en France et ailleurs pendant trois ans – avec plusieurs périodes de coupures. Il s'agit sans hésiter du meilleur job alimentaire que j'ai fait. D'abord pour l'aspect financier : de fait, je doublais pratiquement mon salaire chaque mois. Ensuite, parce que ce boulot m'a permis d'assouvir ma curiosité et d'en apprendre davantage sur l'espèce humaine.

Je me souviens comme si c'était hier de mes premiers jours en tant que saisonnier dans un Relais & Châteaux. Deux jours pour se former aux côtés d'un collègue rompu au quotidien du voiturier-bagagiste. Accueil des clients, présentation des chambres, « optimisations de l'espace ». Sans oublier la familiarisation avec les boîtes automatiques des bolides à déplacer sur le parking. Tout est question de savoir-être. D'abord l'apparence, avec le costume impeccable : cravate serré au dernier bouton, même en plein été, et chaussures parfaitement cirées. Ensuite l'attitude ; il s'agit d'un savant mélange d'extrême disponibilité et de discrétion à toute épreuve. C'est ce qu'attendent de vous des gens qui paient pour. L'une des choses à laquelle il faut s'habituer dans ce genre de job, c'est le rapport décomplexé à l'argent. Lors de mon deuxième jour de taf, je suis tombé sur un couple parisien qui venait de passer une petite semaine dans l'établissement ; ils étaient en train de régler la note. Il y en avait pour près de 10 000 euros. Une grande partie fut payée en liquide. J'entends encore le client et la réceptionniste compter ensemble la somme totale par tranches de 100 euros : 6 500, 6 600, 6 700, 6 800. À la fin du décompte, une énorme liasse recouvrait le comptoir.

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La semaine qui a succédé à mes deux jours de formation fut un peu laborieuse. J'ai d'abord manqué quelques entrées, oubliant négligemment de donner certaines informations importantes aux clients. Le manager me mit face à mes responsabilités, questionnaire de satisfaction à l'appui. Je fus également contraint de revoir quelques principes de bienséance grâce aux conseils d'une réceptionniste chevronnée. Notamment celui de « laisser passer les personnes au moment de monter les escaliers » et de « toujours passer devant en les descendant ». Dans les deux cas, l'idée est de servir d'amortisseur en cas de chute. Le client est roi. Après cette phase d'apprentissage, j'ai progressivement pris mes marques au sein de l'hôtel. Là, j'ai eu l'occasion de croiser quelques « VIP ».

Le numéro 2 de l'hôtel se présente et Monsieur X, tout en tendant une demi-poignée de main molle le regard dans le vague, demande avec une pointe d'agacement : « Bon, à quelle heure on peut manger ? »

En prenant mon service un matin, le manager de l'hôtel me fait part d'une « arrivée un peu spéciale » dont celui-ci, dit-il, « s'occupera personnellement ». Je reste cependant à ses côtés pour l'installation de ce Président d'un club de Ligue 1 qui débarque au volant d'une BMW de location. Il est accompagné de ce que j'imagine être son épouse, du moins sa compagne. En descendant de voiture, je suis d'abord surpris par la différence d'âge : une trentaine d'années à première vue. Puis, par le vouvoiement de madame à l'encontre de monsieur. S'agit-il d'une escorte ? J'accompagne le couple à l'accueil où attendent en rang d'oignons les réceptionnistes apprêtées pour l'occasion. Le numéro 2 de l'hôtel se présente et Monsieur X, tout en tendant une demi-poignée de main molle le regard dans le vague, demande avec une pointe d'agacement : « Bon, à quelle heure on peut manger ? » S'ensuit une présentation rapide de la chambre. En revenant vers l'accueil – sans pourboire –, le manager me confie : « Vous apprendrez que dans ce métier ce ne sont pas les plus riches qui donnent le plus ! »

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Ailleurs, dans une station de sports d'hiver, j'ai côtoyé – enfin, j'ai travaillé pour – un grand patron français de l'industrie des télécommunications. Il était venu skier en famille, ce qui ne l'empêchait manifestement pas de conserver son téléphone à l'oreille en permanence. Il était objectivement sympa. Lui et sa petite famille logeaient dans une sorte de chalet à l'intérieur du chalet principal, qui lui revenait à quelque chose comme 25 000 euros la nuit. Il disposait aussi des services d'un majordome. Ce collègue avait pour habitude, selon ses dires, de sortir une fois en début de saison et une autre à la fin. Un soir de mi-saison, je le croise néanmoins bien en forme dans le gros club de la station, avec plusieurs bouteilles de champagne à sa table. Je le chambre sur son entorse à son quota de soirées. Il me répond qu'il anticipe sa soirée de fin de saison, le client lui ayant lâché un pourboire « de ouf » dont il compte « profiter aux Maldives ». Un tip visiblement très généreux à l'image d'un homme abordable et sympathique qui savait, par exemple, enlever ses chaussures de ski tout seul.

Tout l'inverse d'un influent cafetier de la place parisienne d'origine auvergnate, présent dans l'hôtel quelques semaines plus tard. Le genre de client infect que tu as envie d'étouffer dans la neige. Ce mec est resté là une semaine, qu'il a passée à se bourrer la gueule, sa soûlographie nécessitant deux cuites quotidiennes. Comme il était constamment ivre – ou qu'il avait une gueule de bois énorme –, il demandait qu'on le déchausse en rentrant des pistes. Mais il est loin de constituer le pire des clients sur lesquels on peut tomber. Il n'est pas exclu qu'en travaillant dans un 4 étoiles à Courchevel, vous tombiez par exemple sur des nouveaux riches russes qui vous jetteront des billets de banque à la gueule – ça s'est vu.

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Dans un hôtel de Dublin où j'avais aidé le DJ de Detroit Jeff Mills à porter une valise hyper lourde, j'ai eu affaire à Peter Morton, cofondateur de la chaîne de restaurants Hard Rock Café. Ce dernier avait oublié de me tipper alors que nous avions partagé plusieurs discussions agréables pendant son séjour. À peine le temps d'avaler ma déception que celui-ci rappelle l'hôtel du parking de l'aéroport, culpabilisant d'avoir oublié de me filer un pourboire. La réception me le passe. Je lui dis que c'est gentil de sa part et que ce sera pour une prochaine fois. Il me répond qu'il a « un peu de temps avant de remonter dans son jet privé » et qu'il s'apprête à faire machine arrière. Une heure plus tard, son chauffeur gare la voiture devant l'hôtel. Le responsable de ce temple du fun familial et de la bouffe à bas prix a pris le temps de sortir pour s'excuser – et moi d'empocher mon billet.

Dans un autre genre, Quentin Tarantino m'avait donné en guise de pourboire deux places pour l'avant-première de Boulevard de la Mort pour laquelle il était invité à venir faire un speech le soir même, ce qui est plus cheap.

Toujours à Dublin mais dans un autre hôtel, je suis tombé, dans la chambre de Bruce Springsteen, sur une sorte de valise de docteur dépliable et munie de plusieurs compartiments. Elle était remplie de médocs et pilules de toutes les couleurs. N'ayant qu'une connaissance limitée en psychotropes, j'ai juste eu une pensée émue pour mes quelques anciens camarades de lycée devenus teufeurs.

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Je travaillais au Hilton quand on recevait les princes saoudiens pendant deux mois avec des centaines de valises blindées d'ustensiles de cuisines, de narguilés et parfois, de frigos.

Après les P.-D.G. et les célébrités, niveau prestige, j'ai également eu le droit de servir un roi. Il s'agissait du Roi de Jordanie Abdallah II, venu incognito avec sa Cour faire de la bécane en Irlande pendant une semaine. Ils avaient fait venir toutes les Harley de monsieur – et deux Porches pour les gardes du corps. Je le croisais le matin, vêtu d'un blouson de cuir et d'une paire de lunettes noires, prêt à rider toute la journée. Il était accompagné de tous ses conseillers. Eux aussi roulaient à moto. Je dois reconnaître que malgré tout, l'homme était sympa et surtout, discret.

Il constitue même l'antithèse des princes saoudiens qu'on voit à Paris tous les étés. Je travaillais au Hilton quand on les recevait pendant deux mois avec des centaines de valises blindées d'ustensiles de cuisines, de narguilés et parfois, de frigos. Ces valises, les princes ne le touchent pas. Elles arrivent et repartent en camion. Seules les petites mains, pour ne pas dire les esclaves, s'en occupent.

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Lors de ma deuxième saison dans le Relais & Châteaux cité précédemment, j'ai eu affaire à un célèbre journaliste politique français. Il était venu passer une grosse semaine de vacances avec sa femme dans une suite à plus de 600 euros la nuit. Je me doutais bien de l'égocentrisme dont pouvait faire preuve un tel personnage. J'étais quand même loin de m'imaginer qu'il demande à être reçu comme un ministre. Premièrement, il a fallu aller le chercher sur le quai de la gare. Affréter un taxi aurait été trop simple. C'est donc le numéro deux de l'hôtel qui a embarqué comme copilote du taxi pour accueillir comme il se doit ce VIP à la sortie du train. Arrivé à l'hôtel, je me souviens du directeur – d'ordinaire jovial – surpris et clairement agacé par le fait de devoir préparer une arrivée ministérielle pour un journaliste, aussi prestigieux soit-il. Le manager fut réquisitionné une bonne partie de l'après-midi pour jouer le guide touristique auprès du couple. Alors que je déposais leurs affaires dans la suite, une collègue du room service débarqua avec un énorme plateau de fruits. En louchant sur l'étendue gastronomique du plateau, je repensais à la formule d'une copine : « Être riche, c'est manger 50 fruits et légumes par jour ».

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Enfin, il reste une catégorie socioprofessionnelle de riches à part, loin de tout : les footballeurs professionnels. En règle générale ils sont connus pour être radins sur les tips. La plupart ont l'air d'avoir perdu toute échelle de valeur avec l'argent. D'un côté ils gagnent des sommes indécentes. De l'autre, ils sont formatés à économiser parce que leur carrière ne dure pas longtemps. Par exemple j'ai reçu un remplaçant du PSG dont le fils d'à peine trois ans avait oublié son maillot de bain après un week-end. Sa femme a rappelé l'hôtel une semaine plus tard pour qu'on lui poste ledit slibard. Un doudou ou tout objet sentimental je peux comprendre aisément. Mais insister pour récupérer un maillot à 20 euros alors que ton mari gagne plus de 50 000 euros par mois, j'ai plus de mal à saisir.

Une autre fois, j'ai vu des amis de Franck Ribéry qui tranchaient légèrement avec le standing d'un 5 étoiles parisien. Ces derniers passaient leurs journées accoudés aux pots de fleur de l'hôtel à côté desquels ils buvaient des canettes et mangeaient des chips. Le tout, en jogging.

Lorsque je bossais au Mandarin Oriental, un hôtel de luxe de la rue Saint-Honoré, à Paris, Lionel Messi y résidait aussi. On aurait dit un ado qui payait un week-end en France à sa copine. Le mec était aussi simple, discret que gentil. Limite à prendre lui-même ses bagages. Comme son chauffeur était en retard un après-midi, il est allé jeter un œil aux vitrines en bas de la rue. Tout le monde se retournait sur lui sans qu'il n'y prête vraiment attention.

Au cours de ces longues périodes passées à faire le larbin pour des millionnaires, je n'ai pu que constater les dégâts moraux causés par la puissance de l'argent. « Plus on monte dans la société, plus l'oxygène moral se raréfie », comme dit Jean-Claude Michéa. Une dernière anecdote illustre bien ce sentiment. Un matin dans un Relais & Châteaux réputé pour son excellente table, je croise le second de cuisine en train de tirer sur sa clope de manière compulsive, l'air bien énervé. Je lui demande ce qu'il ne va pas. Il me répond sèchement qu'il a débuté sa journée une heure plus tôt que d'habitude. Je dis ouais, OK, c'est pas la mort non plus.

Il me répond qu'une cliente lui avait demandé un plat spécifique pour son yorkshire.