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LE NUMÉRO TOUT CE QU'IL Y A DE PLUS PERSONNEL

Les salles de jeux vidéo parisiennes et le problème du « geek » dans nos sociétés ironiques

L'incarnation du septième cercle de l'Enfer se trouve à Paris – on peut y jouer en réseau.

Cet article est extrait du numéro « Tout ce qu'il y a de plus personnel » S'il est un cercle de l'enfer destiné à accueillir ceux qui n'ont pas eu le courage de se rebeller après s'être fait voler leur goûter 666 fois de la 6e jusqu'au Bac, il est localisé à Paris, dans le 11e arrondissement, et s'appelle le Meltdown. « Le Meltdown a su proposer aux geeks un spot ultime pour faire la fête, ce qui a fait son succès », s'émerveillent nos confrères de Streetpress devant cet invraisemblable spectacle. Car à l'instar de l'infâme Dernier Bar Avant la Fin du Monde, le Meltdown est, effectivement, un « bar pour geeks ». Et cela est proprement terrifiant.

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Situé passage Thiéré, et donc voisin de la Mécanique Ondulatoire, le Meltdown est un lieu propre à figer le sang du profane. D'abord, c'est un bar où l'on ne boit pas ; ou si peu. J'entends par là que les pintes de bière s'y vendent peu, au contraire des canettes de Red Bull et autre Monster consommées abondamment par des gamers en quête de concentration. Car c'est ce que viennent y faire les clients : jouer aux jeux vidéo dans un sous-sol surchauffé (il doit y faire 38 °C en moyenne, la faute aux machines qui tournent en permanence), agglutinés autour d'écrans sur lesquels tournent, au choix, League of Legends, Dota 2, Street Fighter ou encore la dernière occurrence de Super Smash Bros, le tout sur fond de musique semi-ironique infernale et d'une odeur mêlant graillon, sueur et sucre artificiel.

Ceux qui ne participent à aucun tournoi s'empressent de dégainer une console portable afin de garder les yeux sur un écran, et ceux qui n'en ont pas regardent plutôt leurs pieds. Ici et là, on distingue parfois une ou deux filles, dont le regard trahit une certaine perplexité. Et de temps en temps, un cri étrange fend l'air, comme une incantation au Dieu des Nerds : « Bouledepoil, il est où Bouledepoil ? Bouledepoil, tu joues en demi-finale contre Kirby666. Allez Bouledepoil ! » Cerbère lui-même n'aurait pas gardé un tel endroit. Et voici donc ce que les médias sympas qualifient de « fête des geeks ». C'est là qu'est le problème.

Vous m'énervez, les geeks. Pendant longtemps, vous avez été ces mecs un peu timides et parfois gênants avec qui on n'avait pas vraiment envie de traîner le samedi soir, mais avec qui il y avait toujours moyen de se marrer au détour d'une vanne à tiroirs sur les mecs qui jouent à Warhammer (genre vous, mais aussi genre : moi) ou d'une partie de Call of Duty. Vous étiez sympas. Et vous aviez votre propre version du « cool », qui n'était pas moins cool que les autres, seulement moins matérielle. Et personne n'aurait jamais sérieusement songé à vous dédier un bar ou un « lieu festif », pour une raison simple : vous n'étiez pas festifs. À titre personnel, c'est ce qui vous valait mon respect.

Sauf que vous avez commencé à valoir un beau paquet de thunes, les geeks. De films en t-shirts ironiques, de Japan Expo en statuettes R2D2 à 400 balles, vous êtes devenus des touristes privilégiés du continent culturel, et une cible privilégiée des jeunes diplômés d'écoles de commerce en quête d'un « concept béton ». Ce n'est pas de votre faute, et personne ne vous juge pour ça.

Mais qui voudrait sérieusement fréquenter ce genre d'endroits infernaux où on espère vous soutirer du fric grâce à trois affiches « pop culture » collées sur les murs et quelques néons fluo ? Quel genre d'enculé cynique espère gagner son premier million d'euros en vendant des shots baptisés « Dracaufeu » et des cocktails « Sailor Moon » à des gosses qui ont à peine de quoi se payer un masque d'Anonymous ? Toujours d'après Streetpress, les fondateurs du Meltdown sont aujourd'hui à la tête d'un « petit empire », avec plus de 15 bars ouverts en Europe. De son côté, le patron du Dernier bar avant la fin du monde, « the place to geek » (putain…), se vante allègrement de n'en avoir rien à foutre et de se faire des montagnes de thunes sur le dos des malheureux qui ont le tort de croire à sa sincérité.

Désolé les geeks, mais vous voilà entrés à votre tour dans l'ère de la fête triste et universelle. Et à chaque fois que vous commandez un Dracaufeu au comptoir, vous plantez un clou supplémentaire dans le cercueil du respect que j'ai pu avoir un jour pour Bouledepoil et Kirby666.