De saisissantes photos de la mafia sicilienne et de la douleur qu’elle inflige

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De saisissantes photos de la mafia sicilienne et de la douleur qu’elle inflige

Quelques images des grands pontes de la mafia de Palerme – et des ravages qu'ils ont causés.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Depuis 1971, Letizia Battaglia immortalise la vie dangereuse et baignée de soleil des habitants de Palerme, capitale de la Sicile. Pendant des années, elle a travaillé comme photojournaliste pour le quotidien L'Ora, avant d'abandonner le métier quand le journal a fermé ses portes.

À 81 ans, elle était prête à révéler ses stupéfiantes archives dans Anthology, une collection de plus de 300 pages de photos de sa ville natale. J'ai discuté avec Letizia de sa vie et des conséquences des violences infligées par la mafia en Sicile. Elle nous a aussi montré quelques photos exclusives du livre, que vous pouvez voir ci-dessous.

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VICE : Est-ce que votre travail a changé au fil du temps?
Letizia Battaglia : J'ai été confrontée au crime à Palerme pendant 19 ans et c'est ce qui a forgé mon style. J'ai photographié avec passion. Je voulais témoigner de tout ce qui pouvait selon moi servir contre la mafia. Puis j'ai arrêté de photographier les crimes quand l'héroïque journal L'Ora a fermé, mais aussi parce que j'avais perdu mon énergie physique, nécessaire dans ce métier.

Palerme est superbe et a une riche histoire. Pensez-vous que c'est en péril?
Je crois qu'aujourd'hui, la consommation est une obsession de plus en plus dangereuse — le passé semble surtout être un obstacle à la modernité et à la richesse. Il n'y a pas d'argent pour protéger notre héritage arabo-normand et baroque, pas d'argent pour restaurer notre magnifique centre-ville historique, pas d'argent pour préserver et protéger les paysages, la mer.

Quelles sont les différences majeures entre la Sicile des années 70 et la Sicile d'aujourd'hui?
Dans les années 70, la mafia menait une guerre déchaînée contre la société civile, avec tellement de meurtres, de douleur et de pauvreté. Aujourd'hui, la mafia est plus subtile, moins enragée : elle ne tue plus les juges, les politiciens et les policiers. Ce qui l'intéresse, comme ç'a toujours été le cas, c'est le pouvoir. Maintenant qu'ils l'ont, ils n'ont plus besoin de tirer sur les gens. Il leur suffit de faire élire des représentants politiques qui veillent sur leurs intérêts économiques.

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Pensez-vous que ce livre soit votre ultime contribution? Une déclaration d'amour à l'endroit qui vous a le plus inspirée?
J'ai rassemblé des images de ma vie, de mon monde. J'ai cherché dans mes négatifs des choses que je ne me souvenais pas avoir photographiées. J'ai voulu raconter l'histoire de mon amour pour cette île, qui ne peut se défaire des tyrans qui l'oppriment. J'ai cherché la beauté dans la laideur. J'ai passé des heures à chercher un lien poétique entre les nombreux négatifs. Parfois j'ai pleuré.

La mafia sicilienne est-elle très présente en dehors du sud de l'Italie?
La mafia est certainement née en Sicile, mais elle a maintenant des activités partout. Avec le trafic de drogue, elle a des investissements dans le nord de l'Italie, mais aussi en Europe. Elle est encore plus dangereuse qu'avant, parce qu'elle s'est immiscée dans la finance et la politique. Elle utilise les mêmes techniques barbares que les trafiquants de drogue.

Pensez-vous que le contrôle de la mafia vient du fait que la Sicile a été l'un des endroits les plus dominés de l'histoire? Que les Siciliens sont plus heureux opprimés que libres?
Oui, je pense que nous ne pouvons pas choisir notre propre liberté.

Quand vous conduisez le long du tronçon de route où Giovanni Falcone, le célèbre juge antimafia, a été assassiné en 1992, comment vous sentez-vous?
Je l'aimais beaucoup. Nous lui étions très reconnaissants : son combat contre la Cosa Nostra nous a redonné espoir. Mais nous n'avons pas réussi à le protéger, l'État italien non plus. Comment je me sens? Humiliée, fâchée et déterminée à ne pas laisser tomber. Et ces sentiments n'ont rien à voir avec la peur.

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Vous avez consacré une grande partie de votre vie à ce sujet. Comment cela vous a-t-il affectée?
J'ai beaucoup souffert, tellement que j'ai dû quitter Palerme à plusieurs reprises. Mais je suis toujours revenue. J'ai fait tout ce que je pouvais pour préserver ma santé mentale : j'ai planté des arbres, je me suis entourée de jeunes, je me suis lancée dans la politique aux côtés de Leoluca Orlando, un maire courageux et extraordinaire [le maire actuel de Palerme], j'ai aimé et été aimée. J'ai rappelé à tout le monde qu'il y avait encore quelque chose de bon et de beau sous le ciel, car, par-dessus tout, je cherche toujours la beauté et j'essaie de la photographier.

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