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LE NUMÉRO SYNERGIE LYSERGIQUE

Luc Moullet

Les bonnes comédies sont difficiles à trouver de nos jours. Avec Luc Moullet, ça marche à tous les coups. Ce type réussit l'exploit d'être toujours drôle, sans qu'on puisse vraiment qualifier son humour. Disons simplement qu'il comporte une bonne dose...

Photos : Maciek Pozoga

Les bonnes comédies sont difficiles à trouver de nos jours. Avec Luc Moullet, ça marche à tous les coups. Ce type réussit l’exploit d’être toujours drôle, sans qu’on puisse vraiment qualifier son humour. Disons simplement qu’il comporte une bonne dose de burlesque et de bouffonnerie.

Certes, je suis bon public ; sauf qu’apprécier les films de Luc Moullet présente l’avantage d’être une référence humoristique dont je n’ai pas à rougir, contrairement à pas mal de trucs qui provoquent mon hilarité (98 % des sketches des Inconnus ; quelqu’un qui tombe devant moi dans la rue ; l’expression « grandeur et soca dance » ; le film

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Halal Police d’État

, d’Éric et Ramzy). Car Luc Moullet est un des plus grands critiques de cinéma français et l’un des cinéastes clés de ce qu’on a appelé la Nouvelle Vague.

Être exhaustif avec Luc Moullet, c’est impossible. Le type est une encyclopédie du bon cinéma, et il a réalisé des tonnes de films, courts ou longs métrages, avec deux bouts de ficelle et un peu de scotch. Depuis

Barres

en 1984 qui étudie les différents moyens de frauder les portes mécaniques du métro ou

Essai d’ouverture

en 1988, qui part de la détresse d’un homme moyen face au bouchon d’une bouteille de Coca en verre, il prend systématiquement le parti de rire des choses qui nous emmerdent la vie. Il est également un documentariste génial qui analyse le dérisoire et le bizarre avec le plus grand sérieux, de

Genèse d’un repas à L’empire de Médor

 en passant par le très récent

La Terre de la folie

.

On est donc allés le voir dans l’espoir d’entendre quelques bonnes blagues et de récolter quelques précieuses anecdotes sur ce courant farce du cinéma qu’est la Nouvelle Vague. Quand on a débarqué dans son appartement parisien, il était sur le point d’arroser ses plantes.

Vice : Vous étiez critique aux Cahiers du cinéma quand vous avez réalisé votre premier film en 1960, Un steak trop cuit, grâce au coup de pouce de Jean-Luc Godard. Dans Brigitte et Brigitte, votre premier long métrage sorti en 1966, vous vous interrogez sur le cinéma hollywoodien ; Samuel Fuller fait même une apparition.

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Luc Moullet :

Oui. En général, les cinéastes de la Nouvelle Vague étaient admirateurs du cinéma hollywoodien, en tout cas de certains films d’Hollywood.

Par exemple, Jerry Lewis. C’était un peu votre dieu du ­comique, non ?

Ah oui tiens, Jerry Lewis notamment – mais pas seulement. En tout cas, ils étaient plus pro-cinéma américain que pro-cinéma français traditionnel, qui était assez

square

, à l’époque. C’était une suite de conventions et de lieux communs.

Vous insistez souvent sur ce qui différencie les réalisateurs de la Nouvelle Vague, à savoir leur travail cinématographique, et ce qui les rapproche, leur travail critique. Mais en tant que cinéastes, un de vos dénominateurs communs c’était la farce, non ?

Oui, un point commun, c’était effectivement la présence de l’humour. On trouve beaucoup d’humour chez Chabrol et chez Godard. Chabrol plaisantait assez dans la vie. Par exemple, un film plein d’humour de Chabrol, c’était

Paris vu par… La Muette

en 1963. Il y a aussi pas mal d’humour noir dans

Les Bonnes Femmes

. Avant de faire des films, il travaillait comme attaché de presse : il inventait les biographies des acteurs et trouvait des titres en français qui l’amusaient, aussi. Il s’amusait beaucoup à travestir les données. Et il y avait aussi le courrier des lecteurs, vous voyez, un peu style

Confidences

, il lisait ça. Ce genre de publications où le lecteur est dans une situation sentimentale difficile et écrit pour demander conseil. Donc Chabrol s’ingéniait à composer des situations inextricables auxquelles le conseiller ne pouvait pas répondre. L’humour est plus disséminé chez Rivette… Mais

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Céline et Julie

est un film très amusant.

Tirez sur le pianiste

de Truffaut, aussi. Il y a toujours eu la reconnaissance de l’humour comme valeur privilégiée.

Dans Le Prestige de la mort, sorti en 2007, vous tuez Jean-Luc Godard. Au début, vous aviez prévu de tuer Fellini, mais il a eu le mauvais goût de disparaître avant que vous n’ayez le temps de faire votre film, donc vous avez choisi de tuer Godard qui, lui, était encore vivant, et a le sens de l’humour. Est-ce que vous ne l’avez pas tué aussi parce qu’il a arrêté d’être drôle dans ses films ?

Oh, il n’a pas arrêté. Quand il joue dans ses films, c’est un personnage qui est assez drôle. Il est très drôle dans ses interventions, aussi : il fait des numéros, des one man shows en dehors des films. Dans le dernier, il y a des choses drôles.

Dans Film Socialisme ?

Oui, cette histoire de lama, par exemple. C’est un humour assez spécial, c’est de l’humour vaudois. C’est réparti suivant les films. Dans

Prénom Carmen

, en 1983, il y a une attaque de banque qui est assez drôle.

J’aime beaucoup votre western psychédélique avec Jean-Pierre Léaud intitulé Une aventure de Billy le Kid sorti en 1971. C’est Jean Eustache qui a fait le montage. Son film Une sale histoire, ça vous fait rire ?

Euh,

Une sale histoire

, ça ne me fait pas tellement rire… Il y a un petit peu d’humour. Et est-ce que Jean Eustache participe à la Nouvelle Vague ? Effectivement, c’était le mari de la secrétaire des

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Cahiers du cinéma

, qui, en principe, était le lieu principal de la Nouvelle Vague. Il y a une sorte de filiation. À part qu’il faisait partie de la deuxième génération, c’est-à-dire qu’il a eu plus de mal à se défendre parce que les places étaient prises. Il y en avait déjà deux ou trois qui étaient connus, Godard, Chabrol et Truffaut, et les médias pouvaient difficilement accepter un renouvellement perpétuel. Donc il a toujours été un peu en retrait par rapport à cette effusion médiatique. D’ailleurs ça s’est mal terminé pour lui.

Oui, il s’est suicidé devant sa télé au début des années quatre-vingt. Au sein des Cahiers, et puis plus tard, en une cinquantaine d’années, vous avez accompli un travail critique considérable ; maintenant que vous avez derrière vous cette œuvre critique et cinématographique, est-ce que vous êtes revenu de votre cinéphilie ?

Revenu de la cinéphilie… Non. Je suis toujours intéressé par les films. L’oublier, non… D’ailleurs, peu l’ont oubliée.

Oui, Rivette va certainement mourir dans une salle de ­cinéma. Vous continuez à aller beaucoup au cinéma ?

Oh, c’est difficile à évaluer. Quant un film est mauvais, des fois, j’arrête, je sors de la salle… Surtout si je ne paie pas, mais même si je paie. Je crois que c’est autour de 80 films par an. Mais des fois, pour mon travail, je suis amené à voir ou à revoir des films, donc je ne tiens pas une ­comptabilité précise.

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Et quel genre de films vous allez voir ? Du cinéma « art et essai » ?

Le cinéma art et essai, ça recouvre des choses très diverses. Je me souviens d’un exploitant de Nice que Claire Simon a sollicité pour présenter son film,

Coûte que coûte

. Et il lui a répondu : « Oh, l’art et essai, j’ai déjà donné cette année, j’ai passé un film de Rémy. » On ne sait pas très bien où ça commence et où ça finit. Prenez Bergman qui était catalogué art et essai : un distributeur américain a essayé de le lancer, et il a connu des grands succès internationaux, à partir de

Cris et chuchotements

et

Scènes de la vie conjugale

. Donc je vais voir des films dans la mesure où on m’en a dit du bien ou que j’en connais les auteurs. Je peux tout aussi bien aller voir

Little Miss Sunshine

que des films de Mikhaël Hers.

Vous avez commencé à faire du cinéma dans la ligne de la Nouvelle Vague alors que ce genre de films étaient plus ou moins voués à l’échec commercial. Est-ce que dans votre carrière vous avez cherché le succès, en tant que cinéaste ?

À bout de souffle

et

Les Quatre Cents Coups

figurent parmi les plus grands succès de l’histoire du cinéma français. Ils ont coûté 400 000 francs à l’époque, c’était une somme très faible. Par exemple,

Les Quatre Cents Coups

, rien que la vente aux États-Unis dépassait le budget du film. Il a dû rapporter dix ou vingt fois ce qu’il a coûté.

Vous-même, vous vous êtes frotté au dur métier de producteur, avec Nathalie Granger, de Marguerite Duras. On voit d’ailleurs l’affiche dans la cuisine des protagonistes d’Anatomie d’un rapport. Pourquoi avoir produit ce film ?

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Parce que j’avais fait avant cela

Une aventure de Billy le Kid

qui avait eu des difficultés de diffusion. Dans ce cas-là, quand on a un film qui ne marche pas, la première chose c’est d’en tourner tout de suite un deuxième pour compenser les dettes du premier, avec l’avance sur recettes. Avec

Nathalie Granger

, j’ai pu payer les dettes de

Billy le Kid

 ; j’ai pompé les dettes du premier film avec les recettes du deuxième, et les déficits éventuels du deuxième avec les recettes du troisième… C’est le principe de la cavalerie.

Et ça a marché ? Ça vous a rapporté de l’argent ?

Oui, il a coûté 110 000 francs, c’est-à-dire à peu près 150 000 euros d’aujourd’hui, et il a eu 900 000 francs de recettes. Souvent, les films à succès sont plus parmi les films d’auteur, à petit budget, que parmi les films étiquetés « commerciaux ».

Vous disiez avoir eu des difficultés de diffusion pour Billy le Kid. J’avais pourtant entendu parler d’un doublage de Jean-Pierre Léaud en anglais – d’ailleurs, il aurait été volontairement mal doublé, et on l’aurait affublé d’une voix grave qui détonnait avec son physique fluet.

Le doublage, dans l’ensemble, a un côté parodique. Donc je me suis amusé à faire un doublage assez percutant pour ce film. Ce n’était d’ailleurs pas pour les États-Unis, mais pour l’Amérique du Sud, qui exigeait des versions anglaises. Vous savez par exemple que la population quechua préfère les films parlant anglais aux films en espagnol, parce qu’ils sont anti-espagnols. Sinon, j’ai pu bien le vendre dans des pays lointains comme le Sri Lanka, le Malawi ou les Philippines. À l’époque, les producteurs achetaient le film sans le voir. Et puis, au bout de dix ans, j’ai réussi à le vendre à la télé française. Mais il n’est pas encore sorti au cinéma en France.

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Tous vos films sont remplis d’humour, sauf un : Le Fantôme de Longstaff. Pourquoi avoir fait une pure tragédie ?

C’est l’adaptation d’une nouvelle de vingt pages de Henry James, un de mes écrivains préférés – et qui est le point de ralliement de la Nouvelle Vague. Chabrol a adapté

Le Banc de la désolation

, et une autre,

De Grey

. Y’a Truffaut qui a fait

La Chambre verte

. Rivette a aussi piqué une nouvelle de Henry James – mais le film n’est pas que ça – pour

Céline et Julie

. Moi, donc, j’ai suivi et j’ai fait

Le Fantôme de Longstaff

. C’était une sorte de coquetterie, ou une gageure. La nouvelle me plaisait, elle ne posait pas de problème financier – c’est deux femmes assises sur une plage déserte, hein – ; et bon, ça m’intéressait de voir ce que je pouvais en tirer. Et le film répondait au

Banc de la désolation

de Chabrol puisque c’était un thème de prédilection de Henry James, des gens sur un banc qui réfléchissent.

Est-ce que le fait de jouer dans vos films vous a aidé à acquérir une puissance comique en tant que réalisateur ?

Je peux faire du comique sans moi. Mon premier film,

Un steak trop cuit

, où mon frère joue, était comique, et je ne jouais pratiquement pas. Je connais mes possibilités sur le plan comique, j’ai un comique naturel et j’en profite. Donc je ne sais pas si ça ajoute, ce sont des formes de comique différentes quand il y a d’autres acteurs. Voilà ce que je peux dire à ce sujet.

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Vous êtes d’ailleurs assez minimal dans la direction des acteurs.

Oui, en général, les réalisateurs sortis des

Cahiers du cinéma

n’emmerdent pas trop les acteurs. Ils les choisissent. Souvent, ils écrivent le scénario après avoir choisi l’acteur. Par exemple, pour

Une aventure de Billy le Kid

, c’est Léaud qui m’a demandé de lui écrire un film. C’est intéressant, car c’est un contre-emploi parfait. Personne ne l’aurait imaginé en héros de western. Donc on conçoit les dialogues pour un ou des acteurs en particulier, en général on les connaît, on les fréquente. Y’a des actrices qui ont joué dans cinq ou six de mes films, donc on est en famille, on va pas les faire chier au tournage.

Dans Notre Alpin quotidien, un petit manuel du parfait cinéaste récemment paru aux éditions Capricci, vous livrez tout de même des conseils de direction d’acteur à l’usage des jeunes réalisateurs qui sont, au final, autant d’entourloupes.

Ah oui ! Par exemple, j’ai emprunté un conseil de Truffaut : quand un petit acteur doit jouer face à Depardieu, il panique un peu. Le truc, c’est de lui dire avant de tourner : « Écoute, je vais te demander un service, il faut que tu sois tolérant vis-à-vis de Depardieu qui est complètement saoul, qui est mal dans sa peau aujourd’hui… Essaie de l’aider. »

Ah, ah.

Ça déplace complètement le problème : pour l’acteur débutant, Depardieu va mal, et il oublie son propre problème.

Maintenant je voudrais vous poser des questions en votre qualité de spécialiste de l’humour drôle.

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Ben l’humour pas drôle, c’est une spécialité plus rare.

Qu’est-ce qui vous fait rire ? Vous citez souvent le stoner Pineapple Express, une production Judd Apatow.

Oui, je ne m’attendais pas à trouver un tel film intéressant. J’avais lu quelques critiques favorables et je suis allé le voir. Ça a été la surprise. En Amérique, souvent, je marche à la surprise. Il y a aussi un film que j’aime beaucoup qui s’appelle

Cloverfield

. Mais… C’est-à-dire que comme je fais des films qui font rire – enfin je l’espère –, je suis un peu choqué lorsque les autres font des gags. Je suis vexé de ne pas les avoir faits. Donc je ris moins.

Vous êtes sérieux là ?

Oui, oui. C’est la concurrence. Mais quand même, il y a des fois où je ris à gorge déployée dans le cinéma classique. Par exemple, un film extrêmement drôle, c’est

Chérie, je me sens rajeunir

de Howard Hawks. Une scène qui m’a fait rire aux larmes, c’est dans le film de Blake Edwards,

L’Amour est une grande aventure

 : l’écran est tout noir, mais un des deux mecs a un préservatif lumineux. Mais sinon, j’ai plus tendance à rire des gags que je suis en train d’écrire.

Vous riez tout seul en écrivant vos propres gags ?

Oui, je ris aux gags que je trouve dans la vie.

Vous avez vu Le Mari de la coiffeuse ? Avec Jean Rochefort qui danse sur du raï tout au long du film ? Ça me fait penser à vous qui dansez de tout votre cœur sur « Pop Corn » de Kingsley dans Ma première brasse.

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Oui, oui, ce film est assez réussi. Il y a deux films que j’aime bien de Leconte, c’est

Le Mari de la coiffeuse

et l’autre qui s’appelle

Tandem

. Ceux-là j’aime bien, les autres moins. Et par exemple j’aime beaucoup deux ou trois Lautner, comme

Les Barbouzes

,

Les Tontons flingueurs

,

Des Pissenlits par la racine

.

Oui, avec des dialogues d’Audiard.

D’Audiard, c’est ça. M’enfin, Audiard est un très mauvais dialoguiste, mais là, ça marche parfaitement.

Et les films de Quentin Dupieux, Rubber et Steak ?

J’ai pas vu

Steak

, mais

Rubber

est un film intéressant.

Ses films s’inspirent pas mal de vous. De Buñuel bien sûr, mais de vous aussi : rien que dans ces incursions impromptues de musique électronique qui créent une atmosphère bizarre, presque menaçante. Ça, c’est une des caractéristiques de vos films, que ce soit dans Une aventure de Billy le Kid, ou, plus proche de nous, dans Les Naufragés de la D17.

Ah, ça, je ne sais pas.

Si, si, j’en suis persuadée.

Ben peut-être, il faudrait que je voie

Steak

. Peut-être qu’il y a une influence… Mon premier film s’appelle

Un steak trop cuit

. Mais le thème du steak est assez présent dans le cinéma, chez Rohmer et John Ford, par exemple.

L’humour contemporain marche beaucoup sur la stupidité. C’est des sketches, une succession de sketches qui appellent à l’amnésie. Vous vous sentez en phase avec cet humour-là ?

Je ne sais pas s’il y a des différences énormes. Je prends des idées à droite et à gauche. J’ai un comique qui prend des choses très faciles, et des choses plus subtiles. Il y a un mélange. Mais je ne refuse pas la bêtise. D’ailleurs j’ai pour acteur fétiche Abeiller, qui joue beaucoup sur son côté demeuré.

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Et vous voyez des parentés entre votre comique et le ­comique belge ?

Le comique belge… Y’a l’humour extrême de Roland Lethem qui, lors des projections de ses films, mettait des boules puantes dans la salle.

Ouais, c’est potache.

Oui, oui. Et Thierry Zéno, son film qui narre une histoire d’amour avec les cochons… Effectivement, il peut y avoir des rapports. D’ailleurs, pour mon documentaire

La Terre de la folie

, beaucoup de gens ont cru que c’était un remake de

C’est arrivé près de chez vous

, le film de Poelvoorde. Ils pensaient que tout ce que je racontais était totalement imaginé. Les faits que j’évoque sont tellement étranges que beaucoup de gens se sont dit : « Ce n’est pas possible. C’est Moullet qui a inventé tout ça. »

Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, La Terre de la folie est un documentaire de 2008 qui tend à montrer qu’on trouve une proportion anormale de crimes sordides dans la région des Alpes du Sud, particulièrement dans un « pentagone de la folie » que vous avez tracé en rassemblant des faits divers. Il y a au contraire des locaux qui l’ont pris très au sérieux… J’ai lu des commentaires sur Internet qui parlaient de « préjudice incommensurable », et même de « diffamation ».

[

rires

] On a fait sortir le film là-bas au bout d’un an. Ona fait une projection à Manosque et ils ne pouvaient rien dire parce qu’il y avait eu des affaires très récentes. Notamment ce professeur d’histoire-géo qui venait de se faire licencier après avoir projeté en cours des films montrant l’atrocité de l’IVG – ce qui, pour moi, est une forme de folie. Et huit jours avant, il y avait eu le prof dont on s’était aperçu qu’il avait truqué son CV, et qu’il sortait d’asile psychiatrique – il avait tué quelqu’un. Ils ne pouvaient pas nier. Donc ça s’est bien passé. Il y a encore un peu de rancœur mais ça s’est tassé.

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Vous-même êtes originaire des Alpes du Sud. Je crois que vous avez un cousin, par exemple, qui a tué trois personnes.

Oui, sans motif. Et il y en a d’autres. J’ai fait des statistiques, 14 % des membres de ma famille souffrent de troubles mentaux.

Finalement, ça donne envie d’aller dans les Alpes du Sud. Vous considérez que vos documentaires sur un endroit précis – que ce soit La Terre de la folie, La Cabale des oursins sur les terris du Nord-Pas-de-Calais ou Foix, sur la pire ville de France – sont des films touristiques ?

Disons que c’est une autre façon d’attirer l’attention sur une région. D’ailleurs, on a fait une présentation de

La Cabale des oursins

à Roubaix, et il y a un comité qui m’a félicité. Ils voulaient faire classer les terris au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, et ils se servent notamment de mon film. Et de toute façon, la folie, faut pas en faire un drame. C’est assez mal vu mais finalement ça peut donner de très bonnes choses, ça dépend de la façon dont on le prend. Il y a une relation directe entre la folie et la création. Walser, Hölderlin, Artaud, Maupassant, Nerval… J’en oublie, la liste est longue. C’est pas forcé d’être fou pour être écrivain ou artiste, mais ça sert. Avoir des fous dans une région, ­finalement, c’est une mine d’or.

Et vous êtes sur quoi en ce moment ?

Là, j’ai six projets. En long métrage, j’ai un film comique sur le terrorisme qui s’appelle

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Le Journal de Marie

, mais qui a été refusé à l’avance sur recettes parce qu’on trouvait que ce n’était pas d’actualité.

C’est vrai ? C’est la raison qu’ils ont invoquée pour ne pas vous filer de blé ?

Oui, oui. Ils ont dit que c’était « daté ». J’ai un autre long métrage,

Pas l’ombre d’une palombe

, qui est un film comique sur la chasse. Et puis j’ai un court métrage sur une assemblée générale de copropriétaires.

Ça sent le vécu.

Oui. Et

Gusella

, une comédie de refuge. Ça se passe dans un refuge de 4 places, et 3 filles et 2 garçons qui espèrent ­coucher là. Et puis, qu’est-ce que j’ai ? Ah,

Avant le départ

, un film comique sur ce qui se passe avant le départ d’un marathon et qui se finit sur le coup de pistolet du départ. Et puis j’ai

La Vie en bleu

, une sorte de comédie à la Feydeau, un triangle modernisé. Autour du Viagra. Enfin j’en ai d’autres aussi…

OK. Ça, ce sont les six en préparation.

En préparation, c’est beaucoup dire. M’enfin, il suffit de trouver le fric et ça sera fait.

Et quand vous faites des courts métrages, c’est uniquement motivé par le fait que c’est plus facile au niveau financier, ou c’est un format que vous aimez ?

J’aime bien. D’ailleurs peut-être que mes courts métrages sont meilleurs que mes longs métrages. Je sais pas. C’est plus facile pour moi, car comme j’ai fait des longs métrages, je suis plus connu que des courts-métragistes normaux. Et puis le comique marche bien avec le court métrage. Y’a des limites aux zygomatiques. On ne peut pas réussir un film comique de trois heures.

Il y a cette idée selon laquelle les grands comiques sont déprimés. Est-ce que vous l’êtes, déprimé ?

Oh, ça m’est arrivé d’être déprimé à la suite d’un accident physique, mais je crois que je m’en suis assez bien relevé. Je suis quand même un homme fragile. Il y a Max Linder, par exemple, qui s’est suicidé avec sa femme et qui disait souvent : « L’humour, c’est la politesse du désespoir. » Il y a une relation. Il y a les comiques qui ont peur de moins faire rire qu’avant.

Ça vous hante, cette peur ? Parce que je vous rassure, c’est pas le cas.

Non, pas trop. J’ai battu le record de l’âge du comique, je suis le plus vieux.