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Culture

Mad Max : Fury Road est le seul film que vous devriez posséder en DVD

On aurait pu défoncer Jurassic World et Fast & Furious 7, mais on a préféré parler exclusivement de l'un des meilleurs films de l'Histoire.

Antonin et Étienne sont les fondateurs et présentateurs du Cinéma est mort, la meilleure émission de cinéma sur les radios françaises, diffusée sur Canal B. Ils parleront chaque mois sur VICE. com des sorties DVD et Blu-ray qu'ils adorent et des sorties DVD et Blu-ray qu'c'est pas la peine. Et le mois dernier il y en a une qui valait tellement la peine, que parler des autres c'était pas la peine…

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MAD MAX : FURY ROAD
Réalisateur : George Miller
Éditeur : Warner, sortie le 30 septembre 2015

Le mois dernier, on aurait pu causer de tous les splendides Nicolas Roeg qui sortent chez Potemkine, de l'indispensable édition de Fitzcarraldo du même éditeur ou du luxueux coffret intégral du trentenaire Retour vers le Futur. On aurait ouvert notre chronique sans surprise par une paresseuse mais nécessaire diatribe des nullissimes Jurassic World et/ou Fast & Furious 7. Mais comme la fin du mois de septembre a marqué la sortie d'un nouveau standard de la pop culture – tellement cool qu'on pourra le regarder 170 fois sans se lasser comme à peu près tous les films de Zemeckis –, on préfère parler exclusivement de Mad Max : Fury Road. Le chef-d'œuvre qui est venu rappeler à tous les tocards responsables des blockbusters tout pourris de ces dernières années ce que le Cinéma d'action à grand spectacle pouvait offrir quand, à la barre, se tient un homme qui ne se fout pas de la gueule de son spectateur.

Quand j'ai rédigé cette chronique, Fury Road n'était pas encore sorti en vidéo mais je l'avais déjà vu 10 fois – dont six fois en salle, en VO, en VF, en 2D en 3D. Je m'étais dit que j'attendrais la sortie du Blu-Ray pour le revoir une fois qu'il ne serait plus à l'affiche, mais la bonne qualité du rip dispo sur le net m'a permis de le mater quatre fois de plus, histoire de reprendre ma dose et de vérifier ma conviction qu'on tenait bien là l'un des meilleurs films de l'Histoire du Cinéma.

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Évidemment il ne fait aucun doute que le film rejoint Die Hard 1 et 3, Indiana Jones 1 et 3, Mad Max 2 , Terminator 1 et 2, au panthéon des films d'action les plus brillamment réalisés – ceux que je regarde une à deux fois par an, principalement les jours de gueule de bois. Ça a été dit et redit : à l'heure du tout CGI, il n'y a rien de tel que de voir de la vraie ferraille et de la vraie chair humaine à l'écran, mais si ça suffisait, on se contenterait aisément des making-of déments présents sur le disque. Or, ceux-ci ne sont pas mis en scène et montés par Georges Miller et Margaret Sixel, et ça fait toute la différence entre un spectacle motorisé du cirque du soleil en mode post-apocalyptique – spectacle en soi assez cool – et un putain de film.

Le film ayant été conçu et vendu comme une course-poursuite de deux heures, c'est évidemment par ses scènes d'action immersives qu'on accède en premier lieu au film. Et dès la première vision de Fury Road, j'ai bien eu l'impression de n'avoir jamais vu de truc pareil. Le film arrive à conjuguer la lisibilité totale d'actions multiples impliquant plusieurs personnages avec différents niveaux de profondeur de champ, le tout en maintenant une composition visuelle sidérante de beauté et un rythme effréné de découpage correspondant aux canons de l'époque (2 700 plans). J'ai bien essayé de comprendre comment tout ça fonctionnait réellement, mais soit je frôlais le syndrome de Stendhal, soit j'étais de nouveau embarqué par le film. Je laisse donc ça aux étudiants en Cinéma qui ne manqueront pas d'avoir le film au programme si leurs profs ne sont pas trop obtus. Dans Fury Road, on a à la fois, la splendeur visuelle, la fluidité, le dynamisme, et le sentiment de Chaos, et j'ai le sentiment que tous les grands maîtres du cinéma d'action ont toujours été jusqu'ici obligés de mettre de côté au moins un de ses aspects dans leurs scènes les plus virtuoses. Ici, on a tout ça en même temps. James Cameron qui réalise en ce moment ses Avatar 2 et 3 doit être en train de pleurer dans sa chambre, Michael Bay, quant à lui, doit avoir les narines en sang, tandis que McTiernan doit probablement regretter d'être sorti de taule.

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Le film pouvait difficilement décevoir les attentes de rollercoaster définitif. On pouvait déjà se rendre compte de ce qui nous attendait grâce à une bande-annonce sidérante à côté de laquelle le pauvre trailer full fan service du prochain Star Wars fait bien de la peine. Et surtout il était signé Georges Miller, le secret le mieux gardé de l'Histoire du Cinéma, l'homme qui aligne des films brillants depuis ses débuts, souvent à l'insu de tout le monde et de la critique en particulier. Il n'y a qu'à regarder le sort réservé à son dernier film, le génial Happy Feet 2, qui n'a même pas été distribué en version originale au pays du Cinéma. Miller est l'un des rares metteurs en scène pensant le médium Cinéma en terme strictement visuel et sonore, les dialogues ne dispensant que des informations parmi d'autres, au point d'avoir fait de son seul film n'appartenant pas à un genre, son terrassant mélodrame médical tiré-d'une-histoire-vraie L'Huile de Lorenzo, sorte d'épopée guerrière mythologique.

Son utilisation du médium est tellement virtuose qu'on peut retirer tous les dialogues et tout à fait saisir le bon déroulé de l'Histoire. Beaucoup ironiseront sur le fait que certains scénarios simplistes se passent aisément de dialogues pour se faire comprendre, et notamment celui de Fury Road, qui tiendrait soi-disant sur un ticket de métro. On leur rétorquera que n'importe quelle invention langagière syncrétique destinée à dépeindre ce monde post-apocalyptique enterre tous les dialogues proliférants de n'importe quelle série américaine (le McFestin au Valhalla, bordel !) et on les invitera à donner leur avis sur le scénario de L'Aurore de Murnau.

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En plus de me permettre de frimer un peu, j'en viens à convoquer ce genre de référence à haute teneur culturelle ajoutée, afin de préciser l'émotion que je ressens devant Fury Road. Car si je suis un petit peu trop jeune pour avoir connu le passage du muet au parlant au début des années 1930, prématurément vieux con comme je suis, j'aurais probablement fait partie de ceux qui hurlaient à l'abatârdisation de l'Art cinématographique à l'arrivée du son synchrone. Ça ne m'empêche pas d'être fan de La Maman et la Putain, mais il faut bien reconnaître que la puissance expressive visuelle et sonore de Mad Max : Fury Road donne pleinement à ressentir la force de ce que peut être le Cinéma en tant que forme d'expression artistique spécifique.

Certes, l'efficacité immersive de ses scènes d'action est déjà primitivement et proprement cinématographique, mais ce qui retient davantage l'attention à mesure des visionnages, c'est la sidérante force d'évocation de certaines de ses images : ce travelling accompagnant une lance à eau devant le ventre rond d'Angharad, cette contre-plongée sur Rictus clamant à la horde son désespoir mêlé de fierté d'avoir perdu un frère sain de corps, Max se débarbouillant avec du lait maternel, le regard impassible mais compassionnelle de Capable sur Nux, une main palpant amoureusement un sac de graines, le visage serein de sa gardienne mourant paisiblement, celui perdu et extatique d'une Furiosa lors de sa confession, etc. Fury Road regorge de moments mystérieux totalement habités qui me hantent encore et qui amènent le film sur un territoire tout autre que celui du blockbuster au sens classique.

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Le spectacle dément offert par le film en premier lieu fait écran à ses enjeux profonds. J'ai ainsi souvent eu l'impression d'être un doux dingue auprès de mon entourage le moins convaincu quand, au fur et à mesure des visionnages, j'en suis venu à penser et à formuler l'idée que Fury Road était une sorte de poème. Poème, car si j'adhère souvent à la plupart des lectures féministes, anticapitalistes, écologistes ou même vegan du film, tous les humanismes convoqués et plaqués sur Fury Road ne me semblent pas contenir l'entièreté de sa puissance d'évocation. Cette histoire limpide d'aller et retour est transcendée par un sens du détail reposant sur un réseau symbolique fascinant. Un pied dans le concret et l'incarnation la plus totale, l'autre dans le symbolique et le mythologique, telle est la position de Miller.

S'il y a bien un motif central dans Fury Road, c'est le rapport de l'Homme à l'Humanité et à la sienne propre. Motif dont le point de départ serait une fuite pour ne pas devenir une ressource de sang, de lait maternel, à l'image d'une source d'eau ou d'un gisement de pétrole. Ces quatre fluides autour desquels est organisé l'univers du film et dont la propriété engendre le pouvoir des uns et l'aliénation des autres. Une fuite en avant loin des hommes pour ses femmes considérées comme de jolis sacs de viande, et fuite en avant loin des Hommes et de lui-même pour Max saisi tel un fantôme en début de film. Une fuite qui deviendra un combat, quand Max se sera réconcilié avec son humanité, et qu'il finira par convaincre ses compagnons de cavale qu'il n'y a rien à gagner à fuir la société des Hommes, et qu'il n'y a de salut qu'en agissant en son sein.

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L'un des climax du film qui voit Max devenu altruiste donner son sang tout en dévoilant enfin son nom, lui à qui le film a refusé longtemps un visage (la pilosité hirsute, l'étrange tissu caoutchouteux précédant le prégénérique, puis la muselière), tout comme l'usage du langage (les borborygmes) dit bien tout le mouvement du film vers un retour d'une Humanité libérée de ses chaînes et soucieuse de son devenir.

Miller y aura auparavant filmé les Hommes comme des machines et les machines comme des Hommes, à la manière du War Rig reprenant son souffle après être passé en apnée derrière un déluge de sable, ou du cordon ombilical qu'Organic the Mechanic manipule comme une durite. Depuis la première séquence qui montre Max en train de tenter d'échapper au marquage au fer rouge qui inaugure un déluge de tôle froissée, et de terre dévastée, de chair meurtrie par les mutations et les mutilations, de psyché troublée par les traumatismes et le fanatisme, la condition humaine entravée surnage avec tant d'effort qu'on finit par paradoxalement ne plus voir qu'elle. Dénudée, pure et bouleversante, d'une façon que seul le Cinéma pouvait montrer.

Fury Road épuisera probablement des tas d'exégètes par la profusion de dimensions qu'il contient. Pourquoi ses sens atrophiés, chez les bad guys du film ? Le goût pour Immortan Joe, l'odorat pour le People Eater, la vue pour le Bullet farmer, le toucher pour la traîtresse Furiosa ? Pourquoi cet attachement à supplicier Max via les quatre éléments (trajet initiatique que l'on retrouve dans Gravity) pour le faire redevenir un Homme ? Fury Road a des mystères dans lesquels j'aurais plaisir à m'abandonner encore maintes et maintes fois. Ça tombe bien, on aura l'occasion d'y revenir car on en a assurément pas fini avec ce film qui risque fort d'essaimer partout, que ce soit au cinéma, mais aussi, dans la musique, le jeu vidéo, la bande dessinée ou même ailleurs.

Bref, Fury Road est le chef-d'œuvre dont je suis reconnaissant d'être le contemporain, et le film que son époque nécessite. Mais, évidemment, celle-ci n'a pas encore tout à fait l'air de le comprendre : Colin Trevorrow s'apprête à torcher un Jurassic World 2 , alors que rien n'indique clairement que Wasteland, prochain opus de la saga Mad Max ait le feu vert de la Warner. Comme dirait Immortan Joe à la foule assoiffée après avoir fermé les robinets de flotte : ne vous y habituez pas, vous pourriez ressentir son absence.

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