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Musique

Mais où sont donc passés tous ces groupes de punks camés et homosexuels musulmans ?

Les punks à djellaba et les riots grrrls en burqa pogotent toujours quelque part au nom d'Allah.
Jamie Clifton
London, GB

The Taqwacores est un roman publié en 2003, écrit par le musulman converti Michael Muhammad Knight. Le bouquin raconte la vie au sein d'un repaire de punks musulmans de Buffalo, dans l'État de New York. Les résidents de ce havre vont du skinhead chiite aux riot grrrls affublées de burqas, des queer-punks homosexuels aux rude boys soudanais, et qui ont la particularité de mettre en avant une interprétation très personnelle des enseignements distillés par le Coran, au point que jouer du punk-rock et se défoncer la gueule est – pour eux – la meilleure façon de prouver leur dévotion sans bornes à Allah. Pour illustrer cette philosophie, rien de tel que de citer quelques extraits du livre : « On trouve des hadiths qui expliquent que le prophète Mahomet se servait de pommes de pin comme de godemichés », ou encore : « L’agnosticisme est le véritable islam parce que nous recevons les réponses à nos questions de la part d'Allah en personne et pas de cette tête de bite d'imam Siraj. »

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SCOOP : Étonnamment, très peu d'imams ont apprécié l'histoire rapportée par Knight. Son livre a été très largement censuré et boycotté. Sans surprise, toute cette affaire l'a rendu encore plus populaire – je me demande d'ailleurs quand ces pipes de boycotteurs apprendront à arrêter de se tirer une balle dans le pied avec leurs conneries. Toute cette polémique a donné un sérieux coup de pouce à toute une contre-culture islamo-punkoïde prête à exploser aux États-Unis. Par la suite, ces gros culs de journalistes se sont mis à coller l'étiquette « Taqwacore » sur n'importe quel groupe de punk musulman, emmerdant au passage pas mal de personnes. En plein cœur de la hype, le réalisateur Omar Majeed a réalisé un documentaire incroyable sur cette scène naissante, Eyad Zahra a défiguré avec brio ce bouquin pour l'adapter en un film ressemblant à une très mauvaise copie d'un très très long épisode de Skins. Le photographe Kim Badawi a, quant à lui, sorti un beau livre rassemblant des photos prises lors des tournées des groupes de cette scène, ultra-médiatisée un jour, oubliée le lendemain.

Beaucoup de questions attendent encore des réponses. Où sont passés tous ces groupes ? Le roman reflétait-il fidèlement cette scène ? Quelle est la différence entre taqwacore et islamo-punk ? Qui est à l’origine d’expressions comme islamo-punk ? J'ai parlé de tout ça à Kim Badawi pour en savoir plus sur ce mouvement et les photos qu'il a prises.

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VICE : Aide-moi à comprendre, le taqwacore est un livre qui a donné naissance à un mouvement ou un mouvement qui a donné naissance à un livre ?
Kim Badawi : Pour être honnête, c'est un peu des deux. C'est Michael Muhammad Knight qui a inventé le terme avec son livre, permettant à tous les punks musulmans de se rassembler sous la même bannière. Cela dit, la majorité des gens qui faisaient partie des débuts de la scène taqwacore étaient de simples mômes américains qui aimaient le ska, le reggae ou le punk et dont les parents étaient partis de pays musulmans pour s'installer aux États-Unis.

D'où vient l'étiquette « taqwacore » collée sur tous les groupes de punk musulman ? Ils ne se sont pas identifiés comme étant des « taqwacoreux » dès le début ?
Non, pas du tout. Le mouvement était tellement perturbant pour les médias qu'ils ont préféré le conditionner selon la définition donnée par un roman écrit par un musulman blanc qui a fini par inspirer une frange de la jeunesse musulmane américaine. D'une certaine façon, ce mouvement a poussé de jeunes musulmans à former des groupes qui se sont eux-mêmes étiquetés « taqwacore » par la suite. Mais le truc, c'est que des groupes de punk américains comportant exclusivement des membres musulmans, comme Fearless Iranians From Hell, existent depuis les années quatre-vingt.

Je suis sûr que ces mecs avaient des tee-shirts de groupes qui défonçaient. À partir de quel moment a-t-on vu le premier groupe s'identifier taqwacore ?
En tout cas pas avant la sortie du livre. Vote Hezbollah a été le premier artiste taqwacore en soi. Sa musique était punk à bien des égards car elle tournait autour d'arrangements de deux ou trois accords. Mais il avait aussi un son garage très distinct parce qu'il enregistrait avec des écouteurs dans sa chambre chez ses parents.

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En quoi ça en fait du taqwacore, plutôt qu'un mec de confession musulmane qui fait du punk ?
Parce que le mec s'est lui-même étiqueté taqwacore. Mais le genre ne se résume pas uniquement à du punk-rock, il y a de fortes influences hip-hop, électro, d'autres venant des films de Bollywood ou de sonorités nord-africaines et arabes. En fait, tout et n'importe quoi.

OK, donc « taqwacore » serait un terme générique plutôt qu'un genre à part entière ?
Ouais, le mot « taqwacore » vient du terme « taqwa » qui, en Arabe, est une notion comprenant à la fois la peur et l'amour de Dieu. On trouve aussi la racine du mot « hardcore », comme dans « hardcore punk ». Donc l'expression rassemble simultanément l'acceptation de l'Islam et un rejet des valeurs établies, un désir de vivre selon ses propres interprétations du Coran. Du coup beaucoup de groupes se sont dénommés taqwacore pour montrer que c'était aussi leur façon de voir les choses.

Les interprétations taqwacore de l’islam sont-elles proches de la version du Livre ? Y’a vraiment des gens qui croient que fumer de l'herbe est autorisé parce que le Coran l'a dit ?
J’ignore si tous ces mômes ont leur propre interprétation de l'islam. Mais ce qui est certain, c’est que personne n'est jugé en fonction de ses lacunes ou de sa réinterprétation personnelle des codes musulmans, et ce même si leur interprétation est hyper chelou. C'est pour ça que le taqwacore est bien plus qu'une contre-culture, c'est aussi un espace de discussion et de réflexion.

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Comment ces deux cultures si différentes ont pu fusionner ? Le punk et l'islam sont diamétralement opposés, même si Michael Knight pense le contraire.
Il gerbent tous pendant la prière, je dirais. J'en sais trop rien en réalité.

Ouais. À quel moment la scène a adopté un look punk ?
Si on parle d'attitude punk, Basim Usmani – le chanteur des Kominas – vient plutôt d'un milieu gothique. Il s'est mis à arborer une crête à des concerts de punk à Cambridge et Boston aux alentours de 2005.

Est-ce qu’il y a réinterprétation des codes vestimentaires musulmans traditionnels pour coller au taqwacore ?
Ouais, d’autant que beaucoup de ces artistes viennent d'horizons hybrides, donc le mélange des styles et des cultures est de mise. Après tout, il y a des similitudes entre le look punk et des vêtements du Moyen-Orient associés à la rébellion et au combat.

Genre quoi exactement ?
Le keffieh est considéré comme une écharpe palestinienne dans le monde occidental, mais ces motifs noirs et blancs montrent qu'il est en réalité associés aux Bédouins qui ne se réclament d'aucune nation – ce qui est plutôt punk. Aussi, la djellaba, le tchador, la burqa, le hijab et le niqab – qui sont des vêtements portés par les femmes au Moyen-Orient – peuvent être vus comme des symboles de cette rébellion et de ce combat dont j'ai parlé.

Justement, l’acte de rébellion consisterait à ne pas porter ces vêtements dans un pays musulman ? Le taqwacore a-t-il encouragé les femmes musulmanes à s’en débarrasser ?
Comme pour toute mode, l'interdiction rend la chose contagieuse. On a observé que parfois, la musique, l'art ou la littérature taqwacore ont incité des individus à se rebeller. Dans le cas du port du foulard islamique, par exemple.

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Ça s'est passé où ?
Le livre a été interdit dans une école musulmane exclusivement réservée aux filles, située à Sugarland, dans le Texas. Évidemment, ça n’a fait que rendre le livre encore plus populaire auprès des étudiantes et ça a conduit de beaucoup de filles à se rebeller – dans beaucoup de cas, ça s'est traduit par le fait d'enlever leur voile.

Cool. Et pourquoi la presse a arrêté de parler du mouvement ? Tous les groupes se sont séparés ?
Non, mais tu sais comment c'est. Les médias ont tendance à exagérer et faire en sorte qu'un truc soit partout, et d'un coup ils oublient tout. La majorité des groupes sont toujours ensemble et partent régulièrement en tournée.

Donc tu penses que le taqwacore continue à faire des émules ?
Carrément.

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