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Sexe

Des intermittents du spectacle se sont foutus à poil dans la rue

Montrer leur pubis est une manière de revendiquer leur statut.

Photos : Vincent Muteau

Le 22 mars dernier, le gouvernement signait une nouvelle convention sur l'assurance-chômage avec les représentants du patronat. Dénoncée par les intermittents, qui craignent qu'elle ne les pénalise, elle a entraîné une petite crise culturelle qui a débuté avec la suspension du Printemps des comédiens. Les directions d'autres festivals, comme celle du Festival d'Avignon, ont menacé le gouvernement d'une annulation pure et simple pour protester contre la réforme.

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Les intermittents du festival Furies, à Châlons-en-Champagne, ont décidé d'apporter leur soutien au mouvement de protestation, et ont tenté de faire entendre leurs revendications par Aurélie Filippetti. Ils se sont rendus à Guise (Picardie), où la ministre de la Culture était en déplacement mardi dernier, et pour une raison inconnue, se sont foutus à poil et ont fait des pyramides humaines.

J'ai appelé Peggy Donck, leur porte-parole, pour lui demander pourquoi les acteurs de ce qu'elle a décrit comme un festival « plutôt familial, qui fait cohabiter les arts du cirque et le théâtre de rue » ont décidé que le mieux à faire était de se présenter tout nu à une ministre.

VICE : Comment s'est décidée votre action de mardi dernier ?
Peggy Donck : Les quatre compagnies chargées de l'ouverture du festival se sont réunies lundi soir afin de décider s'il fallait maintenir le festival ou entrer en grève. Nous réfléchissions au type d'action à entreprendre quand nous avons appris qu'Aurélie Filipetti était à Guise le lendemain matin, et nous nous sommes dit que ce n'était qu'à deux heures de route, qu'il fallait tenter le coup. Nous voulions profiter du fait que nous sommes des artistes pour produire des images un peu choc, qui seraient relayées dans la presse. Cela ne veut pas dire que c'est dénué de sens ou de revendications.

Quelles sont-elles, vos revendications ?
Nous voulions interpeller Aurélie Filipetti, même si elle est déjà au courant de ce que nous demandons. C'est assez clair : nous voulons que François Rebsamen renonce à signer la convention. Mais ça, elle le sait, tout le monde le sait. Nous voulions donc produire une image forte pour débloquer la situation. Quand elle est entrée au Familistère de Guise, des acrobates étaient disposés en colonnes de trois, mais elle ne nous a pas vus. Comme on savait par où elle allait passer ensuite, on l'a accueillie nus, sans contestations, juste pour dire : « Vous nous dénudez ». C'est un moyen de dire, sans parler : « Regardez ce que vous nous faites ».

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Mais pourquoi avoir manifesté nus ?
Pourquoi ? Vous faites exprès ou il faut que je vous explique ?

Euh… j'aimerais juste comprendre pourquoi vous étiez à poil devant une ministre.
Comment expliquer silencieusement qu'on se sent mis à poils par cette réforme, autrement qu'en se mettant littéralement nus ?

D'accord. Bien sûr. Mais en fait, je me demande quand même pourquoi vous n'avez pas préféré manifester avec des pancartes et des vêtements.
Vous voyez le buzz qu'on a fait ? On l'aurait jamais fait habillés.

C'était juste pour le « buzz » ?
Non non non, on était à Guise, on a décidé d'y aller à 1h30 du matin la veille, sans prévenir personne. Les agences de presse n'étaient pas prévenues du déplacement. Et puis nous avons décidé de nous déshabiller alors que nous étions sur place, quand elle est arrivée sans nous voir. C'est là qu'on a décidé de faire ça, pour qu'elle nous regarde.

Ça s'est décidé facilement ? Personne n'a essayé de dissuader les autres ?
Non, pas du tout.

Tout le monde était d'accord pour se mettre à poil et faire une pyramide ?
Ah oui, oui, et puis ceux qui ne voulaient pas le faire ne participaient pas, donc ça n'a posé aucun problème.

D'accord. Et comment Aurélie Filippetti a réagi en vous voyant ?
Elle a été plutôt chouette. Il y avait des policiers, et nous avons pris le temps de discuter avec eux pour expliquer que nous n'allons pas l'alpaguer ou l'agresser, que nous voulions juste lui parler. Nous lui avons fait une haie d'honneur, sans que la police ait besoin de déployer un cordon de sécurité car ils ont vu que ce n'était pas nécessaire. Nous voulions que l'image soit belle et qu'elle nous entende. Elle aurait pu rentrer tout de suite dans le théâtre mais elle s'est arrêtée, nous a salués, nous a montré qu'elle nous avait vus. On a discuté de manière très cordiale.

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Des intermittents lors d'une autre manifestation.

J'ai vu une photo de l'événement où Aurélie Filipetti discute avec un homme torse nu, mais qui porte quand même un pantalon. C'est parce qu'elle a refusé de parler à quelqu'un de tout nu ?
Pas du tout. Tout est allé très vite, et l'homme en question n'avait simplement pas envie d'aller lui parler dans son plus simple appareil, donc il a mis un pantalon avant d'aller discuter avec elle. Il n'y avait rien de prémédité : on est arrivés, on a voulu faire une action, on ne nous a pas vus, donc on a recommencé en étant nus. Elle ne nous a pas reproché notre nudité, elle n'a pas paru offensée.

C'est tout à son honneur. Et, indépendamment de vos revendications, est-ce que vous espérez que cette action fasse de la pub pour votre festival ?
Ça ne fait jamais de la pub. C'est toujours un problème de ne pas aller à la rencontre du public, un problème pour les compagnies qui ont décidé de ne pas jouer. Quand on prépare un spectacle pendant trois ans et qu'on décide de ne pas jouer, on perd de l'argent, de la visibilité… On prend cette décision en sachant que cela laissera des traces, un vrai manque à gagner, des cicatrices à long terme… Mais c'était notre seul moyen de pression sur le gouvernement. On entend dire que les intermittents prennent le public en otage, mais c'est le gouvernement qui nous a pris en otages le premier. C'est notre seul moyen de dire : « Stop ! Écoutez-nous, écoutez nos propositions ». Nous sommes convaincus que nos décisions sont justes, mais elles ne sont pas prises en compte. Alors même si on meurt d'envie de jouer, nous avons décidé de ne pas le faire, pour pouvoir être entendus.

C'est compliqué pour le festival. À Chalons-en-Champagne, le FN a fait 23%, un représentant du parti siège au conseil municipal, donc c'est difficile pour nous de prendre une telle décision ; mais c'était symbolique. La presse s'est déplacée, et c'est important pour nous, si on veut être entendus.