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Sexe

Marco Vidal vient d’écrire le premier bouquin historique sur le fist-fucking

En 146 pages, l'auteur s'est étendu sur la dimension littéraire, médicale et sociologique de cette pratique toujours associée à une forme de violence.

Popularisé par le documentaire La Fistinère, Caméra au poing, le fist-fucking est une pratique sexuelle toujours considérée comme marginale et associée à une certaine forme de violence. Conforté d'une part dans son extrémisme visuel par le porno et scruté de l'autre par le petit bout de la lorgnette derrière lequel se massent moqueries et blagues plus ou moins drôles, le fist-fucking ne semblait pas promis à un traitement autre que sectaire.

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Mais cette année, cette pratique se trouve au cœur du livre Fist, paru aux éditions Zones en janvier dernier. Rédigé par un professeur de philosophie sous le pseudonyme de Marco Vidal, cette enquête de 146 pages retrace l'histoire de cette pratique, ciblant ses clones historiques et ses images littéraires. Au cours de ses recherches, Marco Vidal explore de nombreuses pistes, où s'entrecroisent des enquêtes de terrain, des études anthropologiques et des thèses de médecins du 19ème siècle tournant exclusivement autour du rectum.

Dans cet ensemble cohérent se dessine l'évolution d'une pratique, métamorphosée et propagée jusqu'à notre époque sous la forme d'un acte violent, que ce livre essaye de redéfinir en lui conférant une histoire et une autre interprétation. J'ai discuté avec Vidal de son projet, qui a pris forme dans son esprit il y a de cela 30 ans.

VICE : Comment avez-vous eu l'idée de ce projet ?
Marco Vidal : Au départ, il y a une curiosité de ma part qui vient de loin. Quand j'étais jeune, je suis tombé sur un entretien avec un jeune homme prénommé Jean-Luc, paru dans la revue homosexuelle Gai Pied. Découvrir l'existence du fist-fucking a été pour moi une révélation, celle d'une puissance du corps que je ne connaissais pas, que je n'arrivais même pas à concevoir, et qui est depuis restée une source de curiosité. Je n'ai jamais oublié cet entretien que j'ai eu l'occasion de retrouver 30 ans plus tard. De là est née l'idée d'aller plus loin.

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Jean-Luc se présentait comme un hétérosexuel, mais il fréquentait des homosexuels pour satisfaire sa passion du fist-fucking. Il en parlait avec une précision et une sérénité qui étaient aux antipodes de ce que l'on pouvait imaginer d'une perversion. Il y avait quelque chose de très sain, de très normal chez ce garçon qui, en même temps, exerçait une pratique d'un autre monde. Tout le reste de mon livre s'est agrégé autour de cet entretien.

Le livre est un mélange d'enquêtes et d'autofiction. Au croisement de ces deux formes, quel a été votre postulat de départ ?
Quand j'ai commencé l'enquête, j'avais un vrai problème. La croyance collective veut que le fist-fucking soit une pratique inventée par le 20 ème siècle. C'est une pratique qui a 50 ans d'âge, on ne trouve pas de témoignages antérieurs. Quand j'ai entamé l'enquête, j'avais peur de ne pas trouver trouver grand-chose.

J'ai ouvert le champ de l'enquête aussi large que possible, j'ai enquêté sur un plan historique et médical avec des recherches à la BNF, puis sur un plan littéraire et sociologique. Je voulais rencontrer des gens qui pratiquaient le fist-fucking. Au début, j'étais très naïf, je leur disais : « Bonjour, je fais un livre sur le fist, est ce que vous voulez répondre à mes questions ? » Je me faisais systématiquement raccrocher au nez.

Le magazine Gai Pied, à l'origine de l'enquête de Marco Vidal

Ils n'avaient peut-être pas conscience de la teneur du projet ?
Je pense que ça leur paraissait incroyable qu'on puisse faire un livre sur cette pratique. J'ai rencontré des homosexuels qui me disaient : « Vous savez, je peux dire à ma famille que je suis homosexuel, mais ça les choquerait profondément de m'entendre dire que je pratique le fist-fucking. » Pour pouvoir parler avec ces gens-là, il a fallu que je fasse de l'observation participante – cela implique de se fondre dans le milieu, de devenir complice avec ses interlocuteurs. J'étais dans une position d'observation, et au bout de quelque temps, je pouvais vraiment discuter avec eux.

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C'est par cette observation que vous en êtes venu à la déduction que le poing n'était pas seulement une violence, mais plutôt « une forme d'amour », une manière de se reconnecter au corps.
Dans le cadre de mon enquête, j'ai été amené à lire la formidable enquête de l'anthropologue Gayle Rubin sur les Catacombes, un club privé de San Francisco qui a ouvert en 1975. Dans sa description du club, on est tout de suite frappé par l'extraordinaire raffinement dans les relations sociales, dans l'atmosphère, dans l'organisation du lieu. C'est le contraire de la violence et de la perversion – on y sent même une certaine douceur. Il a fallu que je fouille à travers l'histoire, et pour moi, cela consistait à remonter vers ce « poing d'amour ».

Le Poing de Winschluss. Image via

Du coup, les Catacombes vous ont servi de point de départ pour remonter plus loin dans l'histoire ?
Exactement. Une autre étape importante pour moi, c'était la médecine du 19ème siècle. J'avais lu des textes de psychiatres sur l'inversion sexuelle, et j'avais été frappé par la qualité littéraire de leur texte et de leurs cas cliniques. J'ai donc épluché toutes les thèses de médecine du 19eme siècle où se trouvaient les mots « anus », « rectum » et « sphincter ». Pendant un certain temps, j'avais un peu honte de mes commandes à la BNF parce qu'elles tournaient exclusivement autour du rectum. Dans ces textes, j'ai découvert la généalogie d'une pratique médicale qui est le clone du fist-fucking. C'est une pratique thérapeutique de la fissure anale, qui est une contraction du sphincter à l'aide des doigts et du poing.

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Pensez vous qu'un documentaire comme La Fistinière puisse faire évoluer les mentalités du grand public sur cette pratique ?
Je vois les visiteurs de la Fistinière comme les héritiers des Catacombes. Il y a ce même côté très convivial. Les gens qui vous reçoivent sont eux-même adeptes de cette pratique, il y a un cadre d'accueil, pour moi c'est une forme d'héritage. Mais en dépit de mon livre, je pense que l'opprobre qui pèse sur cette pratique n'est pas prêt d'être levé. Mais j'établis un parallèle avec la sodomie : avant, la sodomie conduisait les gens aux bûchers – quatre siècles plus tard, c'est devenu une pratique assez banale chez les hétéros comme les homos.

Aux États-Unis, il y a carrément des guides de fist-fucking, des clubs dédiés à cette pratique. On retrouve le côté très pragmatique des Américains, beaucoup plus déculpabilisé. Un jour, j'ai rencontré un acteur porno qui tourne souvent en Allemagne, et qui m'a dit : « les Allemands ont tous leur bac de fist. » En Allemagne, ces pratiques sont bien plus courantes et ordinaires qu'elles ne le sont dans les pays latins. Je pense qu'il y a dans les pays latins une forme de culpabilité qui pèse sur le corps, sur certains aspects qui rendent difficile l'acceptation de ces pratiques. Les pays anglo-saxons semblent moins gênés.

Dans votre livre, vous dites que le fist est peu théâtralisé dans le porno, au contraire du SM par exemple.
Les vidéos porno mettent l'emphase sur la violence de la pénétration. C'est jusqu'où rentre le poing, l'avant-bras, le coude, le bras – on est dans la performance. De ce point de vue-là, je mets à part les vidéos d'Amerifist, qui relèvent presque de l'art. Dans ce contexte, il ressemble véritablement à une forme d'ascèse, à la fois amoureuse, sexuelle et physique.

Vous ne vous êtes pas juste intéressé à l'acte en lui-même, mais aussi à tout ce qui l'entoure. C'était important pour vous d'avoir une vision d 'ensemble ?
Comme toutes les ascèses, c'est un rituel, et comme dans tous les rituels, on y trouve des objets symboliques comme le gant, les lubrifiants ou encore le Poppers. C'était important pour moi, parce que cela participe à une forme de déréalisation du rectum. La préparation symbolique du fist change la nature même du rectum. C'est ce qui fait que pour moi, ce lieu du corps devient tout à fait autre chose qu'un lieu anatomique.

Avec ce livre, est ce que vous avez envie de vous adressez à un public en particulier ?
On pourrait penser qu'il y a un public de concernés, qui peut y trouver quelque chose. Je n'en doute pas, mais ce n'est pas du tout eux que je vise. Encore une fois, c'est un livre de littérature, et la littérature est une effraction. Elle vous amène là où vous ne vous y attendiez pas, et c'est exactement ma démarche. C'est une invitation sans engagement, à découvrir un certain monde. Je n'ai pas voulu en faire un livre de provocation ou pornographique, ça ne m'intéressait pas du tout. Par contre, je joue franc-jeu et je montre tout. La littérature peut se permettre ça.