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On a discuté avec plusieurs personnes qui exercent un « métier d’enfoiré »

Huissier, contrôleur, journaliste, médiateur pour les Pierrots de la nuit – on a discuté avec des gens que tout le monde adore détester.

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Il existe différents types de jobs : ceux que tout le monde rêve de faire, ceux que la vie nous impose, et ceux que personne n'aimerait occuper – pas même dans un remake dystopique de sa propre existence. Ces métiers-là peuvent comporter plusieurs caractéristiques capables de dissuader quiconque de se diriger instinctivement vers ces carrières : l'assurance d'une vie précaire et physiquement éreintante, un quotidien rébarbatif, ou encore une image publique peu reluisante – une mauvaise réputation qui leur vaut regards noirs et jugements malheureux de la part de citoyens lambda, quand ce n'est pas les insultes.

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J'ai décidé de donner la parole à ceux que vous nommez au mieux « enquiquineurs », au pire « enflures professionnelles », histoire de gratter le vernis de la profession pour révéler l'humain qui existe en dessous. Et tenter de lever les a priori et comprendre comment du jour au lendemain, on décide de devenir huissier, trader, contrôleur SNCF ou encore recouvreur de dettes pour les agences de crédit.

Tout d'abord, force est de constater que nombre de ces métiers n'ont pas forcément fait l'objet de vocations passionnées. D'autres, comme on pourrait s'y attendre, ne sont exercés que dans une logique temporaire, le temps de mettre de côté ou de trouver autre chose. Mais au final, le bilan est assez mitigé. Certaines personnes ont réellement trouvé leur voie, quand d'autres ont été amenées à regretter amèrement leur choix.

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CONTRÔLEUR
J'ai exercé le métier de contrôleur pendant 10 ans, de 1997 à 2007. Au départ, c'est l'opportunité de travailler dans une grande entreprise et la sécurité de l'emploi qui m'ont attirée, ainsi que le contact avec les gens et la mobilité. De plus, il suffisait d'avoir son bac pour exercer, donc c'était facilement à ma portée à l'époque, vu que j'avais 22 ans et que je m'étais arrêtée en DEUG.

Le contrôleur a plusieurs missions. On se doit d'informer les voyageurs et de faire en sorte qu'ils arrivent à destination (donc gérer le problème des correspondances en cas de retard), de sauvegarder les recettes par le contrôle des voyageurs à bord et la vérification des tarifs réduction, et enfin assurer la sécurité à bord des trains, mais aussi sur la voie ferrée. Nous devons assister le conducteur du train en cas de problème. Sur les TER et sur certaines lignes non équipées de caméra, nous devons transmettre le départ au conducteur via une clé que l'on tourne et qui transmet un signal en cabine afin de dire au conducteur qu'il peut repartir sans avoir oublié personne sur le quai, et que les voyageurs ont eu le temps de descendre du train, ce qui est bien plus prioritaire que le contrôle des billets.

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Le rapport avec certaines personnes, et notamment les usagers habitués, était parfois difficile. Certaines personnes sont très en colère à cause des retards des trains et des perturbations, ce qui peut se comprendre. Dans ces cas précis, les contrôleurs se trouvent en première ligne et il arrive qu'on fasse insulter, agresser ou qu'on nous empêche de faire notre travail de contrôle – quand on refuse de nous présenter un titre de transport, par exemple.

Mais à part ça, j'ai fait de belles rencontres. Aider des gens à arriver à destination en période de fortes perturbations, permettre à des familles de retrouver leur enfants en fugue, alerter les autorités lors de faits dangereux à bord du train et préserver ainsi la sécurité des passagers, rassurer par ma présence dans des trains parfois trop déshumanisés… ça faisait aussi partie de mon boulot. J'ai même une collègue qui avait « aidé à accoucher » une passagère sur un train Paris-Lyon.—SOPHIA

HUISSIER DE JUSTICE
Le métier d'huissier de justice n'était pas une vocation. Il a parfois une image négative et il ne me faisait pas rêver, soyons honnête. J'ai fait des études de droit et je souhaitais vraiment un métier avec une absence totale de routine, un métier de terrain et de contact humain. C'est donc assez naturellement que je suis devenue huissier de justice.

C'est un métier mal aimé parce qu'il est mal connu. Les gens le savent peu mais mon travail est de concilier, de trouver la solution la plus adaptée à chaque situation. Nous avons tous en tête l'image de l'huissier qui vient sonner à votre porte pour saisir vos meubles, c'est une réalité mais c'est une action de dernier recours ; elles n'est en aucun cas systématique dans une procédure. Notre mission est avant tout d'engager un dialogue entre les différentes parties (le créancier et le débiteur par exemple) et de trouver une solution adaptée à chaque situation.

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Je suis souvent confrontée à des gens qui ont peur d'engager ce dialogue car lorsqu'ils entendent « huissier » ils prennent peur et occultent le problème, ce qui nous contraint, en vertu de la loi, à engager des saisies, afin de les obliger à rentrer dans le dialogue et mettre en place un plan d'apurement. Nous avons également un rôle de régulateur économique et social.

Je me souviens notamment d'un propriétaire qui achète un appartement à crédit et le donne en location en pensant que les loyers pourront payer les échéances du prêt. Le locataire cesse alors de payer ces loyers et le propriétaire ne peut plus faire face à ses échéances, la banque est alors contraint d'engager une procédure de saisie immobilière à l'encontre du propriétaire. Il ne faut pas avoir une vision étroite du système mais avoir un regard d'ensemble.

J'ai vraiment le sentiment de faire un métier valorisant et de rendre service aux gens. Même si certaines situations sont difficiles à vivre, les expulsions par exemple, mais nous faisons appliquer la loi, c'est très important. Il m'arrive d'avoir le sentiment de rendre service à l'occupant. Je pense à un jeune homme ne payant plus son loyer qui vivait littéralement dans des amoncellements d'ordures et détritus. J'espère qu'il se sera repris en main. En résumé, c'est un métier qui demande autorité, diplomatie et impartialité. Ce métier est utile car nous l'effectuons avec proximité et nous évitons bien souvent des procédures coûteuses et le recours aux tribunaux. — Maître Gaëlle CONTENTIN

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RECOUVREUR DE DETTES POUR UNE AGENCE DE CRÉDIT
J'ai travaillé trois mois pour une banque de financement au département de recouvrement à l'amiable en tant que job étudiant. J'ai choisi ce poste car il proposait une rémunération supérieure au Smic. On me proposait un poste de négociatrice en recouvrement à l'amiable, en mettant très en avant dans l'annonce les responsabilités et l'autonomie que j'aurais ainsi que « l'aide » apportée aux clients. C'était plutôt du harcèlement que l'on faisait subir.

En fait, en trois mois je n'ai jamais été négociatrice. Mon rôle était de contacter le plus de personnes possible en une journée et de les transférer aux négociateurs qui eux devaient tout faire pour leur faire payer leur retard de paiement, les agios et autres charges dues à l'endettement. Cela allait jusqu'à les menacer de la venue d'un huissier qu'ils n'étaient absolument pas habilités à convoquer.

Je recevais chaque jour une liste de 120 numéros. À la fin de la journée, je devais avoir parcouru toute la liste et contacté tous les numéros inscrits par dossier. J'appelais donc le client, s'il ne répondait pas j'appelais sa famille proche, éloignée, son employeur, ou même ses voisins. Lorsqu'un dossier venait sans adresse ou sans numéro, il fallait retrouver la personne en appelant tous ses homonymes présents dans les Pages Blanches. Si on n'avait que l'adresse, on pouvait appeler les voisins pour leur demander de faire passer le mot. Sinon, on rappelait tout le monde tous les deux jours.

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Parmi ces personnes, il y a beaucoup de gens qui ont contracté des crédits à la consommation à taux 0 en s'achetant une télé ou autre. Ils ne savent que chaque impayé entraîne un agios de 20 %. Beaucoup de ces gens sont paumés ou en difficulté, pour quelques vrais escrocs… En plus de ça, le manager du département utilisait des méthodes pour nous « motiver ». « Je crois en vous », « Allez, tu peux le faire ». Des petits graphiques chaque jour indiquaient les meilleurs résultats pour mettre les collaborateurs en compétition. On me reprochait les journées où je ne parvenais pas à avoir des contacts au téléphone… Chaque fois qu'un collaborateur sortait de la pièce, les autres commençaient à le critiquer, le houspiller.

Une camarade étant au même poste que moi a réussi à devenir négociatrice. Elle n'y est parvenue que par des mensonges et des menaces. « Bonjour, je suis une vieille amie et j'essaye de retrouver untel… » . Merci beaucoup mais non merci, je n'y retravaillerai plus jamais, quel que soit le salaire ! — JOSÉPHINE

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TRADER
De mon point de vue, je confirme que l'immense majorité des traders est constituée de connards. Le recrutement est très sélectif : on cherche des gens capables de comprendre ce qu'ils font, tant sur le plan abstrait avec les aspects mathématiques et de gestion, que sur le plan réel qui passe par la négociation et la valorisation des titres. Les traders ne sont pas foncièrement cons, ils comprennent ce qu'ils font : quand ils achètent massivement des parts d'une boîte qui fait de l'éolien en Espagne pour entraîner le marché avec eux et enfin tout revendre en fin de journée en sachant que le cours de la boîte n'y résistera pas, ils savent ce qu'ils ont fait. Ils ont touché une commission, ils sont contents, leur bonus va sans doute gonfler : derrière, ils ont tué la boîte en une après-midi.

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Ce qui m'a attiré dans le métier, c'est d'abord que j'ai voulu me différencier en sortant d'un cursus en Grande École de Commerce. Et puis, je savais que viser le plus difficile allait m'ouvrir des portes dans d'autres domaines, ce qui pourrait m'assurer une éventuelle reconversion. J'ai en quelque sorte succombé à la pression et au désir d'excellence, je voulais briller, comme ce gosse qui en primaire résout ses équations avant tout le monde. Donc oui, on sait tous qu'on est des enculés.

On sait aussi qu'on ne fait pas que toucher des commissions pour le compte de la banque ou servir l'intérêt de nos clients. Il y a des conséquences réelles derrière. C'est d'ailleurs sûrement une des raisons pour lesquelles je démissionnerais aujourd'hui. J'ai des appétences idéologiques marxistes qui émanent de mes origines familiales, et ça n'est pas vraiment compatible avec un job pareil. Je ne pense donc pas rester dans le milieu indéfiniment, juste le temps de mettre de l'argent de côté et de m'en aller. — AMBROISE

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JOURNALISTE
J'aimerais pouvoir dire que ce qui m'a poussé à devenir journaliste, c'était l'envie de réaliser des trucs sur le long cours, de faire du gonzo, etc. Mais la vérité, c'est que lorsque je me suis orienté vers cette filière à l'issue de mon bac L dans les années 1990, j'étais fasciné par Technikart. Du coup, après quelques années en littérature anglaise et une maîtrise en info-com, j'ai intégré l'ESJ Paris.

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J'avais déjà fait quelques piges en région, mais je sentais bien que la profession de pigiste partait déjà en sucette. Aujourd'hui, je suis journaliste magazine santé, et ça me plaît bien. C'est vrai que mon job consiste parfois à « harceler » des gens pour pouvoir écrire un article, mais je ne le vois pas comme ça – je ne les piège jamais. Les gens avec qui j'échange sont contents de me parler, et je ne fais pas mon beurre sur leur dos.

Pour ce qui est de l'image corrompue ou putassière de la profession, je tiens à dire que c'est surtout les directeurs de publication qui sont à blâmer. Les journalistes ne sont que les petites mains d'une industrie. Par exemple, moi, je milite volontiers pour un retour du lyrisme et de la poésie dans le journalisme. Et il m'est arrivé plein de fois d'être frustré des décisions de mon rédac chef, qui doit « lisser » la ligne édito et n'écrit pas forcément lui-même.

J'ai eu l'occasion de travailler un peu pour une grande radio française, et j'ai halluciné devant la l'hypocrisie gauche-caviar qui y régnait. Là-bas, j'ai vraiment vu l'envers du décor, je faisais presque tout le boulot pour les chroniqueurs (lire les livres, rédiger les sujets, faire les recherches…). Et à chaque bout de couloir, ça dégoulinait de « mon chéri, ma chérie » tout de suite changés en « connasse » une fois que la personne avait tourné les talons. Ça, c'était moche.— ANTOINE

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COLLECTEUR DE DONS
J'ai exercé le job de collecteur de dons pour les ONG pendant 5 mois comme boulot étudiant. J'ai été recrutée dans la rue, avec un argumentaire du style « Hey, tu cherches un job sympa avec des horaires flexibles ? », j'ai eu une formation de deux jours puis je me suis lancée.

Au début, j'étais super excitée, je trouvais ce job très valorisant. C'était la première fois que je rentrais chez moi en me disant « j'ai travaillé, je vais gagner des thunes, mais j'ai aussi fait quelque chose de bien ». Puis au bout de quelques temps tu commences à fatiguer, et tu te rends compte d'une certaine hypocrisie du milieu.

Déjà, il faut savoir qu'en une journée de travail de 11h à 19h, tu accostes environ 700/800 personnes. Statistiquement, seulement 50 personnes vont s'arrêter, et 6 être réellement intéressées et signer. Donc tu te prends environ 750 vents dans la journée. Moralement, ça peut être assez intense. Il y a par exemple des gens qui font semblant de bien vouloir donner, disent qu'ils vont chercher un RIB chez eux, et ne reviennent jamais. Une fois, j'ai même vu quelqu'un rentrer par une porte de banque pour ressortir par l'autre ! C'est super décevant comme expérience, et ça nous fait perdre un temps fou.

Je sais que certains recruteurs ne respectent pas le minimum de bienséance (par exemple, ils foutent la pression à un SMICard, alors que normalement c'est strictement interdit de faire de la culpabilisation ou d'utiliser n'importe quelle émotion négative pour faire un bulletin). Donner aux assos, c'est important. Mais il y a trop de dérives parmi les recruteurs. Faut pas se mentir, on a nos parts de responsabilité dans les réactions de défiance. C'est comme la caissière du super U ou l'urgentiste : quand tu les croises, tu vois le métier avant la personne, donc quelqu'un qui aura été « agressé » par un recruteur ne voudra plus jamais avoir affaire à un autre. Et contrairement à la caissière ou à l'urgentiste, le passant a le choix de s'arrêter, ou pas. — PÉTRONILLE

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MÉDIATEUR POUR LES PIERROTS DE LA NUIT
Je suis médiateur pour l'association des Pierrots depuis maintenant deux ans, et mon job, c'est plutôt de participer à la pérennité de la nuit parisienne plutôt que d'aller jouer les rabat-joie auprès des noctambules. D'autant que l'essentiel de mon travail s'effectue en journée auprès des gérants d'établissements pour les accompagner, les aider. On ne s'en rend pas compte, mais la vie nocturne est plutôt menacée ces dernières années.

Du coup, avec des duos d'artistes et trois autres médiateurs, je parcours les rues de la ville afin de servir en quelque sorte de catalyseur entre les noctambules, les riverains, et les lieux emblématiques de la nuit (les salles de concert, les boîtes). Je suis un « médiateur ». Donc oui, parfois on va aller vers les gens qui sortent de boîte, et qui sont éméchés, et tenter de les sensibiliser aux nuisances nocturnes, et ça passe aussi par demander à ceux qui feraient trop de bruit de baisser un peu le volume. Mais en général, l'approche artistique marche plutôt bien pour faire le lien, on a rarement des réactions agressives venant des personnes bourrées. Ou alors c'est qu'elles sont trop imbibées et ne comprennent plus rien, et qu'elles perçoivent ça comme une agression.

En revanche, je dirais que le rapport aux gens est plus compliqué du côté de quelques riverains. Une poignée, la plus visible, nous perçoit comme les avocats d'une nuit débridée qui perturbe la vie du quartier, ce qui fait qu'on essuie parfois des remarques désobligeantes. Je peux comprendre que certaines personnes soient excédées par les abus de certains noctambules. Mais nous, on est justement là pour faire régner le respect entre les différentes parties, et encourager la compréhension. On n'est ni là pour faire la morale, ni pour encourager les dérives parfois assimilées au monde de la nuit.— CLAUDY

Émilie est sur Twitter.