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Michael Jordan est un vieux râleur intransigeant

Jordan était déjà assez complexe à l’époque où son jeu aussi lucide que perfide dominait sur les parquets. Sa réputation d’athlète complet, de dominateur de la NBA impossible à cerner était doublée de celle d’un homme d’affaires qui avait façonné une...

En temps normal, ça pourrait paraître assez étrange que la planète basket consacre le week-end du All-Star Game à célébrer les 50 ans du propriétaire de la pire franchise de la ligue, qui se traîne aussi la réputation du joueur le plus narcissique, capricieux et désagréable de l’histoire de ce sport. Pourtant, tout le monde s’est extasié et a exprimé son émotion en repensant aux images de l’athlète, la main au panier.

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Ça ne ressemblait pas non plus aux grandes manifestations populaires que sont les anniversaires des dictateurs où 150 000 citoyens terrifiés réalisent une chorégraphie hagiographique dans l’urinoir totalitaire d’un stade de football pendant que des enfants endoctrinés chantent en l’honneur d’un tyran hémorroïdaire au regard vide et que l’armée fait défiler ses missiles pendant sept heures. Mais ce n’était pas non plus totalement différent. Évidemment, le fait que le cinquantenaire en question soit Michael Jordan explique beaucoup de choses : c’est le meilleur joueur de basketball de tous les temps. Mais même si ce fait est incontestable, il n’empêche pas les fans de s’exciter à son sujet. Cela dit, dix ans après le dernier match de Jordan en NBA, on ne parle plus de His Airness de la même manière qu’auparavant.

Jordan était déjà assez complexe à l’époque où son jeu aussi lucide que perfide dominait sur les parquets. Sa réputation d’athlète complet, de dominateur de la NBA impossible à cerner était doublée de celle d’un homme d’affaires qui avait façonné une marque à son image avant de devenir lui-même une marque. Il engueulait et rabaissait ses coéquipiers, jouait des sommes énormes, draguait tout ce qui passait et faisait toutes ces choses que font les athlètes professionnels. Il avait combiné la grâce de ses mouvements à une rage et un narcissisme grinçants. Les conneries d’Ayn Rand, pour qui le moteur premier était voué à une fin brutale et presque tragique ne sont effectivement qu’un tissu de conneries, même quand Jordan était au sommet de son art.

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Il a scoré, il a défié la gravité plus longtemps que n’importe qui, il a gagné des bagues et vendu un tas de pompes. Les faces sombres de son histoire – qui a suivi une courbe ascendante quasi-ininterrompue – ont donc été laissées de côté. Il y a bien eu un livre qui le décrivait comme un geyser de bile grouillant. Il y avait des rumeurs et des chuchotements mais les fans ont compris que ses mauvais côtés faisaient partie du deal. Cette machine du basketball parfaitement rôdée était en fait alimentée par des ordures : vanité, rage, rancœur. Les autres membres des Bulls ne devaient pas apprécier de se faire frapper à l’entraînement ou de se faire martyriser par Pippen et Jordan mais pour nous, c’était pas vraiment gênant : nous ne faisions qu’assister à tout ça, ce qui était plutôt facile et presque drôle.

Presque, mais pas totalement. Lorsqu’à l’âge de 38 ans, après quatre ans de retraite, Jordan est revenu chez ces nuls de Washington Wizards en tant que joueur copropriétaire, il était encore assez bon. Mais alors que ses stats chutaient, les ordures s’amoncelaient et il commençait sérieusement à ressembler à un gros tas fumant. Jordan était plus passionné et désagréable que jamais et encore plus doué pour générer des griefs à son sujet, mais cette fois, il était clairement franc et grossier. Ces conflits sautaient aux yeux mais on les présentait comme des événements anecdotiques et peu complexe en comparaison à la gloire passée grâce à laquelle il avait transcendé le sport. Ce que Jordan souhaitait de toute ses forces, c’était de gagner. Mais le temps, les circonstances et sa vanité démesurée ont abîmé le vieux vernis, et ont dévoilé la réalité : un homme de près de 40 ans, qui faisait n’importe quoi et qui dégringolait. Il était temps de mettre un terme à sa carrière.

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Quand il a arrêté pour de bon, ça a empiré. Jordan s’est battu jusqu’au boutpendant le lock-out de l’année dernière : c’était le plus fervent de ces employeurs militants qui s’opposaient à ses anciens camarades. Dans un long article pour ESPN The Magazine, Wright Thompson dit avoir passé du temps chez Jordan à Charlotte et affirme que le plus grand joueur de NBA de l’histoire est un vieil athlète cinquantenaire bourru et mou, baignant dans la sentimentalité et le vin onéreux, aimant rappeler à ses amis à quel point il les dominait au billard et dont la jeune fiancée se fait assez discrète. C’est difficile de ne pas se sentir mal pour Jordan après avoir lu cet article. Il a tellement donné de lui-même pour certaines victoires, se déchainant contre tout ce qu’il pouvait, que c’est dur de l’imaginer usé et vidé, criant sur sa télé et s’endormant devant des films qu’il a déjà vus une dizaine de fois. Il n’a plus rien à conquérir.

On relativise en pensant aux gens qui n’ont pas d’immenses villas, de marques qui pèsent un milliard de dollars et qui n’ont pas marqué les consciences de toute une génération. Quand on repense à ce qu’il était et qu’on voit son actuelle retraite olympienne, on est forcément envahi par la tristesse. Comme Jordan était génial et que c’est comme ça qu’on voulait le voir, ses intérêts et ceux des gens qui le regardaient ont été les mêmes pendant longtemps. Mais si on regarde des matchs de basket, c’est pour des raisons moins sombres que celles qui ont poussé Jordan à conquérir des sommets : on regardait pour le plaisir ; il jouait pour dominer, et a recommencé parce qu’il ne supportait pas de ne plus dominer. C’était un bonheur de regarder Jordan jouer : son jeu était tellement au point qu’on en a des frissons rien qu’en y repensant, en matant cette vidéo YouTube de 39 secondes ou même un putain de gif. C’est super de savoir qu’on peut se réfugier dans ces souvenirs. Mais malgré ses états de grâce, en restant cet impitoyable personnage, Jordan nous a prouvé qu’il évoluait dans un monde impossible à vivre, où les hauts-plafonds et la décoration luxueuse ne permettent pas d’oublier la toxicité et la fraîcheur qui emplissent la pièce.

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