FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

Michael Moorcock peut écrire un roman en trois jours

J’ai rencontré Michael Moorcock pour la première fois en 1990 dans une librairie nantaise. J'avais 12 ans et j'étais hyper impressionné par ce gros type avec une énorme barbe blanche qui ne parlait pas ma langue.

photos : Nicolas Poillot

J’ai rencontré Michael Moorcock pour la première fois en 1990 dans une librairie nantaise. J'avais 12 ans et j'étais hyper impressionné par ce gros type avec une énorme barbe blanche qui ne parlait pas ma langue. C’était le premier auteur que je rencontrais pour de vrai. Je lui ai tendu mon exemplaire d'Elric des Dragons, le premier volume de la saga d'Elric, et il me l'a gentiment dédicacé avec un stylo-plume Mont-Blanc. Encore aujourd’hui, à chaque fois que je vois un Mont-Blanc, je repense à ce moment. J'étais hyper content de la dédicace, légèrement personnalisée, qu'il m'avait laissée.

Publicité

Dans les années qui ont suivi, je me suis détaché de la fantasy mais j’ai réalisé qu'il avait écrit des trucs plus ambitieux que les sagas d'Elric et d'Hawkmoon – même si ces deux cycles restent plus qu'honnêtes en terme d'heroic-fantasy –, notamment le génial Mother London. Je ne pense pas avoir épuisé la totalité de son œuvre, vu qu'il a dû écrire plus de 250 livres. Mais surtout, Michael Moorcock occupe une place singulière dans le paysage culturel britannique : il a créé son premier fanzine avant l’âge de 10 ans, dirigé l’une des revues anglaises les plus géniales du XXe siècle, New Worlds, dans laquelle se côtoyaient J.G. Ballard, Eduardo Paolozzi et Brian Aldiss, bossé avec Lemmy et Hawkwind et élaboré une méthode pour écrire des livres en trois jours. Pour faire court : ce type est une putain de légende.

Aujourd'hui, Michael Moorcock vit une partie de l'année à Paris. Au moment de le rencontrer à nouveau dans un café proche du canal Saint-Martin, je me suis demandé si, au cours de la conversation, il allait sortir son Mont-Blanc ; quand à la fin de l'interview je l'ai vu porter la main à la poche de sa veste en tweed et en sortir son stylo, j'ai immédiatement pensé à notre première rencontre, c'était assez flippant, je me suis dit que le temps était devenu circulaire et que je vivais un moment de science-fiction pour de vrai. En fait il a juste noté sur un petit papier, en vieil anarchiste distingué et de la manière la plus classe du monde, le nom de deux groupes à écouter.

Publicité

VICE : C’est la deuxième fois qu’on se rencontre, vous savez ? La première fois c’était à Nantes et j’avais 12 ans, l’âge où vous avez commencé à produire des fanzines, je crois.
Michael Moorcock : Oui, environ. J’ai fait mon premier fanzine à 11 ans, mais c’est vers 13, 14 ans que je me suis vraiment lancé : j’ai réalisé un fanzine sur Edgar Rice Burroughs et j'essayais de le vendre à l'école. Personne ne voulait l'acheter, je ne vendais pas plus de deux exemplaires de chaque numéro, à deux amis qui étaient déjà des fans d'Edgar Rice Burroughs. J’ai quitté l’école à 15 ans, mais j’ai continué la production du fanzine. C’est grâce lui que j’ai obtenu mon premier job dans une boîte d’édition.

Qu’est-ce que vous faisiez là-bas ?
Ben, ils m’ont laissé continuer un fanzine sur Edgar Rice Burroughs. Et à 16 ans, j’ai bossé dans un magazine hebdomadaire pour enfants, moitié BD, moitié texte. Je suis devenu l’assistant du rédacteur en chef. À la même période, j'ai commencé à écrire pour différents journaux. Un travail de journaliste classique. J'ai ensuite trouvé un autre magazine, Sexton Blake Library, ça a perduré jusqu'aux années 1990, j’écrivais des histoires de détectives à la Sherlock Holmes.

Et quand est-ce que vous vous êtes mis à bosser pour New Worlds ? Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une revue SF et fantasy qui a lancé des auteurs tels que J.G. Ballard, Norman Spinrad ou Terry Pratchett.
J’ai commencé à écrire pour New Worlds dans les années 1960, des histoires et des articles sur ce que la science-fiction devait être, ce vers quoi elle devait se diriger. Et Ballard faisait la même chose à la même période. Et Barry Bayley aussi. On était déçus de la direction que prenait le roman social à cette époque, ça ne disait pas grand-chose de la vie contemporaine, et selon nous, la SF pouvait s'emparer de cette question pour faire émerger un nouveau type de fiction. Donc quand on m'a proposé New Worlds, vers 1964-1965, j'ai orienté le journal vers cette idée. Et ça marchait vraiment bien, au moins les deux premières années. Mais New Worlds appartenait à un groupe de presse qui globalement perdait de l'argent, ses autres publications étaient des magazines soft-porn, des trucs comme ça. Donc tout a été abandonné d'un coup, et j'ai décidé de reprendre New Worlds à mon compte, d'en devenir l'éditeur.

Publicité

Qui vous lisait ?
Un grand nombre d’écrivains anglais de SF étaient également des musiciens, de la même manière que beaucoup de musiciens lisaient de la SF. C’était drôle, les écrivains étaient toujours un peu maladroits au contact des rockers. Ballard avec les gens d'Hawkwind, c'était juste génial. Brian Aldiss aussi. Il venait me voir, genre : « Mike, tu connais ces rockers, tu veux pas me présenter, je voudrais leur écrire des paroles ? » Mais on peut élargir cette base, parce que de vrais intellectuels lisaient aussi de la SF, des gens comme Angus Wilson par exemple. C'était quelque chose qui pénétrait un peu tous les milieux culturels, le rock, la musique, la peinture, la littérature…

Pour en revenir à New Worlds, qu’est-ce qui a changé quand vous avez repris le titre ?
Vers 1967, New Worlds était devenu un grand format, et un point de rencontre entre plein de gens et de pratiques artistiques. On publiait Paolozzi, Ballard, des réalisateurs, des illustrateurs. On avait également de bonnes relations avec Actuel en France, qui était un peu notre équivalent mais plus orienté politiquement, plus dans la contre-culture. C'est à cette époque-là qu'on s'est heurtés à la censure. Il y a eu 6 mois où le distributeur prenait nos magazines et ne les distribuait pas – ou très peu –, sans nous le dire, évidemment. Donc concrètement, aucune rentrée d'argent pendant 6 mois.

Quand New Worlds a eu de grosses difficultés financières, j'ai lu quelque part que les Beatles vous avaient proposé de l'argent pour faire tenir la publication. C'est vrai ?
Oui, c'est vrai. Je suis allé les voir, et en arrivant là bas, j'ai vu que le perron était rempli de types qui attendaient d'entrer pour demander du fric aux Beatles. Je me suis senti mal, je ne voulais pas ressembler à tous ceux qui essayaient de gratter quelque chose, même si les Beatles se montraient plutôt généreux avec tout le monde. Ils nous ont quand même acheté des encarts publicitaires. C’est à cette période-là aussi que je me suis donc mis à écrire, à beaucoup écrire, plein d'histoires de fantasy. Pour renflouer New Worlds. Ce qui est fou, c'est que ces histoires, quand je les écrivais, je pensais que ça serait aussi vite oublié qu'elles étaient lues. En fait, beaucoup sont encore imprimées aujourd'hui.

Publicité

Vous aviez un genre de méthode pour écrire un roman en trois jours, non ?
Ah oui, je pouvais faire ça, oui. Trois jours, c’était économiquement ce que je pouvais consacrer à écrire un roman. Donc j'ai inventé une méthode qui déclinait le bon vieux introduction-développement-conclusion, avec un peu plus de précisions, et il fallait un peu d'action toutes les quatre pages, quelque chose qui relance l'intrigue, c'est ce que les gens voulaient en fait.

Dans une préface française à Rêve de fer, Spinrad dit que vous lui avez donné le conseil suivant pour faire un roman de SF : prendre un fait historique et le détourner en fantasy.
Les premiers livres que j'ai écrits selon cette méthode étaient ceux d'Hawkmoon. Ils contenaient des éléments de satire politique contemporaine, mais aujourd'hui ils n'ont plus beaucoup de sens. Et ironiquement, j'essayais de faire passer une forme de message anarchisant à travers des histoires de princes et de rois, où tout tendait vers une forme de désastre. Et les années 1960 étaient très marquées par l'existentialisme, ce qui était également mon cas, du moins comme je le comprenais, je ne suis pas allé loin dans cette voie. Pour Ballard par exemple, c'était les films français des années 1960, moi, j'étais plus dans la littérature, j'adorais Boris Vian. Et Jarry. La pataphysique. Ça a eu une influence forte sur l’un de mes héros, Elric. Mais bon, c'était dans l'air, c'était l'époque, ça, James Dean et Marlon Brando.

Publicité

Elric est un anti-héros complet. Ce n'est pas quelqu'un de bien. Et il est un peu junkie.
C'est un parfait junkie. Ça m'a toujours surpris de voir des parents offrir des livres d'Elric à leurs gamins, même si en fait les gamins sont souvent beaucoup plus renseignés là-dessus que les parents. Pour Cornelius, c'est un peu différent car il évolue dans un contexte davantage contemporain. Donner au lecteur ce qu'il attend, j'ai toujours fait ça, en y ajoutant quelque chose en plus, même pour mes romans plus expérimentaux. Lire doit toujours rester un plaisir. Je ne crois pas tellement au fait de se poser et de lire de manière excessivement sérieuse. C'est juste un plaisir. Comme le travail. Avant, quand je travaillais, je ne buvais pas, je ne prenais pas de drogues. Maintenant, pourquoi pas, et j'aime bien l'idée que les drogues devraient être réservées aux gens de plus de quarante ans, ce serait plus simple.

Vous prenez beaucoup de plaisir en travaillant ? Vous m’avez l’air d’être un sacré bosseur, tout de même.
Dans les années 1970, j’ai beaucoup écrit, ça a été une période assez studieuse, peut-être ma meilleure période en termes d’écriture.J'ai pu écrire à peu près ce que je voulais, comme je le voulais, j'étais satisfait de ma production et j'obtenais une forme de reconnaissance. Je recueillais les fruits que j'avais semés dans les années 1960. J'étais toujours dans les mouvances anarchistes, anarchisantes, politiquement je n'avais pas changé, c'était même devenu plus extrême, ce qui s'est encore accentué par la suite. Comme quoi, vieillir et se calmer… Mais c'était la même chose avec Ballard. Quand je l'ai rencontré, il était assez conservateur, et vers la fin de sa vie, il s'était complètement radicalisé. Il a publiquement refusé la Médaille de l'Empire britannique, d'une manière très intelligente, dans une tribune où il dénonçait la guerre en Irak. C'était malin.

Publicité

Quand avez-vous eu l'idée du champion éternel ? C’est une incarnation d’un héros qu’on rencontre dans chacun des univers que vous avez imaginés, et vous les faites parfois se rencontrer.
Oh j'étais très jeune, 17 ans, et j'ai publié quelque chose qui parlait de ça dans un fanzine. Et en 1961, je me suis resservi de cette idée, et ensuite encore en 1966, etc.

C’est une notion très liée à celle de Multivers.
Oui, ça doit émerger chez moi vers 1963, ça. La notion de Multivers reprend celle des mondes parallèles, une idée très ancienne. J'ai essayé d'avoir une approche différente, ancrée dans la pure science-fiction. Du moins, dans la mesure où je suis capable d'écrire de la pure science-fiction. Ça rencontre un peu la théorie élaborée par David Deutsch, un physicien britannique, qui théorise scientifiquement le multivers, l'existence de systèmes parallèles. C'est un point de vue qu'il défend mathématiquement, je le faisais de manière complètement romantique.Donc quand j'ai eu cette idée, j'ai crée des personnages qui pouvaient percevoir la totalité de ce multivers en même temps. C'est une version de mon propre esprit. Pour je ne sais quelle raison, je suis capable d'imaginer des choses qui se passent simultanément, et je pense que je serai devenu complètement fou si je n'avais pas pu en faire quelque chose. La majorité de ma famille est constituée de gens qui sont fous. Ils sont peut-être agréablement fous, mais ils sont fous. Et je pense que j'ai transformé cette folie en quelque chose, j'ai fini par produire quelque chose à partir de cette folie.

Publicité

Dans Mother London aussi, le Blitz crée une forme de folie chez les personnages.
Encore une fois, c'est une description de ma propre folie. Il y a un tout un tas de gens qui sont diagnostiqués comme fous et qui décrivent la même expérience, comme s'ils étaient branchés sur une radio et qu'ils pouvaient recevoir plein de fréquences, d'ondes différentes en même temps.

C’est un peu comme chez Philip K. Dick, je pense à Radio Libre Albemuth. Il semblerait qu’il ait vécu ce qu’il décrit dans ce roman.
Absolument, c'est un bon exemple. C'est un peu ce que j'appellerais une forme de romantisme réel. Je veux dire, j'ai connu plein de gens qui se disaient romantiques, ils exagéraient tout ce qu'ils pouvaient ressentir, vivre. Je pense que le véritable romantisme se situe davantage dans l’excès inverse : il vous en arrive trop en même temps, toujours, et le défi est donc de produire quelque chose selon une structure classique qui peut inclure tout cela. Mother London reflète cette rationalisation de flux. Ce roman est une manière de faire avec le chaos et d’en sortir quelque chose. Je voulais aussi dépeindre la ville des années 1940 à 1985, en gros. C'est une ville qui, à mon avis, était déjà en train de mourir. Pour des raisons commerciales, il était déjà de bon ton de raconter une histoire simplifiée de Londres. Je voulais capturer l'esprit de la ville avant que le thatchérisme ne le détruise complètement. Tout le livre est pensé, réfléchi. Tout renvoie à quelque chose. Le moindre chiffre qui apparaît dans le livre n'est pas choisi au hasard. Le nom des pubs dans le livre fait référence à l'histoire de Londres, sans que cela soit ostentatoire, mais tout est pensé.

Publicité

J'ai rencontré Iain Sinclair, l’auteur de London Orbital, et il me disait : Ballard est un conducteur, Moorcock est un marcheur.
C'est vrai, très vrai. Sinclair est davantage un marcheur également.

Vous voyez comme un héritage chez Sinclair ?
Oui, enfin… on est très bons amis, vous savez. Ballard et moi sommes arrivés dans le truc au même moment, il y avait sans doute une forme de rivalité entre nous – rien de méchant, hein. Pour Sinclair, c'est différent. On a quasiment le même âge. Ballard avait dix ans de plus que moi, il a grandi en Chine, dans une forme d'isolement, ce qui l'a forgé en tant qu'écrivain et qu'individu. Et je crois que cet isolement s'est prolongé, il était très sélectif. La méthode de Ballard était de rejeter beaucoup de choses, parfois violemment, et de ne garder que ce qu'il estimait bon. Tout le reste était à jeter. Sinclair, au contraire, prend tout et en fait quelque chose. L'autre chose est que Ballard adorait l'esthétique de l'autoroute, la beauté de l'ouvrage architectural, tandis que Sinclair va davantage s'intéresser aux gens qui vivent à proximité de cette autoroute. C'est d’ailleurs le genre de choses qui pouvaient donner lieu à de bonnes disputes ! Ballard avait l'imagination d'un génie et il arrivait à la transmettre, à l'imposer au monde. Sinclair et moi nous situons davantage du côté de l'interprétation du monde, et on reste fidèle aux faits. Après, on peut discuter des interprétations, elles peuvent être fausses, vraies, peu importe, mais elles se basent sur des faits.

Publicité

Parlons musique. Vous avez écrit des paroles et joué avec Hawkwind, et écrit un genre de livre pour le Great Rock ‘n' Roll Swindle des Sex Pistols.
En fait, je l'ai inclus dans une histoire de Jerry Cornelius.

Vous avez rencontré les Sex Pistols ?
Oui, je les ai tous rencontrés, mais je connaissais surtout Glen Matlock. Il s'est fait éjecter assez tôt de toute cette folie, mais c'est lui que je connaissais le mieux. Après, dans les concerts de punk rock, auxquels j'allais, ils étaient très drôles. Ils venaient me voir en me demandant si je voulais une tasse de thé ou une chaise. Ils étaient adorables. J'avais 40 ans, et ils me voyaient comme un vieillard. Ils me demandaient si la musique n'était pas trop forte pour moi, pour se moquer gentiment. Il y avait une grosse fracture présumée entre punks et hippies, mais ce n'était pas fondamentalement le cas. La différence se situait surtout au niveau des coupes des cheveux. Ce qui peut être une question importante.

Et quand vous étiez avec Hawkwind, Lemmy était encore là ?
Oui, il était là, il est arrivé après que j’ai commencé à travailler avec eux. Et l'une des raisons pour lesquelles il a été pris est tout simplement qu'il avait vraiment du très bon speed avec lui. J'étais là quand il a auditionné, il y avait un autre bassiste qui voulait également le job, mais c'est Lemmy qui l'a eu. J'ai vu ce mec mourir, littéralement, deux fois. Sur scène, je l'ai vu s'écrouler, mort. Et on le frappait pour le faire revenir à la vie. De toutes les personnes que j'ai vues dans toute ma vie, c'est sans doute la personne le plus endurante. Il encaissait tout. À part ça, il pouvait se conduire en parfait gentleman. Et il traînait toujours avec les filles les plus belles. Toujours. C'est un mec bien, à part sa fascination pour les nazis. Ça, je n'ai jamais pu comprendre.

En même temps c'est assez répandu ce rapport au IIIe Reich dans le rock. Ron Asheton des Stooges avait l'habitude de porter des uniformes SS. Ou Jimmy Page.
Oui, Jimmy Page, mais lui, c'est plutôt le côté magie noire qui l'intéresse. Très fan de livres occultes, ce genre de choses. Moi ça m'a toujours laissé froid. Sacrifier des vierges, tout ça… non.

Le nom de votre groupe, c'est Deep Fix, c'est ça ?
Oui. On travaille sur un nouvel album. J'ai écrit de nouvelles chansons, on ne les pas encore répétées. Un petit label de San Francisco est intéressé, donc je suis content.

Plus d'interviews de Sylvain :

L'ART DE LA BASTON SOUS LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE – On a retracé l'histoires des bandes en France avec un ancien de la Mafia Z

IAIN SINCLAIR – L'interview VICE