Un Français a documenté plein de pays qui n’existent pas

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Un Français a documenté plein de pays qui n’existent pas

La République du Saugeais, Seborga ou le Sealand sont autant de pays minuscules que personne ne reconnaît – à part leurs créateurs.

Toutes les photos sont de Léo Delafontaine et tirées de son projet « Micronations ».

La glande a parfois du bon. Un soir, alors que je bavais mon ennui devant mon ordinateur, je me suis retrouvé par hasard sur un article Wikipédia intitulé très justement « les articles insolites de Wikipédia ». Sur celui-ci, on trouve des curiosités de tous types et notamment des curiosités géographiques telle que la Principauté du Sealand, cette ancienne plate-forme militaire transformée en radio pirate quelque part dans les eaux internationales anglaises. Partant de cette découverte, je me suis rendu compte que ce genre d'endroits n'était pas un projet ou un accident de l'histoire isolé. Le world wide web en recensait même plusieurs centaines. Ma décision était prise : j'allais faire un tour du monde micronational.

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Une micronation est une entité géographique créée par un certain nombre de personnes et qui aspire à être reconnue en tant que nation indépendante, mais qui, dans les faits, n'est aucunement considérée comme telle par les autres nations et autres organismes transnationaux.

Pour constituer le livre, j'ai visité 12 de ces micronations. Je les ai choisies parmi plus de 400, selon des critères géographiques, historiques et photogéniques. J'ai essayé d'être le plus représentatif de toutes ces nouvelles nations qu'on rassemble sous le nom un peu fourre-tout de micronations. Le projet m'a pris presque un an – mais les prises de vues se sont étalées seulement sur quatre mois. Le plus long fut la prise de contact et l'organisation. La plupart du temps, je ne restais sur place que quelques jours – voire quelques heures, comme sur la plate-forme du Sealand. Pour finaliser le projet j'ai voyagé dans six pays qui enclavent ces micronations, et j'ai parcouru trois continents.

Je ne dirais pas que cette quête fut obsessionnelle à proprement parler. Mais quitte à faire un projet, autant s'investir. Très peu de monde connaît en effet les micronations. En tout cas, pas le grand public. Il s'agit d'un projet photogénique avec des gens qui singent les attributs de pouvoir des États en place, et ce aux quatre coins du monde. Ce document pose également des questions géographiques et géopolitiques, avec, et c'est essentiel, une part assumée d'humour et de légèreté. C'est très rare l'humour en photographie – et c'est dommage. Je parle bien d'humour, pas d'ironie ni de moquerie. À aucun moment, mon projet n'a été de railler les gens qui participent de près ou de loin à ces micronations.

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Je me souviens du pragmatisme du Prince Michael du Sealand qui, après m'avoir fait tourner en bourrique pendant plusieurs mois, a accepté ma venue quand je me suis décidé à lui proposer une compensation financière pour acquérir un visa.

Je n'ai jamais essuyé de refus de collaboration direct de la part des institutions des micronations que j'ai visitées. Mais des cas d'incompréhension feinte, oui en revanche. Notamment avec le Prince Leonard de Hutt River qui ne « comprenait pas » pourquoi je m'intéressais à lui dans mon projet dédié aux micronations ; tout ça parce qu'il est à la tête d'une Principauté qu'il prétendait « reconnue » par la communauté internationale. Je me souviens également du pragmatisme du Prince Michael du Sealand qui, après m'avoir fait tourner en bourrique pendant plusieurs mois, a accepté ma venue quand je me suis décidé à lui proposer une compensation financière pour acquérir un visa. À part ces deux mini-incompréhensions, les autres dirigeants micronationaux m'ont tous accueilli avec une grande bienveillance – sans doute conscients de la com' qu'un tel projet pouvait leur apporter.

Les dirigeants de ces micronations ont bien conscience du caractère risible qui peut se dégager de leurs projets. C'est pour cela qu'ils en jouent. Ils manient l'ironie comme personne. Je dirais que certains d'entre eux peuvent paraître farfelus, peut-être, mais aucun d'eux n'est fou ou avide de pouvoir. Les échanges entre eux et moi ont donc toujours été très agréables et courtois. Aussi, je suis toujours en rapport avec la plupart d'entre eux.

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Parmi les micronations sur lesquelles j'ai travaillé, aucune d'elle ne s'est réellement brouillée avec un État souverain ; cela impliquerait une forme de reconnaissance de la part dudit État. La plupart des micronations avancent en parallèle de notre monde, sans aucune considération de la part des dirigeants politiques légitimes. Après, ça n'a pas empêché le Prince Leonard de Hutt River de « déclarer la guerre » à l'Australie…

Toutes les micronations possèdent des artefacts régaliens ou singent certains attributs de pouvoirs. À chaque micronation sa monnaie, son hymne, son drapeau, etc. Chacun réinvente à son image des symboles qui traditionnellement, nous échappent. Aussi la population de chaque micronation varie énormément de l'une à l'autre. On peut passer d'un couple en ce qui concerne la Fédération libre d'Alpasyrie à plus de 1 000 habitants à Christiania, ce quartier de Copenhague où l'on peut acheter de l'herbe au vu et au su de tous. Se pose alors la question de ce qui définit un État : sa superficie ? Hutt River en Australie, est plus étendu que Monaco. Son Histoire ? Seborga, en Italie, a une histoire millénaire – etc.

Pour ma part, je dirais que j'ai beaucoup d'affection pour la République du Saugeais, à la frontière franco-suisse. C'est la première micronation que j'ai photographiée. Mais celle où j'ai passé le moment le plus incroyable et le plus irréel, c'était au royaume d'Elleore, au Danemark, avec son camping improvisé une semaine par an sur une petite île située dans un fjord près de Roskilde. Leurs traditions, leur organisation, leur folklore, leur accueil m'ont beaucoup plu et j'espère un jour pouvoir y retourner grâce à mon nouveau statut de citoyen d'honneur.

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Depuis la parution du livre, certaines micronations n'existent malheureusement plus. La plupart ont d'ailleurs une existence souvent limitée dans le temps. Je suis assez déçu de ne pas avoir eu la chance de les visiter. Mais l'écrivain et historien Bruno Fuligni a, dans son livre « L'État c'est moi », dressé un bilan historique relativement complet de tous ces pays aujourd'hui disparus. Ça m'a consolé, en quelque sorte.

Léo Delafontaine présentera plusieurs extraits de son projet « Micronations » à partir de samedi au 247, dans le 18e arrondissement à Paris.

« Micronations » est publié aux éditions Diaphane.