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Le destin tragique de Nancy Lee, victime de la kétamine

Ou comment la pire drogue du monde a tué une adolescente britannique
Max Daly
London, GB

Nancy Lee, morte à l'âge de 23 d'une consommation excessive de kétamine

Drogue d'étudiants, de clubbers fatigués ou de consommateurs de LSD désireux de nouveauté, la kétamine a été popularisée dans les milieux gays et les free-parties au milieu des années 2000. Ce que l'histoire ne dit pas, c'est que le monde des consommateurs de K est un bourbier à peine imaginable.

Hormis un bref paragraphe dans la colonne nécrologie du journal Brighton Argus, la mort de Nancy Lee est passée inaperçue. Son décès fut en effet assez banal : elle ne s'est pas effondrée au milieu d'un club après une trop grosse prise de drogue. Nancy s'est au contraire éteinte lentement, la kétamine ayant complètement détruit son organisme au cours de ses sept années de consommation régulière.

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Nancy s’est mise à prendre de la kétamine à l'âge de 16 ans. La plupart des adolescents de Brighton se défonçaient alors au cidre et à la weed mais Nancy et ses amis ont opté pour un truc bien plus fort. La K n'était pas chère – 90 livres les 15 grammes – et elle offrait à Nancy un moyen de s'évader.

« Elle était sensible et aimante. Mais Nancy était à part » m'a déclaré Jim, son père. « Elle était maltraitée à l'école parce qu'elle louchait et elle avait un côté garçon-manqué. Elle avait l'impression que le monde entier lui en voulait. » C'est sans doute pour cela que Nancy cherchait du réconfort dans la dope. « Si quelqu'un devait trouver une drogue adaptée à une adolescente dépressive et sans le sou, ce serait celle-ci, » a poursuivi Jim.

La grande sœur de Nancy, Libby, m'a avoué que Nancy n'avait plus été capable de s'extirper de son nouveau mode de vie après avoir commencé la kétamine. « Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle n'arrêtait pas la K, elle m'a répondu que ça lui permettait de se déconnecter de sa vie, m'a dit Libby. Elle en prenait pour ne plus être elle-même. »

En réalité, l’organisme de Nancy avait déjà commencé à se détériorer à cause de sa consommation de kétamine, couplée au fait qu'elle mangeait peu et ne faisait pas de sport. À 21 ans, Nancy ne pesait plus que 33 kilos, était incontinente et souffrait d'insuffisance cardiaque, à cause des conséquences de la drogue sur sa vessie et son appétit. Ses reins fonctionnaient mal. Elle dormait toute la journée et sortait de chez elle une fois la nuit tombée. Personne ne savait à quel point elle était malade jusqu'à ce que Jim la conduise de force dans un hôpital. Là, plusieurs médecins lui annoncèrent que sa vie était en danger.

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Nancy est sortie de là cinq semaines plus tard, après avoir passé son séjour dans une unité d'urologie habituellement réservée aux personnes âgées. On l'avait alors prévenue : il était possible que son organisme soit durablement atteint. En réalité, la situation s'est avérée bien plus dramatique.

Incapable de trouver du travail à cause de ses ennuis de santé, Nancy recevait des allocations de la part de l’État anglais. Il lui arrivait de craquer de temps à autre, de disparaître pendant quelques jours pour reprendre de la K. Début 2014, sa santé semblait s'améliorer jusqu'à ce qu'en mars, on lui diagnostique une légère infection rénale. Elle a succombé à celle-ci en moins d'une semaine.

On savait que la cocaïne, la MDMA, la méphédrone et le LSD avaient la capacité de détériorer un organisme en bonne santé. Pourtant, aucune de ces drogues ne peut rivaliser en terme de dangerosité sanitaire avec la kétamine. Au lieu de servir de passage vers une éventuelle « connaissance de soi », la kétamine est devenue pour certains une façon de supporter le quotidien, comme l'héroïne ou le diazépam avant elle.

Une pile de kétamine (Photo via Coaster420)

J'ai discuté avec Laura, qui travaille en tant que manageur dans un centre d'appel de Bristol. Âgée de 32 ans, ça fait 13 ans qu’elle consomme de la K. Il lui est arrivé de sniffer près de trois grammes par jour et elle a passé 7 ans aux Narcotiques Anonymes.

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« Il est presque impossible de s'en sortir. Si je n'avais pas trouvé ce job qui me prend 40 heures de mon temps par semaine, j'aurais eu beaucoup de mal à ne pas être tout le temps sous kétamine. Je suis clean par défaut, parce que j'essaie de donner la priorité à ma vie et à mon travail – mais je sais que si j'avais de la kéta devant moi, je serais incapable de résister. »

Laura n'a jamais pris de kétamine en club. Elle en consomme en journée, comme nombre de ses amis à Bristol. « Au tout début, ça vous défonce complètement mais après un certain temps, ça devient un truc assez banal. Je pourrais en taper ça au sortir du lit sans le moindre problème. »

« Je connais de jeunes parents qui se droguent pendant que leurs gamins sont à l'école. Après le boulot, je préfère largement une trace de K à un verre de vin. La vie est si stressante, si bruyante. La kétamine au contraire, permet de vous relaxer. Le truc, c’est qu’une trace se transforme vite en 1 à 2 grammes par jour. »

Selon Laura, le danger de la kétamine réside justement à ce niveau. « J'ai connu une période de deuil très pénible et ai fini par consommer 3 grammes par jour. Ça m'a permis d’annihiler mes émotions pour un temps. Mais tous vos problèmes resurgissent lorsque vous êtes en descente, et à ce moment-là vous êtes obligé d’en taper à nouveau. » Heureusement, les organes de Laura sont encore intacts pour le moment.

Laura fait de l'exercice, mange équilibré et prend soin de ne pas trop mélanger les drogues. Elle sait comment réduire les risques, contrairement à de nombreux kids paumés.

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La majorité des 93 décès liés à la kétamine recensés en Grande-Bretagne entre 2005 et 2013 résultent d'empoisonnements accidentels – comme cette année à Glastonbury, lors d'une rave illégale à Croydon ou l'année dernière au festival Boomtown. On dénombre neuf noyades et trois accidents de la route à cause de la K. On peut également mettre en lumière les suicides de plusieurs addicts. En 2011, un adolescent dépressif, Adam Sephton, s’était donné la mort par pendaison sur un terrain de football après avoir consommé de la kétamine sept mois durant.

Le décès de Nancy est l'un des premiers de ce type en Grande-Bretagne. Les médecins espèrent que ce drame demeurera une exception parmi cette première génération d’accros à la kétamine. Des spécialistes de Hong Kong, région qui connait également de gros problèmes sanitaires liés à cette drogue, ont découvert qu'il pourrait y avoir un lien de causalité entre plusieurs cas de cancer du foie et la kéta. Pour le moment, trois personnes sont décédées des conséquences d’une consommation sur le long terme.

Les services d’addictologie et les hôpitaux voient le nombre de maladies graves liées à la kétamine augmenter. À Londres, Leeds et Bristol, les urologues assistent à une montée en flèche du nombre de malades affichant des problèmes à la vessie déclenchés par la prise répétée de K. L'année dernière, David Gillat, célèbre chirurgien-urologue de Grande-Bretagne, a retiré la vessie de trois consommateurs de kétamine.

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Le docteur en psychiatrie Owen Bowden-Jones, directeur d'une clinique londonienne spécialisée dans les addictions, déclare que sur quatre consommateurs de kétamine qui viennent à la clinique, trois affichent des problèmes à la vessie.

Nancy avec des amies

Pour en revenir à Nancy, le Dr. Bowden-Jones m'a certifié que la prise de kétamine était intimement liée à la dépression et que sa dimension addictive n’en était que plus forte. Un utilisateur de kétamine sur cinq ayant répondu au Global Drug Survey s’est par ailleurs déclaré « dépendant ».

Un autre problème lié à la kétamine est sa capacité à vous rendre asocial ; les gros consommateurs ne trainent généralement qu’entre eux. L'absence de traitement suggère également que de nombreux drogués ne sont jamais repérés par les services d'addictologie locaux.

Un membre d'une association de Brighton m'a dit que Nancy était venue les voir par le passé mais qu'elle avait « manqué un rendez-vous et n'était plus jamais revenue ». Jim m'a pour sa part déclaré que sa fille avait « une phobie des docteurs et des hôpitaux » et qu'il lui était « très difficile de la convaincre de se rendre dans des services psychiatriques ou médicaux ».

Au même titre que de nombreux parents ayant perdu leur enfant à cause de la drogue, Jim a critiqué l'absence de réaction du gouvernement face à ce fléau. Il souhaite que les choses changent et que l'on privilégie la prévention à la répression.

« Je refuse de vivre dans une société qui détourne le regard pour ne pas voir ce qu'il se passe sous ses yeux. Brighton est une ville riche certes, mais il existe une sphère complètement déconnectée de tout cela. Le gouvernement devrait écouter les experts et ne pas suivre l'avis du Daily Mail. La prohibition crée plus de problèmes qu'autre chose. »

Mais pour beaucoup d'addicts, le vrai problème est d'ordre mental. Il est navrant que de jeunes Britanniques se droguent seulement en vue d’atténuer leurs angoisses et leur sentiment d'isolement.

« J'étais souvent déprimée » avait déclaré Nancy en 2011, en sortant de l'hôpital. « La kétamine vous transporte dans un monde différent et atténue votre malheur. Même si à la fin, c'est la drogue qui devientle malheur. »

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