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Message à tous les écrivains du monde : ne devenez jamais écrivain

À moins que vous vouliez bouffer des patates pour le restant de vos jours sans jamais caresser l'espoir de réussir, ne faites pas ce métier.

L'auteur de l'article, au travail

Ça doit déjà faire deux ans que je me suis mis en tête de devenir écrivain. Je me suis dit que cette initiative tordue, cette ambition dégénérée passerait désormais avant tout dans ma vie. Et c'est un chemin boueux, sans déconner. Vous connaissez la chanson : plutôt se caler un flingue dans la gorge comme Papa Hemingway. C'est le genre de chose que vous vous dites au moment où vous vous retrouvez face à la dure réalité du monde de l'édition en France. Monde dans lequel vous n'avez à peu près aucune chance de réussir. Sauf que cette guerre, c'est la vôtre. Et surtout, vous l'avez voulue, vous l'avez déclenchée, et de fait, c'est vous l'ennemi à abattre.

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Il y a un peu plus d'un mois de ça, j'ai signé mon premier contrat d'édition. Une de mes nouvelles s'apprête donc à paraître dans un recueil collectif. J'ai fait comme pas mal de scribouilleurs qui font du texte court : simplement envoyé des nouvelles en réponse à différents appels à textes. J'avais auparavant tenté les revues et les concours de nouvelles – y'en a pléthore sur le w​eb. Sans réel succès. Mes publications se limitaient jusqu'à maintenant à des chroniques littéraires obscures dans le journal de la fac d'Évry, il y a quelques années de ça.

Ernest Hemingway chez lui à Cuba, 1953. Photo via Wikimedia Commons

Il n'empêche qu'une de mes nouvelles a été choisie par un éditeur et que j'ai reçu le contrat. Quelle excitation quand vous recevez ce bout de paperasse ! Déjà l'annonce : J'ai le plaisir de vous faire savoir que le jury a retenu votre nouvelle parmi de très nombreuses propositions, et qu'elle sera publiée prochainement… Un peu de mal à réaliser qu'une partie de ton travail mène enfin, un temps soit peu, à quelque chose. Vous pouvez sauter de joie, deux secondes disons. Mais redescendez tout de même assez vite.

D'autre part, veillez également à ne pas vous faire arnaquer, ce qui arrive régulièrement à bon nombre de types trop sûrs d'eux ou parfois, complètement cons. Sachez qu'en tant que débutant, vous pouvez tomber dans n'importe quel panneau. Un gars qui se prenait pour un nouveau Bukowski – comme la plupart des jeunes littérateurs, en effet – me racontait qu'il avait reçu une offre de publication pour une nouvelle long format : c'était un contrat à compte d'auteur. Il a signé, payé de sa poche – ce qu'un véritable éditeur ne demande jamais, bien entendu – puis finalement, les seuls qui eurent le privilège d'avoir son livre entre les mains furent trois ou quatre de ses potes – et lui-même. Dans un cas comme ça, vous êtes cuit. Vous êtes juste un homme pressé bourré d'ego. Vous savez comment ils appellent ça outre-Atlantique, cette méthode d'édition ? Le vanity publishing. Tout est dans le mot. Je vous fais grâce de la traduction.À dire vrai, la première publication est toujours gratifiante. Le truc, c'est que vous vous rendez également compte que vos petites prétentions littéraires seront satisfaites – plutôt que par l'écriture en elle-même – par d'autres activités comme « vous faire un nom » et « construire votre réseau ». Parce que, vous voulez connaître un peu les détails d'un contrat collectif de ce type ? Eh bien pour vous, écrivaillons à la manque que vous êtes, tenez-vous bien dans votre siège troué : ce ne sera jamais que 5 à 10 % à partager entre tous vos camarades qui auront aussi leur came publiée dans le recueil. C'est-à-dire que vous pouvez espérer une somme équivalente à 70 euros, tout au plus, si ça se vend assez pour que vous puissiez toucher un chèque. C'est comme ça que ça se passe, en effet. Mais la vie vous a appris que tout – même rien – était bon à prendre. Alors j'ai signé, qu'est-ce que j'aurais bien pu faire d'autre ?

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Charles Bukowski chez lui à San Pedro avec les écrivains Mary Ann Swissler et Mat Gleason, 1988. Photo via Wikimedia C​ommons

L'expérience du mur et de l'échec, voilà le mot qui gicle. Vous avez du contenu ? Soit. Vous êtes certain que votre écriture a suffisamment maturé ? OK. Alors commencez par envoyer vos nouvelles ou poèmes à des revues et à répondre à des appels à textes. À tous, dans votre ligne éditoriale, de préférence (n'envoyez pas de la science-fiction ou vos exploits érotiques à un type qui fait du roman historique). C'est un bon premier pas. Votre roman ne va pas être publié comme ça en un claquement de doigts. Bien sûr parfois ça arrive, mais à combien de types ? En réalité, c'est surtout une question de feeling, de moment, d'entente entre une personne et une autre. Il y a de l'aléatoire, et pas qu'un peu. Il n'y a que ça, en fait. Sachez que votre réussite littéraire ne dépend en aucun cas de vous, ni de votre travail.Tout ceci s'éclaircit un peu à force de ratages. Il vaut mieux l'avoir pratiqué un peu, cette immense étendue boueuse qu'est l'édition : les trucs typiques à éviter, ce qu'il faut faire impérativement pour avoir un texte publié, etc.

En effet, impossible de prédire à l'avance si tel lecteur du comité de chez Flammarion (vous visez gros, n'oubliez pas) qui s'apprête à tomber sur votre tas de feuillets se sera suffisamment fait pomper le dard la veille pour être de bonne humeur et se pencher avec concentration sur votre ragoût de tête. Impossible en effet, mais la réponse est prévisible : non. C'est pourquoi la vie de l'écrivain est – dans un premier temps, du moins – caractérisée par la patience. Oui, c'est un mot qui fait mal au cul. Surtout si comme moi vous tirez la gueule dès tout ne va pas à cent à l'heure. C'est un énième constat déplorable avec lequel vous allez devoir composer si vous êtes écrivain, inconnu, jeune et pauvre. On est d'accord là-dessus.

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Nous en arrivons donc au problème du roman. Publier un roman est un truc déjà difficile, mais publier un premier roman est un truc quasi impossible. Je commence même à apprécier mes lettres de refus. J'ai l'impression que c'est comme un rite de passage, ou peut-être que je deviens juste maboul. Aucun éditeur, ou presque, ne parierait sur un jeune romancier du tac au tac. À les écouter, votre proposition équivaut à un suicide éditorial, et ils n'ont pas forcément tort. De plus, il y a bien trop d'appelés, bien trop de demandes de la part de gens comme vous. Les gros bonnets savent ce qu'ils veulent, et une chose est sûre : ce n'est pas vous, ni moi.

Même les petites maisons d'édition sont récalcitrantes en ce qui concerne le roman en tant que tel. Elles privilégient souvent le texte plus court. Le marché du roman est monopolisé à un point que vous n'imaginez même pas. Notamment parce que les libraires veulent de nouveaux gros vendeurs de type Pancol, Lévy, Musso – ou je ne sais quelle autre merde. Vous, bien sûr, vous voulez qu'on vous remarque pour votre style, pour votre qualité littéraire (si elle existe). J'aurais presque envie de vous dire : vous déconnez, hein ?

Photo d'identité de Louis-Ferdinand Céline, circa 1942-43. Photo via Wikimedia Comm​ons

Si vous n'êtes pas prêt à en baver, passez votre chemin. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, et c'est peu de le dire. Alors construisez-vous un réseau et comme les autres, avancez au pas. Allez-y au culot, si vous êtes sûr de vous (vous devez l'être). L'audace paie souvent. Vous pouvez vous la jouer à la Ian Curtis dans Control, qui va alpaguer un présentateur télé en lui faisant comprendre que s'ils n'invitent pas Joy Division après écoute de leur came, c'est que celui-ci est un vieux con. Dans les films, ce genre de conneries marche. Qui sait ?

Faire ce métier signifie que vous allez en manger plein la tronche. D'abord par vous-même, éternel insatisfait, puis par les autres. Que ce soit sur les blogs où vous débitez vos simagrées, dans vos petites publications non rémunérées par-ci par-là, mais aussi dans les longues et douloureuses lettres de refus qui vont pleuvoir dans votre boîte aux lettres. C'est un truc à en perdre la tête. Vous vous découpez les boyaux, vous donnez de votre personne, comme disait Céline vous « posez vos tripes sur la table » – et en retour ? Probablement le néant, pour la plupart d'entre nous. En tout cas, il ne faut jamais essayer. Faites le truc jusqu'au bout, sinon lâchez tout. Vous n'êtes pas écrivain à moitié. Vous l'êtes, ou vous ne l'êtes pas.

Le repas préféré des écrivains en devenir et de l'auteur. Photo : Tom Buron

Si vous n'aimez pas galérer, si vous n'êtes pas résistant aux intempéries de l'ego, ne devenez jamais écrivain. Si vous n'êtes pas prêt à bouffer des patates à l'eau pendant dix ans minimum, à faire des boulots de merde pour payer le loyer de votre deux-pièces, ne devenez jamais écrivain. Si vous n'êtes pas prêt à voir les femmes vous fuir l'une après l'autre prétextant que vous courez après du vide, si vous n'êtes pas prêt à encaisser les défaites comme des crochets du gauche de Joe Frazier, si vous n'êtes pas prêt à vous prendre tour à tour pour un demi-Dieu et un chien galeux et ce, dans la même journée, si vous n'êtes pas prêt à mordre la poussière, alors ne devenez jamais écrivain. C'est un conseil d'ami, vieux.