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Un ancien braqueur est aujourd'hui journaliste pour le magazine des prisons britanniques

Noel « Razor » Smith était l'un des gangsters les plus surveillés d'Angleterre ; aujourd'hui il écrit pour l'Inside Time.

​Noel « Razor » Smith

Par une fin de matinée ensoleillée, j'ai retrouvé Noel « Razor » Smith dans South London. On s'est fait un english breakfast jus d'orange-œufs en fumant clope sur clope.

À 14 ans – l'année de sa première incarcération – un directeur de prison a dit de Noel qu'il était « irrécupérable », condamné à partager sa vie entre la réclusion et ses activités criminelles. À cette époque, ce directeur ne se trompait pas. Mais depuis quelques années, Noel lui a donné tort.

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Si l'on additionne ses peines de prison, Noel a passé 32 ans de sa vie derrière les barreaux, la plupart du temps pour vol à main armée. Aujourd'hui, cet homme de 54 ans est reporter pour l​'Inside Time, le journal des détenus britanniques. Tout le long de notre petit-déjeuner, il m'a parlé de son passé de criminel, de son engagement journalistique et de comment améliorer le système carcéral de Grande-Bretagne.

Deux unes de l'

Inside Time publiées récemment

VICE : Salut Noel. Pourquoi t'es-tu retrouvé en prison la première fois ?
Noel Smith : Pour avoir volé une mobylette et braqué un marchand de vin. Je sais bien qu'il s'agit d'un cliché, mais les prisons sont l'université du crime. Lors de cette première incarcération, j'ai rencontré un vieux schnock spécialiste des vols à main armé ; dès que je suis sorti, je suis allé lui un pistolet. Puis j'ai braqué des magasins, des bureaux… Et je ne me suis pas arrêté.

Mais tu t'es fait choper à nouveau.
​Exactement. On m'a arrêté, j'avais 16 ans. J'ai été condamné à trois ans de prison pour vol à main armée et détention illégale d'arme à feu. Quand je suis sorti à 19 ans, que me restait-il d'autre à faire que de poursuivre mes activités criminelles ?

Tu as été placé en isolement à 17 ans après une tentative d'évasion. Cette mesure t'a-t-elle affecté ?
​Ce fut une expérience horrible. Au trou, j'ai tenté de me suicider. J'ai arraché un bout de métal de la porte, je l'ai aiguisé contre le mur et j'ai essayé de m'ouvrir les veines avec. Ce moment effroyable de ma vie a bouleversé toute mon existence. Quand on m'a libéré en 1980, il n'y avait plus de retour en arrière possible : j'étais devenu un criminel pur et dur.

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Tes premières peines de prison ne t'ont pas incité à suivre le bon chemin ?
​Non, au contraire : elles m'ont procuré les outils pour que je récidive. On m'a appris l'attitude pour être un vrai gangster, on m'a donné des contacts. J'étais en roue libre.

Peux-tu me parler du mag pour lequel tu bosses, l'Inside Time ?
​Inside Time, c'est le mensuel des prisonniers. Sa création, en 1990, a suivi les mutineries de la prison de ​Strangeways. Lors de l'enquête qui a suivi, le lord Justice Harry Woolf a souhaité que les prisonniers aient une tribune pour faire entendre leurs opinions. Les prisons constituent des sociétés très fermées – tu n'as pas le droit de parler à la presse, on enregistre tes communications, on lit ton courrier. Il a donc déclaré qu'il devrait exister un endroit où les prisonniers se sentent assez en confiance pour poser des questions, trouver un avocat de qualité, ou plus simplement, exprimer leur point de vue.

Te souviens-tu de la première fois où tu t'es impliqué dans le journal ?
​J'avais écrit une lettre pour le premier numéro et celle-ci a été publiée. Ce fut mon premier papier. Le voir imprimé à côté des autres là, j'ai adoré ! À l'époque, le journal faisait huit pages, aujourd'hui, il en compte plus de 85.

Comment vous bossez ?
Les détenus nous envoient des lettres manuscrites, que je tape ensuite sur ordinateur. Nous recevons entre 300 et 400 lettres pour chaque numéro – mais nous ne pouvons qu'en publier 26. Je dois donc faire au préalable un travail de sélection pour dénicher les plus intéressantes. Et bien sûr, les anciens détenus nous envoient de nombreux d'articles.

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À part la possibilité de se faire entendre, qu'apporte Inside Time aux prisonniers ?
Le journal te donne plein d'informations. Je me souviens, alors que j'étais en prison, tout le monde attendait sa parution avec impatience. Avoir accès en prison à une information sérieuse revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Nous leur apportons des nouvelles du monde, si l'on veut.

Noel quand il était jeune homme (Screenshot ​via)

Peuvent-ils l'utiliser pour améliorer leur sort en prison ?
​Tout à fait. En tant que lecteur, j'y ai beaucoup appris. À Dartmoor, dès qu'il pleuvait les matons annulaient les séances d'exercice physique. Je me suis plaint mais ils m'ont royalement ignoré. J'ai donc écrit à l'Inside Time pour leur demander que prévoyait la loi. Le journal m'a répondu que l'administration pénitentiaire n'avait pas le droit de suspendre ces séances – ou seulement lorsque les surveillants ne sont plus en mesure d'observer les barrières du terrain d'entraînement à cause du mauvais temps. J'ai montré l'article aux gardiens qui ont été contraints de nous laisser faire nos exercices quotidiens. Voilà le principe : le journal te donne les armes pour pouvoir lutter.

Vos articles sont écrits par des prisonniers qui dénoncent les mauvaises conditions de vie en prison. Quelles sont les pires histoires que l'on vous a rapportées ?
Nous recevons des lettres de détenus si mal nourris – à cause des coupes budgétaires – qu'ils sont contraints de se nourrir de souris, ou de pigeons. Ils les cuisent dans leur bouilloire. Ils ne sont pas autorisés à quitter leur cellule pour faire leur vaisselle sans une escorte d'au moins six surveillants. Imagine-toi passer chaque jour de ta peine dans cet environnement puis, du jour au lendemain, on te relâche dans la nature. Penses-tu pouvoir redevenir un citoyen ordinaire ?

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Que penses-tu des solutions de réinsertion mises en place par l'État britannique ?
​Sur les 89 000 prisonniers qui peuplent les prisons britanniques, 5 000 seulement représentent un danger pour la société. Il ne faut plus enfermer les délinquants qui ne menacent personne – ça nous ferait économiser de l'argent, déjà. En ce qui concerne les alcooliques, toxicomanes ou malades mentaux, traitons-les comme des malades. Ne les confondons pas avec de vrais criminels. Et il faut que les plus jeunes puissent apprendre un métier – donnons-leur un savoir qui sera utile à leur futur. Et trouvons des politiciens décents, aussi.

Des politiciens qui ne seraient pas trop éloignés des conditions sociales qui poussent les gens à commettre des crimes ?
​Exactement. Et on pourrait dire pareil pour les juges. Ils quittent leur maison parentale pour se retrouver à Oxford ou Cambridge. Ils n'ont aucune idée de comment vivent les gens. Ils croient, à force de lire les conneries des tabloïds, que nous passons nos journées à ne rien foutre, avachis devant notre écran plat 50-pouces, à se nourrir exclusivement de KFC. Je connais des personnes qui vivent dans une misère abjecte. Tant que nous n'aurons pas trouvé un nouvel équilibre entre riches et pauvres – ​dominants et dominés – nous ne serons jamais en mesure de changer notre société.

Le Ministre de la Justice britannique, Chris Grayling (photo via ​Wikimedia Commons)

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Il y a quelques mois, après une augmentation du nombre de suicides et d'actes violents, le Ministre de la Justice britannique a déclaré : « nos prisons ne sont pas en crise. » Comment réagis-tu à ces propos ?
Je ne peux pas croire qu'il ait assez de couilles pour déclarer qu'il n'existe pas de corrélation entre les réformes récentes et le nombre toujours plus important de violences et de suicides en prison. Il a tellement foutu le système en l'air qu'il va falloir une dizaine d'années minimum pour réparer ses erreurs. Que ce mec ne soit pas encore viré est incroyable. Ceci dit, au contraire d'autres politiciens, il a très vite compris que tout le monde n'en avait rien à battre des prisonniers. Les seules personnes qui lui ressemblent, ce sont des génies du crime qui n'iront jamais en taule.

À quel moment as-tu choisi de prendre un tournant dans ta vie ?
Je suis dehors depuis quatre ans et demi, ma plus longue période de liberté depuis 1976. J'avais atteint les derniers échelons dans la hiérarchie des braqueurs. On m'a condamné à perpétuité pour une série de braquage de banque – j'avais volé de grosses sommes d'argents avec un gang nommé « Les Joyeux Braqueurs ». Puis, après onze ans d'incarcération, j'ai été libéré puis vite remis en prison après avoir mené toute une nouvelle série de braquages. Ma peine a été reconduite à la perpétuité, via la loi anti-récidive.

J'étais écroué à la prison de Whitemoor, une des plus sécurisées d'Europe. Elle est pleine de criminels notoires – des personnes très violentes ou des condamnés à 50 ans minimum. Je m'en suis pas mal sorti – j'étais le mec à aller voir quand vous vouliez mettre la main sur des diamants.

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Et puis soudain, j'ai appris que mon fils de 19 ans, Joseph, était mort dans des circonstances inexpliquées. Il m'est très difficile d'expliquer ce que j'ai alors ressenti. Recevoir ce genre de nouvelles à l'extérieur n'est déjà pas évident, mais moi, j'étais enfermé dans cette prison de haute sécurité. Ça m'a complètement détruit.

Deux chemins s'offraient à moi : soit je pouvais devenir le plus gros enculé de toutes les prisons du Royaume-Uni depuis ​Charlie Bronson ; soit, je pouvais essayer de suivre un programme de réhabilitation. J'ai choisi la deuxième solution. Ma plus grande difficulté a été de savoir par où démarrer – auparavant, je n'avais vécu que pour et par le crime.

Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
​J'ai découvert qu'il existait une prison, Grendon, dans le Buckinghamshire. On pouvait y suivre une thérapie pour individus violents ; celle-ci présentait un fort taux de réussite. Ils sélectionnaient des personnes souffrant de graves troubles de la personnalité, de type : tu continues à avoir un comportement violent alors que tu sais pertinemment que cela nuit aux autres et à toi-même. Avec ma carrière de braqueur à main armée, je correspondais au profil. Ils traitaient les prisonniers avec respect, leur faisaient suivre des programmes intensifs et quotidiens.

Qu'exigeaient les médecins de la part des détenus ?
D'abord, d'avoir de l'empathie pour les victimes. Quand tu es criminel, tu n'y penses jamais. De ton point de vue, les autres n'existent pas. J'ai passé cinq ans à Grendon, où j'ai travaillé sur la mort de mon fils et ma vie en général. Finalement, ils m'ont envoyé dans une prison du Kent bien moins stricte qu'auparavant. J'y ai passé deux ans. Puis j'ai connu une phase de dépression, très courante chez les prisonniers que l'on vient de libérer. Aujourd'hui, mon seul objectif est de rester dehors.

Et de donner une voix aux personnes qui, sans Inside Time, ne pourraient pas s'exprimer.
​On peut dire ça. J'ai bien conscience que les conditions de vie des prisonniers n'intéressent pas grand monde en dehors du système carcéral. Mais le message que je veux faire passer est simple : pour aller en prison, il suffit de mal remplir sa feuille d'imposition. Tout le monde peut devenir délinquant. Ce ne sont pas des monstres. Enfin, quelques-uns le sont, mais ils ne représentent qu'une infime minorité qui ne sera de toute façon jamais remise en liberté.

Merci Noel.