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Culture

Notre addiction à Internet continue de nous abrutir

On a discuté avec Nicholas Carr, l'un des rares types à écrire sur les travers de la technologie sans être assommant.
Illustrations : Katie Horwich

Admettez-le, vous êtes accros. Vous ne pouvez pas vous balader une minute sans vérifier votre boîte mail, traquer le profil Facebook de l'ami(e) d'un(e) ami(e), ou voir si quelqu'un a daigné répondre à votre tweet traitant du chien que vous avez croisé ce matin. Et le plus bizarre, c'est que vous ne vous souvenez même pas comment vous en êtes arrivés là. Hier encore, vous étiez en train de glisser la VHS de Jurassic Park dans le Panasonic NV-HV60 du salon de vos parents – aujourd'hui, vous en êtes déjà réduits à vous masturber devant votre webcam pour faire plaisir à des inconnus et/ou payer votre facture Internet.

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Nous vivons désormais dans un monde où nous n'avons plus tellement besoin de penser à quoi que ce soit. Les adresses, faits et opinions ne sont plus qu'une histoire de recherche Internet. Nous sommes plus enclins à zoner sur des sites inutiles comme celui-ci plutôt que d'avoir une vraie conversation téléphonique.

The Glass Cage est un roman de Nicholas Carr (« un des penseurs les plus lucides, pertinents et nécessaires en activité », selon Jonathan Safran Foer) qui traite précisément de ce sujet. En explorant notre dépendance croissante aux technologies, le livre évoque quelques répercussions inquiétantes – par exemple, un futur où tout le monde possèderait une machine capable de faire des spaghettis bolognaise parfaites, et où plus personne ne saurait les cuisiner (OK, je viens peut-être d'inventer cette possibilité). J'ai discuté avec Carr afin de savoir comment nous étions devenus aussi dépendants à la technologie.

VICE : Quels sont les effets d'Internet, selon vous ?
Nicholas Carr : Internet place la facilité et l'opportunisme au dessus de tout, mais ce n'est pas le responsable de tous nos maux. Je pense que ça nous rend juste plus impatients. Nous nous laissons plus facilement distraire, bien que nous soyons plus efficaces pour trouver des informations.

La manière dont nous interagissons avec des ordinateurs affecte-t-elle notre façon de penser ?
Si vous interagissez avec des ordinateurs en permanence, votre cerveau va s'optimiser pour suivre et collecter des informations par leur biais. Cela va également déclencher la perte de fonctions subtiles qui nous servent à interagir avec le monde contemporain.

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La technologie vous a-t-elle personnellement affecté ?
Ce qui a inspiré le livre, c'est le fait que nous sommes arrivés au point de nous en remettre aux ordinateurs pour tout et n'importe quoi. L'histoire humaine est un jeu d'équilibre entre les outils sur lesquels nous comptons et ce que nous pouvons nous-mêmes accomplir. Avant les ordinateurs, aucun objet technologique n'avait su se rendre aussi indispensable.

Vous estimez qu'il y a une limite entre les mondes virtuels et physiques ?
En fait, il y a eu une expérience intéressante réalisée sur des souris. Des scientifiques ont scanné des cerveaux de souris alors qu'elles déambulaient dans un vrai labyrinthe, puis dans un simulateur. Les chercheurs ont découvert que les cerveaux des souris étaient bien plus actifs quand elles se trouvaient dans un simulateur.

Que pensez-vous des applications comme Freedom ou Moment – qui sont conçues pour éviter d'utiliser l'ordinateur ou le téléphone, mais qui s'utilisent avec ces mêmes outils ?
On compte sur des logiciels pour trouver des solutions aux problèmes qu'ils ont eux-mêmes créés. Notre volonté paraît insuffisante pour gérer cette situation.

Dans ce cas, nous sommes vraiment stupides.
Mais en un sens, je trouve ça encourageant. Ça montre que certaines personnes se bougent un peu derrière leur écran, et qu'elles finissent par se dire : « OK, ça va trop loin. »

N'est-ce pas dans notre nature d'inventer des outils pour nous faciliter la vie ? Dans le fond, ne sommes-nous pas tous des gros tas désireux de rester éternellement dans notre canapé ?
Il y a une théorie intéressante à ce sujet, le paradoxe du travail. Au fond de nous, on se dit que nous serions plus heureux si nous n'avions rien à faire, ce qui nous pousse à en faire un peu moins. Mais en réalité, ne rien faire nous rend triste. Nous pensons donc être plus heureux et comblés sans boulot, mais il apparaît que nous sommes davantage satisfaits lorsque nous travaillons.

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Oh.
Les avions sont un bon exemple de ce méfait. Il y a une possibilité d'érosion de nos compétences. Quand des catastrophes aériennes surviennent, nous dénonçons les erreurs humaines commises, mais il s'agit d'une erreur humaine provoquée par notre dépendance aux technologies.

C'est vrai. Mais pouvoir synthétiser des informations et les balancer sur les réseaux sociaux à des gens du monde entier, c'est plutôt génial, non ?
Je n'ai aucun problème avec les réseaux sociaux – mais plutôt avec le fait que nous dépendions d'internet pour trouver des informations, et qu'il devienne notre seul moyen d'en obtenir. En fin de compte, la pensée humaine ressemble de plus en plus à la manière dont les ordinateurs fonctionnent, par un processus utilitariste de traitement des informations.

Donc on devient tous des machines ?
Non, je pense que la plupart des gens de cette planète feraient de bien piètres ordinateurs – Dieu merci ! Mais j'ai peur qu'au lieu de conserver cet équilibre, nous nous disions simplement : « OK, laissons les ordinateurs s'en charger. »

Maintenant, on peut créer sa propre pizza sur une application Domino's, tandis que Google annonce vouloir créer une IA omnisciente. Internet couvre désormais tout un éventail de techniques. Il faut s'en inquiéter ?
Les algorithmes dont nous dépendons sont invisibles, et c'est un problème. Google est rapide, ce qui nous fait penser que c'est un moyen efficace d'obtenir une information. Ainsi, nous avons assimilé le fait que Google manipule notre flux d'information. Des gens pensent utiliser certaines technologies parce que ce sont les meilleures. Mais ce n'est pas vrai. De nombreux facteurs – économiques, sociaux et même militaires – déterminent ce que nous utilisons au quotidien.

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Au début de l'automatisation, il y a eu deux choix : soit on créait un programme pour le faire intégrer par les ouvriers, soit on reconnaissait que les travailleurs avaient de nombreuses compétences et on les laissait programmer ces logiciels eux-mêmes – devinez quelle option a été choisie.

Pensez-vous que nous sommes un peu naïfs à l'égard des intentions d'une société comme Google ?
D'une manière générale, les motivations de ces sociétés sont avant tout économiques, et c'est dans leur intérêt de continuer à nous divertir, de nous faire cliquer et de nous passer quelques publicités. Plus ces sociétés vous font visiter de pages, plus leur système économique est performant – parce qu'elles collectent plus de données et qu'elles vous montrent ainsi plus de publicité.

Devrions-nous avoir peur du futur ?
Je pense que nous devrions nous inquiéter, en effet. Nous nous jetons passivement dans les bras de ceux qui conçoivent les systèmes. Nous avons un besoin crucial d'y penser, tout en continuant de nous enthousiasmer pour les grandes inventions à venir. Je ne suis pas luddite pour autant, je ne pense pas non plus que nous devrions jeter nos PC et nous réfugier dans les bois.

En fait, nous vivons selon la pulsion de mort freudienne, en faisant notre maximum pour nous transformer en idiots.
Avant Freud, Marx avait souligné le fait que la face cachée de notre désir pour la technologie semblait créer une technologie animée et des humains inanimés. Au début de la radio, il y avait des systèmes de réception, mais aussi de transmission. Mais les gens ont rapidement arrêté de transmettre et se sont contentés d'écouter.

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Sommes-nous destinés à inventer la technologie qui signera notre mort ?
Je voudrais résister à cette idée. Je pense que la technologie est dépendante de notre relation avec le monde comme le télescope, ou encore la faux. Sans faux, nous serions particulièrement nuls pour couper de l'herbe. C'est un outil formidable. Mais l'horloge tourne.

S'il vous plaît, ne me dites pas que les horloges sont aussi à blâmer.
C'est une lame à double tranchant. Mais je suis toujours méfiant à l'idée de pointer les effets négatifs des horloges – parce que je ne veux pas être catégorisé comme quelqu'un qui soit « contre le temps ».

Je vous jure que ça n'arrivera pas.
OK, très bien. Les horloges ont transformé l'écoulement naturel du temps en unités mesurables avec précision, ce qui a été capital pour l'industrialisation. Mais quand vous êtes complètement habitué à vivre avec une horloge, vous perdez cette sensation de faire vous-même partie de cet écoulement naturel. Nous devenons davantage mécanisés, marqués par la routine : on se lève à X heures, on part pour le boulot à Y heures, et on se couche à Z heures.

Y-a-t-il une quelconque invention moderne qui soit bien ?
Euh.

Aucune, vraiment ?
Les échelles ? C'est pas mal, les échelles.

Je ne suis pas du genre à critiquer les échelles. Mais je ne dirais pas qu'elles sont modernes pour autant. Que pensez-vous des bâtons sauteurs ?
Je les mets dans le même panier que le télescope. Mais si quelqu'un passe toute sa journée à faire du bâton sauteur, alors cela aura aussi des conséquences négatives sur sa vie.

Vous pensez que la contemplation silencieuse va faire son grand retour ?
Je l'espère.

@MrDavidWhelan