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LE NUMÉRO DE L'ENFANT-DRAGON

On a percé le mystère des pyramides de Bosnie

Il y a quelques mois, un patron de presse inconnu – qui s’est révélé un escroc qui me doit toujours plein de pognon – m’a envoyé en Bosnie. Je suis parti avec un photographe pour pondre un article chiant sur...

Haris, notre guide. Le premier jour, il était content de nous faire partager ses petits délires ufologiques et on avait encore envie d’y croire.

Il y a quelques mois, un patron de presse inconnu – qui s’est révélé un escroc qui me doit toujours plein de pognon – m’a envoyé en Bosnie. Je suis parti avec un photographe pour pondre un article chiant sur une ville prétendument en ruines qui au final ne l’était pas du tout. Avant de m’expédier là-bas, il m’avait filé le contact d’un dénommé Saric, un Bosnien francophone qui devait me servir de fixeur à distance.

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Quand je l’ai appelé pour lui gratter un peu d’informations sur Jajce – la ville en ruines qui ne l’était pas – il m’a immédiatement demandé si j’avais l’intention d’aller voir « les pyramides de Visoko ». J’ai dit que non. Saric m’a alors raconté une histoire de pyramides vieilles de plusieurs milliers d’années qui venaient d’être découvertes en Bosnie par un archéologue nommé Semir Osmanagic. Le type en question allait être en Bosnie dans les jours suivants. Il fallait donc absolument trouver le moyen de feinter pour faire un détour par ces pyramides de Visoko, un bled à une heure et demie de Sarajevo, ne serait-ce que pour voir s’il s’était foutu de ma gueule ou pas.

Trois jours plus tard, on était plantés devant l’aéro­port de Sarajevo. Sous une petite pluie glacée, j’ai composé le numéro de Semir Osmanagic, mon nouveau pote Saric me l’ayant gentiment refilé entre-temps. Avec l’accent du mauvais acteur qui joue le rôle du méchant agent du KGB, l’archéologue m’a répondu qu’il était prêt à nous consacrer une heure, mais seulement si on se magnait le cul et qu’on venait le rejoindre à l’Holiday Inn du centre de Sarajevo. Un taxi plus tard, on était dans le lobby de ce temple journalistique de la guerre de Bosnie, à l’endroit même où les journalistes de guerre les plus couillus de la planète se pelaient le cul il y a dix-sept ans, au moment du conflit yougoslave.

Malgré sa passion manifeste pour les jus d’oranges pressées, Osmanagic n’a pas vraiment la gueule d’un tendre et ressemble curieusement à Harrison Ford. Signe d’un esprit un peu tordu ou super méfiant, le gaillard a commencé l’entretien en me posant lui-même des questions. « Hum, et que savez-vous sur les pyramides ? Et sur moi ? » En grand professionnel, j’avais évidemment eu un peu le temps de checker l’histoire sur Internet, et je lui ai répondu qu’on ne savait pas trop s’il s’agissait vraiment de pyramides, que ça manquait de preuves formelles son histoire, et que lui-même était un peu controversé, qu’on le taxait d’ufologue, de cliché de mec pas trop fiable, etc. Mort de rire, il s’est contenté d’ajouter : « Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur Internet, vous devriez le savoir. » Ouais, j’étais au courant hein, mais c’est que le bonhomme a une fâcheuse tendance à voir des manifestations ­extraterrestres dans tout un tas de trucs, à commencer par l’origine des pyramides mayas. Osmanagic est en fait complètement obnubilé par le concept de pyramide. Il a écrit une thèse à l’université de Sarajevo sur la question et passé quinze ans à arpenter les pyramides précolombiennes du Salvador, du Mexique et du Pérou. Il est persuadé qu’il y a des pyramides partout, et même dans le sud de la France. Mais sa vie a véritablement basculé quand Senad Honovic, le directeur du musée d’histoire de Visoko, l’a informé en 2005 de la découverte probable de pyramides en Bosnie. La pyramide du Soleil. Pendant des millénaires, les locaux ont pensé que c’était juste une colline.

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Osmanagic fait typiquement partie de cette catégorie d’individus qu’on pressent de mauvaise foi sans pouvoir le prouver et qui n’exposent que les faits qui vont dans leur sens. En gros, c’est un putain de manipulateur. Bien enfoncé dans son fauteuil du grand salon de l’hôtel, il a commencé à me raconter à quel point la pyramide du Soleil – c’est le nom que les locaux lui ont donné – portait en elle tous les éléments exceptionnels propres aux pyramides. « Quatre arêtes parfaitement droites pointant exactement vers les quatre points cardinaux, un toit plat et une entrée en contrebas. » Dans les faits, sur les dizaines de photos aériennes qui existent, l’ensemble ressemble furieusement à une pyramide qu’on aurait recouverte avec de la végétation touffue. Un esprit un peu cartésien n’y verrait qu’une colline à la géométrie inattendue. Mais Osmanagic, lui, est convaincu que la colline a été modelée par les Illyriens, un peuple qui vivait dans les Balkans bien avant que les Slaves ne se ramènent en l’an 600. Concrètement, on ne sait pas grand-chose sur les Illyriens, mais cet individu trouble affirme qu’il s’agissait d’un peuple bien plus sophistiqué qu’on ne le croit. Il n’a aucune preuve de ce qu’il avance, cela dit.

Sortis de l’heure et demie de discussion – ou de lavage de cerveau – avec l’Indiana Jones des Balkans, on avait un peu de mal à se faire notre propre idée sur les « pyramides » de Bosnie. Avant qu’on le laisse à son jus d’orange, il nous a filé le numéro de Haris, son assistant, en charge de nous montrer les pyramides, les quelques découvertes archéologiques mais surtout de nous faire visiter le tunnel. À ce moment-là, on ne savait évidemment rien de ce fameux tunnel, mais c’était clairement le truc plus excitant dans l’histoire. Notre scientifique très spécial l’avait décrit comme « un système extrêmement complexe de galeries souterraines reliant toutes les pyramides entre elles ».

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On a sauté dans le taxi d’un vieux mec tout buriné qui empestait la tise. Pendant une heure et demie, on a roulé dans un brouillard crade à travers une Bosnie en reconstruction, trouée de millions d’impacts de balles. La Merco a fini par s’arrêter dans un ersatz de centre-ville, juste en face du motel Piramida Sunca trois étoiles, un bâtiment tout cramé qui dominait le coin de toute la hauteur de son architecture soviétique. Que l’histoire soit vraie ou pas, les pyramides sont une opportunité commerciale inespérée pour cette petite ville sinistre. Le logo en triangle est présent partout à Visoko : sur le porte-clés de la chambre 114 de l’hôtel, les sachets de sucre dans les cafés et même les pièces de monnaie.

L’assistant Haris est venu nous récupérer au volant d’une Volkswagen ancestrale couleur pomme siglée du symbole de la fondation établie par l’archéologue controversé – une pyramide, comme vous l’aurez deviné. Haris est un drôle de type blond d’une trentaine d’années qui parle plutôt bien anglais et travaille à plein temps comme guide pour les touristes de passage. À ses heures perdues, il assiste Semir Osmanagic dans ses expéditions.

Haris le deuxième jour, en moins souriant. Le centre-ville de Visoko, défoncé par les obus serbes dans les années 1990. Au fur et à mesure des différents sites où il nous trimbalait pour nous montrer des dalles dans le sol et des trucs qui ressemblaient à des escaliers déterrés à la pelle, Haris nous ressortait la même soupe que son patron, mais avec encore davantage de faits mystérieux. Les collines recouvertes de végétation, censées être nos fameuses pyramides, étaient bien là. Les explications fumeuses abondaient. Et comme le temps avançait, que la météo était pourrie et que la lumière du jour ne cessait de décliner, on commençait à s’impatienter. Afin d’attiser notre curiosité, Haris a fini par nous emmener devant l’entrée du fameux tunnel, nous promettant qu’on pourrait le visiter le lendemain – une hypothétique invasion de chauves-souris l’en dissuadant à cet instant. Histoire de faire monter la pression, il nous a tout de même parlé d’un « grand secret enfoui à l’intérieur de ce réseau sous les pyramides par une civilisation supérieure ». Pas à court d’imagination, il précisait qu’une autre civilisation aurait alors rebouché lesdits souterrains quelques siècles plus tard afin de protéger le secret en question. Et quand enfin je lui ai demandé : « Mais enfin Haris, de quel secret tu nous parles ? », le lascar ne nous a pas vraiment fourni d’explication, mais s’est contenté de lâcher sans ciller : « A big, big secret, you know my friend. »

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Vu qu’on avait le sentiment de n’avoir encore rien vu de bien concret, à part trois dalles en argile, Haris, en nous déposant à notre hôtel, nous a conseillé de nous lever tôt le lendemain, histoire d’aller sur un parking en hauteur, à quelques minutes de marche du centre, d’où l’on verrait bien la forme de la pyramide du Soleil. Évidemment, on s’est coltiné deux heures de brouillard dans le froid entre 7 heures et 9 heures du mat’ avant de voir quelque chose. De haut, la colline ressemblait en effet à une pyramide. Pour autant, le truc n’avait pas autant de gueule que les photos aériennes de la brochure que nous avait refilée Indiana Jones la veille. J’étais bien content de ne pas être photographe et d’avoir à restituer le truc à ce moment-là. Dans l’atmosphère humide et morne de Visoko, notre guide est venu nous choper à 9 heures au pied de l’hôtel, après notre excursion matinale. On était contents, on allait enfin se foutre un truc tangible sous la dent et visiter le tunnel ; mais le garçon était nerveux, moins avenant que la veille, stressé par une sombre histoire de « touristes croates ».

Le temps d’enfiler un casque de chantier et de se faire un peu gueuler dessus parce qu’on n’était pas assez réactifs à son goût, voilà que nous nous sommes retrouvés engagés dans l’obscurité de ce tunnel qui, supposément, reliait les trois pyramides entre elles – à l’aide d’un réseau de plusieurs dizaines de kilomètres de long. On s’enfonçait dans des couloirs humides tapissés de pierres façonnées et dont les parois étaient seulement maintenues par d’imposantes poutres en bois disposées à un ou deux mètres d’intervalle. L’atmosphère était salement tendue. Haris semblait avoir du mal à se défaire de la pensée des Croates. Et surtout, il me faisait bien sentir qu’il n’était pas disposé à répondre à mes questions casse-couilles avec la même retenue que la veille. Je lui ai demandé si son tunnel n’était pas tout simplement une mine – la région en compte par centaines depuis le XIVe siècle. Son anglais semblait se dégrader à mesure que son stress et son exaspération augmentaient.

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Le motel Piramida Sunca trois étoiles, à Visoko. On y dort pour trois fois rien, et la vue sur la ville est imprenable.

On était désormais à plus de 200 mètres de l’entrée, à en croire les panneaux indicatifs disposés tous les dix mètres. Bizarrement, l’oxygène circulait bien – il l’a souligné plusieurs fois,  arguant que les tunnels étaient dotés d’un système d’aération pensé par « une civilisation supérieure » – mais dans un délire qui commençait à me bouffer le cerveau, je me disais que son anglais balbutiant était peut-être la conséquence du manque d’air respirable. Cette pensée a eu pour effet psychosomatique de faire encore augmenter la tension, d’autant plus qu’on avait déjà dépassé des tonnes de croisements, accentuant notre impression d’être complètement paumés et livrés à un type chelou, ancien comptable reconverti en ufologue fanatique.

Plus tard, Haris nous a montré une pierre énorme en céramique et nous a soutenu avec véhémence qu’elle avait probablement été façonnée par la même civilisation. Il nous a montré trois fissures aléatoires qui soulignaient selon lui la topologie exacte de la région. J’étais tenté de le contredire, mais vu la commodité toute relative de la situation et le peu d’enthousiasme avec lequel il avait répondu à ma théorie de la mine, j’en étais arrivé au point où je me disais qu’il valait peut-être mieux ne plus trop la ramener. Et puis pour être franc, il était absolument impossible de savoir à ce moment précis si l’on était en train de se faire enfumer par un illuminé. Haris y croyait, et il semblait sincère. Finalement, le temps de nous montrer encore trois, quatre embranchements, une inscription prétendument primitive – très largement contestée par les archéologues venus dès 2005, qui sont catégoriques sur le fait qu’elle n’était pas là à l’époque –  et deux caillasses « symboliques », on était de nouveau dehors, une heure plus tard.

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Haris nous a lâchés en quatrième vitesse devant notre hôtel­ et on a fini par se casser de Visoko quelques heures après, sans être sûrs de rien sinon que ces scientifiques avaient l’air salement attaqués. C’est finalement de retour à Paris, en me plongeant dans les travaux des géologues et des archéologues venus sur place et ayant suivi de près la chose, que je pense avoir trouvé le fin mot de l’histoire.

Semir Osmanagic affirme que les pyramides de Bosnie ont été construites avant celles de Gizeh. Il s’est donné pour mission de retourner la tête des journalistes de passage, prospectus à l’appui.

En fait, tous les types sérieux ou presque considèrent Osmanagic comme – au choix – un illuminé, un escroc ou un sale taré. Concernant la pyramide du Soleil, il est vrai qu’elle présente des dimensions impressionnantes et une géométrie hors du commun. Pour autant, rien, absolument rien ne prouve qu’il y a eu intervention humaine, à la différence de celles qu’on peut visiter en Égypte ou en Amérique centrale. Quant au tunnel, à l’exception notable d’un tuyau de drainage en ciment, de quelques murets et de traces d’outils, les scientifiques ont toujours noté une absence totale d’artefacts. En revanche, d’après certains géologues, la ­possibilité d’une mine très artisanale n’est pas à exclure.

Mais surtout, c’est la façon dont Osmanagic justifie ses sentiments et ses envies avec les analyses d’égyptologues mythomanes et d’experts pétés sortis de nulle part qui a définitivement fini de le discréditer. Alors ouais, j’étais enthousiaste en partant, j’avais vraiment envie de croire qu’on avait nos pyramides à nous en Europe, construites par une « civilisation supérieure » disparue il y a des milliers d’années. J’étais prêt à tout croire. Mais non, il fallait qu’une bande de mauvais zouaves me gâche la fête. Trouvez-vous de bons menteurs, la Bosnie.