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Après l'Australie, la Réunion veut aussi buter ses requins

On a parlé avec un mec en guerre contre les squales de la région – ce qui n'est sans doute pas une bonne idée.

Une manifestation à Saint Gilles, à la mémoire du surfeur Elio Canestri. Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de de Swann Lecocq

Le dimanche 12 avril, Elio Canestri, 13 ans, est tué par un requin alors qu'il surfait sur le spot des Aigrettes à l'île de la Réunion – une zone interdite à la baignade depuis la « crise requin » qui gangrène toujours le département. Il est mort à 300 mètres des portes de son collège, où j'ai étudié entre 2001 et 2005 – à l'époque où on pouvait encore surfer aux Aigrettes sans craindre de manquer le cours de techno de 14 heures à cause d'une morsure de squale. Mais la situation a bien évolué. Depuis 2011, 16 attaques de squales ont été recensées, ayant causé le décès de sept personnes. Pour l'année 2015, la Réunion concentre à elle seule 50 % des attaques mortelles de squale.

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Depuis quelques années, les 10 000 surfeurs de l'île se tiennent écartés tant bien que mal des vagues vierges de l'Ouest. Le nombre de licenciés est ainsi passé de 1 600 en 2011 à 400 aujourd'hui – ce qui n'empêche pas les attaques de continuer. Pour Jean-François Nativel, fondateur et secrétaire de l'association Océan prévention Réunion en guerre contre « l'escrologie 2.0 », les attaques pourraient grandement diminuer si « l'État faisait son boulot ». Les solutions d'urgence, il les connaît pour les avoir popularisées sur l'île : la pêche des squales et la mise en place de filets protecteurs. Je l'ai contacté pour qu'il m'en dise un peu plus sur la situation actuelle.

VICE : Elio surfait dans une zone interdite à la baignade quand il s'est fait attaquer, considérez-vous que c'est une erreur humaine ?
Jean-François Nativel : Le « risque requin » est connu depuis longtemps sur l'île de la Réunion, depuis l'attaque mortelle sur Bruno Giraud en 1989. À partir de cette époque, la quasi-totalité des pratiquants ont banni le surf dans les endroits sauvages réputés où l'eau est très souvent boueuse du fait des fortes pluies. Il y a souvent l'idée d'une « imprudence volontaire » du surfeur réunionnais qui continue sa passion – qui est en parfaite adéquation avec la représentation sociale du surfeur transgresseur des règles.

Et l'attaque aurait pu se passer sur un spot sécurisé.
Sous-entendre ou donner l'illusion qu'il y aurait « des zones surveillées/autorisées » renforcent l'animosité de l'opinion à chaque attaque. Mais il n'y a plus de spots sécurisés à la Réunion depuis le début de la crise : c'est un des grands mensonges savamment entretenus par les autorités et les médias. À ce titre, la réglementation dit d'ailleurs que la « baignade et toutes les activités nautiques sont interdites en dehors du lagon et des zones surveillées ».

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Le gouvernement a décidé de fermer durablement l'accès au plein océan. Qu'en pensez-vous ?
L'interdiction n'est pas la solution : elle devait être provisoire et a déjà été reconduite quatre fois. Les politiques publiques menées depuis les années 1980 pour développer le nautisme ici ont conduit à donner le goût de l'océan récréatif à des milliers de personnes. Comment l'État peut maintenant en 2015 justifier les principales attaques par l'interdiction à tous ces passionnés qu'il a lui-même soutenus pendant tant d'années ?

Vous avez arrêté de surfer ?
Bien évidemment. Dès la mort de Mathieu Schiller en septembre 2011, j'ai limité ma pratique à des petites conditions lorsque j'accompagnais mon jeune fils dans l'eau. Après la mort d'Alexandre en juillet 2012, cette fois-ci j'ai limité mon contact avec l'océan à de rares occasions, d'autant que le rythme des attaques ne nous aura donné aucun répit. Et étant donné que mon fils est désormais terrorisé à l'idée de se baigner, le seul lien qui me reste avec l'eau est la pratique de la pêche en apnée. Le processus de déculturation est largement et tristement entamé.

On voit – avec les drames à répétition – que l'interdiction des spots ne résout pas le problème du « risque requin ». Selon vous, comment prévenir le risque d'attaques à l'île de la Réunion ?
Le problème c'est qu'il aurait fallu prendre le taureau par les cornes dès 2011, dès le constat d'une localisation inédite et d'une fréquence anormale. Jour après jour les requins s'installent, et hypothèquent d'autant les chances d'un retour à la normale. Les récentes et nombreuses captures au lendemain des deux attaques mortelles de 2015 montrent bien que nous sommes face à une prolifération, que désormais seules des personnes de mauvaise foi pourraient nier. Il devient indispensable de retrouver un équilibre, c'est-à-dire retrouver le seuil des années 1990-2000, seuil en deçà duquel le risque aurait des chances de redevenir raisonnable.

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Pour l'instant, le rythme de pêche de l'État (environ un requin par mois) est très largement en dessous des capacités de reproduction élevées de ces espèces. Aussi tabou qu'incontournable soit-elle, la pêche est essentielle – et ce n'est qu'une des mesures d'un plan global qui allie aussi bien l'éducation au risque, que des dispositifs non létaux ou la mise en place de vigies.

L'année dernière l'Australie avait capturé 120 requins et tué 50 autres dans le cadre d'un programme de protection des baigneurs – une opération que les autorités avaient appelée « un succès ». Est-ce une solution envisageable à la Réunion ?
Seul un prédateur est susceptible de repousser un autre prédateur. Si vous avez des animaux sauvages dans votre jardin et que vous mettez un piège ou que vous en tuez un, les autres ne reviendront plus pendant plusieurs semaines. C'est une question de territoire : il s'agit juste de protéger 20 km de frange côtière sur un pourtour de 208 km au total, en réintroduisant une pression anthropique. Il faut pêcher les squales.

Ce programme dont vous parlez a été mené en Australie de l'Ouest entre janvier 2014 et avril 2014. Il devait se poursuivre durant trois ans mais la pression des protecteurs des requins, ainsi qu'une décision de l'autorité écologique australienne, ont conduit à l'arrêt total de ce programme. Ce qui est insensé.

À la Réunion, il y aurait entre 800 et 1 000 squales qui rôdent autour des côtes, en pêcher une centaine par an – contre une trentaine aujourd'hui – pourrait réduire grandement le risque d'attaque. C'est statistique.

Donc pour vous, l'heure est à la pêche et à la commercialisation du squale pour la consommation alimentaire ?
L'État se moque des citoyens réunionnais. Nous sommes le seul endroit de la planète où la commercialisation des requins côtiers demeure interdite sous prétexte que nous serions trop près de Madagascar (700 km) alors même que l'île de Mayotte n'est pas frappée d'interdiction.

Mais ici à la Réunion, beaucoup de gens apprécient ce poisson sans arête – il en va de même pour les métropolitains. Quand on connaît les taux en pesticides, en hormones et autres produits chimiques des produits de consommation courante qui sont servis en France, on peut se dire que les gens ont le droit de manger un bon steak de poisson frais plutôt qu'être condamné au fast-food, à des plats surgelés, ou des conserves.

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