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Paris a besoin de temps pour faire son deuil

Alors que les attaques sont encore dans toutes les têtes, les réseaux sociaux sont déjà truffés de débats stériles et d'analyses de polémistes pressés.

Des journalistes à Paris, après les attentats du 13 novembre. Photo : Étienne Rouillon

Je vis à Paris depuis trois ans. Cette ville m'a aidée plus que je ne pourrais jamais l'exprimer. J'ai quitté l'Angleterre parce que je n'arrivais pas à trouver de boulot après l'obtention de mon diplôme ; la France m'a permis d'avoir un travail, de me faire des amis et de passer un master. La France m'a offert un futur que mon propre pays était incapable de m'offrir.

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Quand je suis arrivée à Paris, je ne parlais même pas français. Je ne connaissais personne. En l'espace de trois ans, la France est devenue mon chez-moi, et j'ai souffert de voir ce pays en proie à des attaques aussi atroces. Depuis vendredi, j'ai été touchée de voir à quel point les gens étaient déterminés à aller de l'avant, et à prouver qu'une attaque terroriste n'affecterait pas leur manière de vivre. Et bien que ce soit un choix admirable, il a ses conséquences.

Samedi, j'ai acheté des fleurs pour les placer face à la statue de Marianne, Place de la République. À 17 heures, des équipes de journalistes télé ont débarqué. Des gens se sont mis à chanter « Vive la liberté ! Vive la République ! » tout en trébuchant sur leurs câbles et leurs groupes électrogènes. Les Parisiens se sont même remis à boire, tandis que les bougies et les messages de soutien continuaient de s'accumuler sur la place.

Et soudain, un vent de panique a agité la foule. Une personne a crié, puis une autre, jusqu'à ce que toute la foule se mette à courir sans que l'on ne sache vraiment pourquoi. Certaines personnes disent que quelqu'un a fait exploser des pétards. D'autres disent qu'une ampoule a sauté dans un café de la rue des Archives. Personne ne sait vraiment ce qui se trouve à la source de ce mouvement de panique, mais une chose est désormais certaine : si les Français sont de retour dans la rue, la peur est toujours bien présente.

Beaucoup de personnes ont scandé ce slogan : « Même pas peur. » Mais la plupart d'entre nous avons peur. Et nous avons tout à fait le droit d'avoir peur. Ce qu'il s'est passé vendredi a marqué les esprits. La ville est toujours un peu tendue, et il n'y a rien de plus normal.

J'aimerais qu'on s'arrête deux secondes. Paris a besoin de faire son deuil. Dimanche, à peine quelques heures après les attaques, Hollande autorisait des attaques sur Rakka, et les réseaux sociaux étaient déjà inondés d'analyses et de débats – sur le fait que les attaques à Beyrouth avaient été injustement ignorées, que les médias avaient une manière trop arbitraire de traiter l'info, que personne ne devrait arborer le drapeau français sur Facebook.

Maintenant, que faire ? Nous avons à peine eu le temps de respirer. Laissez cette ville et les gens qui la peuplent se ressaisir avant de vous prendre la tête sur Facebook. Nous retournerons travailler et étudier – mais c'est inutile de le faire si nous n'en avons pas encore les capacités. Nous avons besoin de faire notre deuil. Et si cela constitue un signe de faiblesse, tant pis. Nous sommes vulnérables. Nous avons été attaqués dans nos bars, dans nos restaurants – chez nous. Nous sommes vulnérables parce que nous sommes insouciants, et que nous aimons boire avec nos amis le vendredi soir. Inutile d'avoir honte de cette vulnérabilité inconsciente – c'est une simple marque de joie et de liberté.

Sur la pancarte que j'ai laissée Place de la République, j'ai écrit que je n'avais pas peur. C'est faux. Nous avons tous un peu peur – mais c'est notre droit.