Pas de Dieu, pas de problème

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LES CHIENS NE FONT PAS DES CHATS MAIS PAS DES CHEVAUX NON PLUS

Pas de Dieu, pas de problème

Si vous vous demandiez ce que foutaient les athées américains : ils vont à la messe.

Le 7 novembre 2013, la ville de Nashville, dans le Tennessee, a inauguré sa première église athée. L’État des volontaires rassemble des centaines de congrégations chrétiennes, auxquelles s’est récemment ajouté un groupe d’athées. Ils ont créé leur propre messe, qu’ils ont appelée « l’Assemblée du dimanche ». L’idée était assez novatrice pour que de nombreuses chaînes locales s’emparent du sujet. L’un des journalistes m’a confié qu’il était particulièrement difficile de filmer des athées – à Nashville, il est plus sage de cacher son manque de spiritualité afin de ne pas se faire persécuter par les nombreux évangélistes qui peuplent la région.

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La messe a commencé comme toute messe ordinaire, avec des hymnes aussi entraînants que faciles à chanter. Mais à la place des morceaux classiques comme « Abide with Me », la cérémonie s’est ouverte sur « Get Together » des Youngbloods – joué par un groupe spécialement formé pour l’occasion – suivi de « Folsom Prison Blues ». L’assemblée hésitante s’est mise à taper des mains, parfois à contretemps. Puis le pasteur a débarqué sur scène. C’était un type grand, aux cheveux longs, assez jeune ; une sorte de réincarnation de Jésus, mais titulaire d’un BAFA. Il s’appelait Sanderson Jones et il était extrêmement content d’être ici. « J’espère que vous êtes prêts à célébrer la vie pendant une heure ! » a-t-il déclaré en souriant à la centaine de fidèles devant lui. « Nous allons commencer par vous expliquer en quoi consiste l’Assemblée du dimanche, comment nous en sommes arrivés là, et nous allons parler de ce que la suite nous réserve. » Sanderson leur a parlé de faire partie « d’une assemblée sans Dieu », dont l’objectif principal était « d’aider tout le monde à vivre sa vie à fond ». Sur scène, l’un des organisateurs est passé lire un poème, suivi d’un sexologue qui a mis tout le monde mal à l’aise. Les spectateurs ont également pu apprécier une reprise enthousiaste de « Hey Jude » pendant l’offertoire, avant qu’un silence contemplatif ne s’abatte sur toute l’Église – cette célébration ressemblait en réalité à une messe. À la fin de la cérémonie, de nombreux fidèles se sont rendus au bar d’en face, où ils se sont épanchés sur leur vie face à des inconnus en qui ils voyaient de potentiels amis. Tous les athées et agnostiques présents ont partagé leurs anecdotes personnelles avant de planifier leurs activités communes pour le mois suivant. Pour qu’une église prospère, elle doit être capable de fonctionner comme une communauté. Sanderson et sa petite amie, Pippa Evans, essaient de répandre ces échanges à travers le monde. Ils ont créé l’Assemblée du dimanche il y a un an, mais ils espèrent déjà en faire une religion laïque et planétaire. Sanderon et Pippa ont raconté leur histoire de nombreuses fois, à travers des vidéos pour des sites de crowdfunding, des sermons et des interviews. En 2011, ces deux comédiens de stand-up étaient en route pour Bath lorsqu’ils se sont posé la question suivante : et s’il existait une église pour les gens qui ne croient pas en Dieu ? Ils ont fini par se persuader que le monde avait besoin d’une telle institution et qu’ils la fonderaient eux-mêmes. Après quelques discussions, ils ont organisé leur première assemblée en janvier 2013, dans une église désaffectée de Londres. Par la suite, ils ont expliqué à des journalistes que leur but était de mettre en place « une église pour athées, mais surtout un grand spectacle pour célébrer la beauté de la vie » et de rassembler « les meilleurs éléments d’une église, en écartant toute dimension religieuse ». À leur grande surprise, 200 personnes sont venues écouter leur bonne parole. Un mois plus tard, 100 personnes de plus étaient présentes. En un clin d’œil, les Assemblées du dimanche se sont exportées à New York et Melbourne, toutes guidées par une seule et même mission : « Vivez mieux, aidez votre prochain, émerveillez-vous le plus possible. » En octobre – soit neuf mois après leur toute première messe – ils ont demandé plus de 600 000 euros sur un site de crowdfunding, dans l’objectif de créer un site officiel et de lancer d’autres Assemblées. « De la même manière qu’Airbnb permet aux particuliers de sous-louer leur appartement, nous voulons faciliter la création de votre congrégation », expliquait Sanderson. Il projetait alors de voyager avec Pippa à travers l’Europe, l’Australie et les États-Unis, et d’organiser des messes dans 35 villes différentes en l’espace de 40 jours. À ce moment, les médias se sont demandé si l’Assemblée du dimanche était devenue l’église la plus prolifique au monde. Des dizaines de journaux – du Guardian au Sydney Morning Herald, en passant par The Economist – ont publié des articles sur cette religion étrange fondée par deux comédiens. Et l’idée était suffisamment « insolite » pour affoler la blogosphère. Le fait que Sanderson soit un évangéliste charismatique prompt à sortir des répliques prêtes à l’emploi a largement participé au succès de son entreprise. Sanderson est grand, dégingandé et possède l’énergie d’un golden retriever. Il fait partie de ces rares âmes capables de parler de la beauté de la vie en étant sérieux, et il arbore un air surpris en permanence. Un journaliste de The New Republic l’a surnommé « le Jésus hipster », mais cette appellation sous-entend un cynisme qui ne lui ressemble pas. D’un optimisme à toute épreuve, il n’éprouve aucune forme de mépris envers les fondamentalistes religieux, qui constituent pourtant l’une des cibles préférées des comédiens athées. Il ne jure jamais sur scène – lors d’une messe à Washington DC, Sanderson a déclaré : « Le seul gros mot qu’on utilise, c’est déconner ! » J’ai rencontré Sanderson l’été dernier. C’était sa première visite à New York, où il s’apprêtait à former sa première assemblée américaine. La messe s’est tenue un après-midi de juin dans un bar du centre-ville, sous une chaleur infernale. 100 curieux s’étaient rassemblés dans une salle minuscule où s’affairaient des serveuses en bikini. Nous avons tous chanté en chœur et écouté le discours de Sanderson, qui ne s’attaquait jamais à la religion ou au concept de Dieu. Il nous invitait simplement à apprécier les merveilles de l’existence. « L’athéisme est un plongeoir, a-t-il hurlé. La vie est une piscine ! » J’avais alors l’impression d’assister à une performance -artistique destinée à nous faire apprécier une forme positive d’athéisme. Mais en automne dernier, Sanderson m’a envoyé un mail pour me dire qu’il partait sur la route avec sa copine afin de lancer des dizaines de nouvelles assemblées et récolter plus d’un demi-million de dollars. J’ai arrêté ce que j’étais en train de faire pour les rejoindre sur-le-champ. « On va aider des milliers de gens à former leur communauté sans Dieu. » Oui, des millions. Sanderson et Pippa estiment que le temps est venu pour les athées de se faire entendre. Ils se sont donné pour mission d’aider les non-croyants à former des congrégations et à se soutenir, comme le font déjà de nombreux groupes religieux. Selon eux, la meilleure façon de mener à bien leur mission est de faire preuve d’une extrême gentillesse.

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Pendant notre voyage à travers l’Amérique, Sanderson demandait constamment aux athées s’ils avaient déjà imaginé une église sans Dieu. À chaque fois, une forêt de mains s’élevait dans la salle. L’Assemblée du dimanche repose sur une idée très simple : une église est un lieu de culte, fondée sur une communauté qui respecte certaines valeurs. Des études récentes ont démontré que les pratiquants étaient plus heureux que le reste de la population impie, et que les membres d’une congrégation avaient plus d’opportunités professionnelles. Le sociologue Auguste Comte fait partie des premiers penseurs à avoir sérieusement considéré l’idée d’un athéisme congrégationiste. Au XIXe siècle, il a fondé la « religion de l’Humanité ». En reprenant le modèle de l’église catholique, il espérait mettre en place une grande prêtrise, organiser des messes altruistes et canoniser des figures telles qu’Aristote, Shakespeare ou Saint-Paul. Comte est mort bien avant qu’on ne commence à le prendre au sérieux, mais aujourd’hui, des chapelles dédiées à sa religion ont fleuri en France et au Brésil. Loin d’être fou, il était en réalité en avance sur son époque, ainsi que sur la nôtre.

Au cours du XXe siècle, des branches progressistes du christianisme et du judaïsme se sont mises à accepter les incroyants. Par exemple, l’universalisme unitarien – d’origine protestante – ouvre ses portes aux athées ; le judaïsme humaniste, fondé par le rabbin Sherwin Wine dans les années 1960, constitue une fusion similaire entre traditions religieuses et acceptation de l’athéisme.
Le mouvement « Ethical Culture » a entraîné la création de nombreuses congrégations laïques. Il a été fondé en 1876 par Felix Adler, lequel suivait une formation de rabbin avant de renoncer à la foi. Ce mouvement proposait des cours pour les enfants et des œuvres caritatives, tout en prônant l’humanisme, la justice sociale et une morale dépourvue d’autorité divine. De nombreuses congrégations sans Dieu comportent des centaines de membres, mais aucune institution n’est encore parvenue à combler les espérances des athées à grande échelle. Quand on compare leur popularité à celle du christianisme évangélique, les incroyants ont de quoi râler. James Croft est actuellement en formation pour devenir le leader du mouvement Ethical Culture, c’est-à-dire l’équivalent d’un prêtre. Il se montre particulièrement agacé lorsque des réunions laïques se déroulent près d’une congrégation chrétienne. « [Ces églises] véhiculent un message moins sincère et moins éthique que le nôtre, a-t-il déclaré. Et pourtant, elles rassemblent des centaines de personnes, pendant que je m’adresse à des groupes de quinze. » Selon une étude menée en 2012 par l’Université de Californie, 20 % des adultes américains ne se reconnaissent dans aucune religion, alors qu’ils n’étaient que 8 % en 1990. Ces dernières années, de nombreuses congrégations sans Dieu ont tenté de transformer ces statistiques en communautés. On peut notamment citer le groupe Houston Oasis, créé en 2012, et la Community Mission Chapel, fondée l’année dernière en Louisiane. Toutes deux résultent des travaux d’anciens pasteurs chrétiens ayant perdu leur foi en Dieu. En plus d’être la première université au monde à abriter une aumônerie humaniste, Harvard est un terrain fertile pour les congrégations. Le mois dernier, leur communauté humaniste a inauguré un centre communautaire, le Humanist Hub – qui accueille athées, agnostiques et à peu près toutes les personnes qui franchissent le pas de sa porte.

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James fait face à un gros problème : le marketing. « L’humanisme est le plus beau de tous les messages, m’a expliqué James. Et pourtant, nous n’avons pas la moindre idée de comment le vendre. »

Pour briser la glace, les membres de la congrégation new-yorkaise se tapent mutuellement dans les mains.

Avant de devenir comédien à plein-temps, Sanderson vendait de la pub pour The Economist. Pour son spectacle le plus populaire, « The Comedy Sale », il vendait des tickets dans la rue et effectuait des recherches en ligne sur ses spectateurs pour leur faire des blagues personnalisées sur scène. Au début de leur carrière, la plupart des comédiens doivent distribuer eux-mêmes les flyers de leurs spectacles – mais à en croire Pippa, Sanderson est le seul à avoir vraiment apprécié cette période de démarchage. L’Assemblée du dimanche prend également soin de ne pas offenser les potentiels convertis. Pippa était chrétienne pratiquante jusqu’à ses 17 ans, et elle s’adresse au groupe avec un langage volontairement religieux. Ils ont donc tendance à bannir les mots athéisme, éthique, rationnel, humaniste ou encore laïc de leur vocabulaire, afin d’éviter toute association fortuite avec d’autres organisations. « On a besoin de gens normaux, m’a expliqué Sanderson. Les gens ont tendance à trouver les organisations laïques bizarres. » À rebours des athées vindicatifs, Sanderson et Pippa sont particulièrement ouverts. Alors que je me promenais dans Manhattan, je les ai vus s’arrêter dans un magasin de bonbons. Ils ont ensuite distribué leurs friandises à tous les chanceux qu’ils croisaient. Ils dégageaient un tel bien-être que mon photographe m’a demandé s’ils étaient straight-edge. Après quelques jours passés avec Pippa et Sanderson, je pouvais affirmer que leurs intentions étaient sérieuses et qu’elles constituaient une parfaite forme de prosélytisme. Quand les membres d’une église ont l’air heureux, les nouvelles recrues finissent par venir d’elles-mêmes. « Pour l’instant, je suis la seule publicité de ce produit », a déclaré Sanderson, qui en est aussi le porte-parole. De son côté, Pippa s’occupe de leur présence à l’international et de la programmation musicale des messes. Mais Sanderson représente à lui seul le visage de l’Assemblée du dimanche, et c’est lui qui répond à toutes les interviews. Pippa semblait s’accommoder de cette répartition des tâches, et j’ai vite compris pourquoi. Lors de leur tournée dans les grandes villes comme New York, Boston ou Washington, Sanderson passait son temps à répéter inlassablement les mêmes anecdotes aux journalistes. Il a ressorti plusieurs fois sa réplique toute faite, comme quoi l’Assemblée du dimanche rassemblait les meilleurs éléments de l’Église – ceux qui « ont la saveur du nougat, mais sans la partie dégoûtante que représente Dieu ». Il a également évoqué la fois où il avait participé à une émission de radio anglaise avec un curé chrétien. Il y expliquait que pour un athée, aller dans une église traditionnelle est comparable au fait de marcher avec un caillou dans la chaussure : « On ne va pas jeter la chaussure, a-t-il déclaré au curé. On se contente de virer le caillou ! » « Bien joué, Sanderson ! lui a-t-il répondu. Vous venez de créer votre première parabole. »

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Sanderson, en plein discours à l’assemblée de New York. Ses sermons traitent souvent de thèmes positifs comme la reconnaissance et la joie d’être en vie.

Pendant des décennies, les athées américains les plus célèbres se sont opposés à toute forme de théisme en militant contre les masses croyantes. Dans les années 1920, Charles Lee Smith, fondateur de l’Association américaine pour un athéisme avancé, s’est fait arrêter pour blasphème ; il avait distribué des livres évolutionnistes en Arkansas. Plus récemment, des auteurs du mouvement néo-athée comme Christopher Hitchens ou Sam Harris ont organisé un débat public sur l’existence de Dieu. Ils ont aussi publié des best-sellers criant leur haine de la religion. L’année dernière, Dawkins avait comparé l’islam au nazisme et le Coran à Mein Kampf sur Twitter. Les préjugés sur les athées ne risquent pas de disparaître de sitôt. Selon un sondage datant de 2012, seuls 54 % des Américains voteraient pour un athée aux élections, indépendamment de son bord politique. Mais beaucoup de non-croyants ne cherchent pas à éradiquer le concept de religion et souhaitent juste séparer les aspects humanistes et moraux de la notion de Dieu. « Nous avons beaucoup à apprendre [des Églises évangéliques]. Nous devrions les imiter et remplacer leurs valeurs par les nôtres, m’a dit James Croft. Au lieu de mépriser les homosexuels et de proférer des insanités sur l’avortement, nous ferions mieux de prôner la dignité pour tous, une couverture sociale pour chaque citoyen, et toutes ces choses qui valent la peine d’être défendues. » Si les congrégations athées méprisent le pasteur Rick Warren et ses tendances homophobes, beaucoup admirent ce qu’il est parvenu à bâtir. En 1980, il a fondé son Église, la Saddleback Church, à Lake Forest en Californie. Aujourd’hui, elle rassemble des dizaines de milliers d’adeptes et constitue la septième plus grande Église américaine. Sa popularité est due à ses messes qui impliquent des concerts et des présentations multimedia. « L’humanisme a le potentiel de rassembler autant de jeunes que le christianisme, l’islam ou le judaïsme », m’a dit Greg Epstein, l’aumônier humaniste de Harvard. Pour lui, ces religions ont l’avantage d’avoir des constructions existantes, des leaders déjà formés et une marque reconnaissable. « Tout ce qu’on a à faire, c’est trouver des financements pour nos institutions », a-t-il conclu. Pour que Greg atteigne son objectif, il lui faudra faire preuve d’un génie jusqu’ici étranger aux philosophes et écrivains qui constituent encore le visage de l’athéisme. Mais ceux qui œuvrent pour former des congrégations sans Dieu sont aujourd’hui persuadés que leur essor est imminent.

Sanderson encourage la foule à chanter un hymne laïc avec lui. Souvent, le groupe qui l’accompagne se contente de jouer des tubes fédérateurs comme « Eye of the Tiger » ou « Hey Jude ».

Si les critiques des fondamentalistes religieux ne les préoccupent pas, les groupes similaires à l’Assemblée du dimanche font face à un problème : convaincre les athées des avantages d’une congrégation. Plusieurs blogueurs, comme Michael Luciano de PolicyMic, ont dénoncé cette idée : « Pour les athées, toute messe est fondée sur un mensonge, même lorsqu’elle est motivée par de bonnes intentions. » En parallèle, de nombreux groupes athées sont réticents à l’idée de construire des institutions calquées sur le modèle des églises. J’ai discuté avec l’un des mecs qui avait aidé le Center For Inquiry à organiser la première Assemblée du dimanche à Washington. Il m’a expliqué qu’ils préféraient se définir comme des « humanistes laïcs », et qu’il fallait les distinguer des « humanistes religieux » qu’on retrouve habituellement au sein d’une congrégation. Certains reprochent à l’Assemblée du dimanche de ne pas être assez antithéiste. En novembre, des membres de l’assemblée ont quitté le groupe pour créer The Godless Revival, « un spectacle athée où tous les coups sont permis » joué dans un bar de Manhattan. Lee Moore, l’un des déserteurs, a écrit sur son blog : « Au tout départ, Sanderson et Pippa Evans souhaitaient construire une église athée, aujourd’hui ils veulent que leurs spectacles comiques deviennent une religion humaniste centralisée. » Il les a ensuite accusés de « vouloir se faire du blé avec leur religion new age », avant de les comparer à L. Ron Hubbard et de les traiter de « couilles molles ». Lorsqu’il répond aux critiques, Sanderson ressort toujours la même blague sur les gens qui pensent que sa façon « de ne pas croire en Dieu n’est pas la bonne façon de ne pas croire en Dieu ». Mais ses détracteurs marquent un point : que reste-t-il quand on dissocie la religion de l’église et l’antithéisme de l’athéisme ? La théologie prônée aux Assemblées du dimanche est un mélange de phrases optimistes sur l’humanisme et les petites merveilles de la vie. Dans les discours de Sanderson, on retrouve des thèmes récurrents comme la reconnaissance, la beauté de l’existence et sa propre mère, décédée quand il n’avait que 10 ans. Sa mort l’a beaucoup attristé, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il avait de la chance de l’avoir connue. « J’ai commencé à comprendre que j’avais de la chance d’avoir été aimé pendant dix années », a-t-il déclaré à la congrégation de Washington. Si ces sermons visent à toucher le plus de monde possible, certains les jugent trop sérieux. Quand j’en ai parlé à James Croft, il m’a dit que l’organisation était bien plus fournie en émotions que la plupart des réunions humanistes, mais que c’était loin d’être suffisant. « Ces communautés doivent également pousser les gens à être de meilleures personnes », m’a-t-il expliqué. Certaines messes religieuses et les cérémonies du mouvement Ethical Culture ont déjà réussi à trouver le juste équilibre entre discours fun et questionnements existentiels. Mais Sanderson et Pippa sont encore loin du compte. Le philosophe suisse Alain de Botton, auteur du livre Petit guide des religions à l’usage des mécréants, est un poil plus dur. Pour lui, l’Assemblée du dimanche est un plagiat évident de son École de la vie, organisation qui combine thérapie et éducation des adultes aux sermons laïcs. « Ils exploitent la créativité des autres, m’a-t-il dit par e-mail. Nous pensons que nos sermons sont plus riches que les leurs : nous parlons de dignité avec une certaine profondeur intellectuelle, et nous faisons preuve d’un esprit communautaire qu’ils se contentent de copier. J’ai peur que leur manière de procéder nous nuise. Si une personne n’est pas satisfaite de son premier sermon laïc, il est peu probable qu’elle donne sa chance à une autre organisation. » Mais peu de partisans de l’athéisme congrégationiste partagent ce pessimisme. La plupart estiment que si un rassemblement athée porte ses fruits, le deuxième sera encore plus réussi, tandis que les 2 000 rassemblements suivants auront encore plus de succès. Il ne reste plus qu’à se demander comment atteindre ces chiffres. Aujourd’hui, Sanderson et Pippa rêvent de fonder des milliers d’autres congrégations, mais leur plus gros exploit réside dans leur capacité à faire parler d’eux – même s’ils n’arrivent pas à transformer cette notoriété en argent. La première assemblée de Los Angeles a attiré plus de 400 personnes, et leur congrégation de Londres marche toujours aussi bien ; des centaines de personnes se rendent aux messes bimensuelles, participent à des œuvres caritatives et organisent même des cours pour les enfants. Mais aux États-Unis, leurs Assemblées sont bien plus réduites. Sanderson et Pippa étaient d’ailleurs absents à celle de New York qui n’a attiré qu’une soixantaine de personnes. Grâce à leur tournée, ils ont bénéficié de l’attention des médias et reçu des centaines de mails enthousiastes, mais ils n’ont finalement récolté que 44 000 euros via leur campagne de crowdfunding. Le 4 décembre, Sanderson et Pippa ont écrit un article sur leur blog pour annoncer qu’ils étaient loin d’avoir obtenu la somme espérée. Mais ils ont déclaré que des programmeurs avaient accepté de leur prêter main-forte pour leur construire un site, et que les dons allaient leur permettre de soutenir les fondateurs de l’organisation. Sanderson a arrêté le stand-up pour se consacrer à son nouveau passe-temps, tandis que Pippa poursuit sa carrière tout en l’aidant quand elle a du temps libre. Pour la suite, Pippa et Sanderson comptent s’assurer assez de financements pour former plus sérieusement les prochains leaders de leurs assemblées. Ils m’ont expliqué qu’ils devaient également remplir les papiers nécessaires pour que les dons soient exonérés d’impôts avant de construire leur organisation laïque internationale. En mai prochain, ils organiseront une conférence internationale à Londres, et ils prévoient également d’en faire une au World Humanist Congress d’Oxford, en août. « On va faire un spectacle avec des lasers et une putain de machine à fumée, m’a confié Sanderson. Les conférenciers vont halluciner. » En septembre, ils espèrent lancer une nouvelle vague d’assemblées ; ils projettent aussi de créer 100 branches supplémentaires, de manière plus ou moins simultanée. En novembre dernier, James Croft a rencontré Pippa et Sanderson à Boston. Quand il leur a demandé comment ils envisageaient l’avenir de l’Assemblée du dimanche dans les cinq années à venir, ils ont éclaté de rire avant même qu’il ne termine sa question. Un an plus tôt, ils avaient lancé une messe laïque pour voir si elle tiendrait le coup. Aujourd’hui, ils créent des dizaines d’assemblées à travers le monde. À une époque, une religion athée ne constituait qu’une vague expérimentation philosophique. Aujourd’hui, des religions sans Dieu sont en train de se faire la guerre. Dans un monde aussi riche en surprises, comment pourrait-on prédire un avenir aussi lointain ?