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LE NUMÉRO HISTOIRE

Paul Aussaresses

Le général Paul Aussaresses a traversé le siècle dernier avec fracas.

Illustration : KRSN

Le général Paul Aussaresses a traversé le siècle dernier avec fracas. Héros de la Résistance, commando en Indochine, officier de renseignement (donc tortionnaire) en Algérie, instructeur militaire en Amérique Latine avant et pendant les dictatures fascistes, agent secret, et enfin marchand d’armes. En 2001, ce personnage de roman, plus contrasté qu’il n’y paraît, a déclaré au Monde qu’effectivement, on torturait en Algérie sous les ordres du pouvoir civil, et qu’il ne le regrettait pas. Une déclaration qui a déclenché un gigantesque tollé dans le microcosme politique et dans l’opinion publique, lui coûtant sa Légion d’honneur. Dans son dernier livre, un entretien avec le documentariste Jean-Charles Deniau qui s’intitule Je n’ai pas tout dit, Aussaresses, 91 ans, à moitié aveugle et sourd, balance une dernière salve de souvenirs, qui se confondent souvent avec des secrets d’État. Vice : Dans une interview que vous avez accordée au Monde en 2001, vous révélez que l’armée française avait recours à la torture. Cela a remué beaucoup de choses et l’État vous a complètement lâché. Le débat portait plus sur le fait de parler de torture que sur la torture en soi… Paul Aussaresses : Je crois que c’est cela même. Le pouvoir politique m’a cherché querelle quand j’ai rappelé que j’avais reçu des ordres pour faire ce que j’avais fait. Massu avait été convoqué par le gouverneur général d’Algérie, le général Salan. On lui a dit : « Faites cesser les actions terroristes. » Comment ? En faisant usage de la force. Est-ce que vous êtes retourné en Algérie ? Quand le président Chirac est allé rendre visite au président Bouteflika, Elkabbach l’accompagnait. Aux côtés de Bouteflika se trouvait Yassef Saadi, un chef du FLN. Elkabbach a demandé à Bouteflika s’il pensait que mon livre faisait passer un nuage sur les relations entre la France et l’Algérie. Le président algérien lui a répondu : « Le général Aussaresses, dans ce qu’il a fait et dans ce qu’il a écrit, n’a agi que dans l’honneur. » [rires] Terminé. Vous racontez que vos agissements étaient connus du pouvoir civil, et notamment de Mitterrand, le ministre de la Justice en exercice. Mais vous ne voulez pas vous décharger sur eux ? Nous, les militaires, avions une mission appuyée par le pouvoir civil, c’était normal. Je ne veux pas me justifier, mais par exemple, au moment de mon action à Philippeville, en Algérie, où j’étais officier de renseignement* (parce qu’il en fallait un et que j’avais appartenu aux services spéciaux), j’ai fait mon travail d’après ce qui, selon moi, devait être fait. Quand il y a eu une attaque spectaculaire du FLN dirigée sur Philippeville pour impressionner l’opinion internationale, je n’ai jamais, pas une fois, pratiqué la torture. Six bombes avaient éclaté en même temps en différents endroits de la ville, et on en tenait un. Il fallait qu’on sache qui avait coordonné tout ça. Je le tenais par les épaules et je lui criais : « Qui t’a donné l’ordre ? » Il était complètement abruti. Moi je l’ai secoué, mais pas plus, je lui ai pas foutu sur la gueule (sic). Vous voyez ? Vous comprenez ? Voilà. Après l’Algérie, des militaires français dont vous faites partie ont théorisé la guerre anti-subversive, ou comment une armée peut contrôler un pays quand la majorité de la population lui est hostile. Cette guerre moderne, nous sommes en plein dedans. Que pensez-vous de la polémique sur la CIA, accusée de sous-traiter la torture ? Je ne crois pas une seconde qu’ils la sous-traitent. Il y a un autre débat concernant la technique du waterboarding (simulation de noyade). Est-ce que pour vous cela relève de la torture ? Je crois que ça n’est que ça, oui, ça en fait partie. La guerre d’Irak, aujourd’hui, est-ce une guerre anti-subversive ? Ah, oui. Tout à fait. Mais alors la guerre que menait l’Allemagne contre les résistants français était-elle une guerre anti-subversive ? Pas du tout. Pourtant, aux yeux de Pétain et de ses soutiens, la Résistance n’était-elle pas un ennemi de l’intérieur, une organisation terroriste ? (Gêne) Je ne sais quoi vous dire… Vous voyez, lorsque j’ai été parachuté en France avec les Forces Spéciales, nous avons reçu un message de Londres : « Assurez-vous que les résistants respectent la Convention de Genève. » C’était écrit noir sur blanc. Étonnant comme demande. [rires] Je ne peux pas vous dire si elle est étonnante ou pas, mais je l’ai reçue ! Lorsque nous avons occupé la ville de Carcassonne, il a fallu prendre à partie la troupe allemande. Chaque heure comptait pour le débarquement en Normandie. Parmi les résistants, il y avait des réservistes qui s’étaient habillés en militaires, et d’autres en civil. La troupe allemande qui avait capturé ces réservistes a mis de côté ceux qui étaient en civil et a fusillé les autres, vous voyez. Là, les Allemands rejoignaient les Alliés sur le fond, ils respectaient aussi la Convention de Genève. Ce qui n’était pas le cas de la Gestapo. Ah non, là non. Après Nuremberg, l’Allemagne a fait acte de repentance. La France, jamais. L’Allemagne nazie a pratiqué une politique à caractère raciste en exterminant une certaine catégorie de gens. Ce n’est pas le cas de la France. La France a mené des actions contre une armée ennemie. Non, il n’y a pas de comparaison là. Comme marchand d’armes et membre du SDECE (l’ancêtre de la DGSE), vous racontez comment vous avez croisé Klaus Barbie en Bolivie, État qui le protégeait pour des raisons idéologiques. Vous avez lutté contre les nazis, puis vous avez été proche des dictatures fascistes en Amérique du Sud. C’est assez étrange. S’il y avait eu exagération dans l’aide apportée aux nazis par le gouvernement bolivien, on aurait changé de politique et on aurait décidé une opération homo (pour homicide, NDA) de Barbie. C’est mon point de vue, mais je n’étais pas le patron. A Fort Bragg puis à Manaus, vous avez été instructeur militaire pour des officiers venus de toute l’Amérique latine, avant et pendant la mise en place des dictatures. Quels étaient vos meilleurs élèves ? Pas de réponse. De qui étiez-vous le plus proche ? J’avais beaucoup d’amitié pour des gens qui venaient de petits pays comme le Paraguay. Oui, c’étaient des braves types. Vous avez donné des cours aux gens de la DINA, la police politique de Pinochet, par exemple. Ça crée des liens, non ? Oui, lorsque je les revoyais ils me disaient : « Ah, je te reconnais, tu as été mon instructeur à Fort Bragg. Considère que t’es chez toi ici. » Mais leur idéologie semble assez éloignée des idéaux de la Resistance. (Souffle) Je ne peux pas dire, Monsieur. Les idéaux de la Résistance étaient confortés par la nécessité de cette Résistance. Leur idéal était le patriotisme. Ça se rejoignait. Paul Aussaresses avec Jean-Charles Deniau, Je n’ai pas tout dit, Éditions du Rocher, 2008 *en 1954, avant la bataille d’Alger. Les historiens ont démontré que la torture était pratiquée de longue date en Algérie, par les colons avant les militaires.