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reportage

À la rencontre des tribus cannibales de Nouvelle-Guinée occidentale

Paul Raffaele est parti au plus profond de la jungle pour documenter les rituels de la tribu Korowai.

​Des hommes de la tribu Korowai. Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Paul Raffaele

Le mois dernier, Matthew Williams se faisait tuer par la p​olice après avoir mangé le visage d'une jeune fille qu'il avait ramenée dans sa chambre d'hôtel. Pour la plupart des gens, le cannibalisme est l'un des concepts les plus terrifiants que l'on puisse imaginer. Mais pour certains membres de la tribu des Korowai de Nouvelle-Guinée occidentale, la chair humaine est un plat central de leur culture, comme un poulet rôti du dimanche ou un kebab de fin de soirée.

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En 2006, le journaliste australien Paul Raffaele est parti en expédition pour rencontrer la tribu afin de comprendre ce qui se cachait derrière leurs rituels. Paul fût le premier homme occidental à franchir la ligne de pacification qui borde le territoire de leurs clans, au plus profond de la forêt. Alors que les communautés en aval ont été exposées à la culture occidentale, certaines tribus demeurent isolées et continuent de pratiquer leurs coutumes millénaires.

Personne, pas même la police indonésienne ni Kornelius – le guide de Paul, qui vivait avec les Korowai depuis des années – ne s'était aventuré aussi loin, par peur de ces clans qui menacent de tuer les étrangers. Après avoir craint pour sa vie, Paul est finalement parvenu à s'y intégrer.

Les comptes-rendus de Raffaele sur les Korowai ont essuyé de nombreuses critiq​ues de la part des experts des tribus papoues, et son dernier reportage sur la tribu des Suruwaha du Brésil – pour lequel il a été acc​usé de dépeindre les membres de la tribu comme des assassins d'enfants, des hommes vivant à « l'âge de pierre », et « l'une des pires violatrices des droits de l'Homme au monde » – lui a valu de nombreuses accusations de racisme cette année.

De la rencontre avec le grand chef guerrier du clan Letin au moment où il s'est vu remettre un crâne humain, j'ai parlé au très controversé Paul Raffaele de son expérience dans la jungle avec le peuple Korowai, où il a passé des nuits entières à dormir à quelques centimètres des derniers cannibales de la planète.

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VICE : Comment avez-vous accédé à la tribu ?
​Paul Raffaele : Grâce à mon guide, Kornelius, originaire de Sumatra, qui est allé rendre visite aux Korowai il y a 10 ans pour apprendre à les connaître. Ils ont commencé par lui faire un test, afin de déterminer s'ils l'autorisaient à rester ou pas. Une nuit, ils lui ont donné un paquet de viande en lui précisant que c'était de la chair humaine. S'il le mangeait, il pouvait rester – et s'il refusait, il devait plier bagage. Il l'a mangé, et il a fini par devenir très proche d'eux.

Paul et le chef du clan Letin, lors d'une cérémonie de bienvenue

C'était comment d'être le premier homme blanc à franchir la ligne de pacification ?
​Notre objectif était de visiter le clan Letin, qui n'avait jamais vu d'étranger auparavant. Même Kornelius n'était jamais allé aussi loin, de peur d'être tué. Nous sommes tombés dans une embuscade. Nous étions en train de remonter la rivière Ndeiram Kabur en pirogue quand nous sommes tombés sur une foule d'hommes nus brandissant des arcs et des flèches.

Ces gens ne s'attendaient pas à nous voir et ont décidé de nous attaquer. La nuit commençait à tomber et ils nous ont hurlé dessus. J'ai rapidement compris ce qu'il fallait faire si les flèches commençaient à voler. J'étais donc sur le point de sauter dans la rivière pour la descendre jusqu'à Yaniruma, ce qui risquait de prendre quelques jours – si un crocodile ne m'attrapait pas avant.

Qu'avez-vous fait ?
​Kornelius parlait le Korowai et a pu négocier avec eux. Ils nous ont accusés d'avoir souillé le dieu de la rivière et nous ont sommé de payer une amende. L'un des guerriers a pagayé vers nous. Pour nous laisser passer, il nous a demandé quelques roupies indonésiennes, soit l'équivalent de 30 dollars. J'ai payé et ils nous ont laissé remonter la rivière.

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Comment expliquez-vous le raisonnement derrière le cannibalisme de la tribu Korowai ?
​Pour les Korowai, si quelqu'un tombe d'une cabane ou est tué dans une bagarre, alors la raison de sa mort est évidente. Mais ils ne comprennent pas les microbes et les germes – donc lorsque quelqu'un semble mourir mystérieusement (d'une maladie, donc), ils pensent que c'est dû à un khakhua, un sorcier venu de l'Enfer.

Un khakhua possède le corps d'un homme (ce n'est jamais une femme) et commence à manger l'intérieur des corps, par magie. D'après la logique de l'impératif mélanésien, il faut rembourser en nature. Ils doivent donc manger le khakhua, en partant du principe qu'il a mangé la personne mystérieusement décédée. C'est une partie de leur système de justice basé sur la vengeance.

Lors de ce voyage, deux des premiers Korowai que vous avez rencontrés étaient les frères Kili-Kili and Bailom. Pouvez-vous décrire cette première rencontre ?
​Il faisait nuit quand nous sommes arrivés dans le village. Nous étions dans une hutte ouverte surplombant la rivière, assis près d'un petit feu de camp. Deux hommes se sont approchés dans l'obscurité, l'un en short, l'autre nu portant seulement un collier en dents de porc et une feuille enroulée autour de la pointe de son pénis. « C'est Kili-Kili, m'a dit mon guide. Le plus célèbre tueur de khakhua. »

Ils m'ont demandé si je voulais voir le crâne du dernier homme qu'ils avaient tué, ajoutant qu'ils le connaissaient bien, que c'était un très bon ami à eux. » J'ai accepté, et ils me l'ont aussitôt apporté. Je ne voulais pas y toucher, mais je n'avais pas vraiment le choix.

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C'était comment ?
​Effrayant. La lumière était étrange, le crâne était froid et je ne voulais vraiment pas le toucher, mais j'ai dû le faire pour qu'ils me fassent confiance. Kili-Kili est un nom complètement fou pour un homme qui a tué et mangé 23 hommes. Ils avaient coupé le haut de son crâne pour récupérer le cerveau – leur morceau favori.

Cuisinent-ils les gens ou les mangent-ils crus ?
​Ils cuisent tout à la vapeur avec un four fait de feuilles et de pierres. Ils s'en occupent comme ils le feraient pour de la chair de porc. Ils séparent les jambes, qu'ils enveloppent dans des feuilles de bananier. La tête revient à la personne qui a trouvé le khakhua. C'est pourquoi Kili-Kili a eu le crâne. Ils coupent le bras droit et les côtes droites en une seule pièce, puis la gauche. Je leur ai demandé quel goût cela avait, et bien que tout le monde pense que ça a un goût de porc, ils disent que la chair humaine a davantage le goût d'un casoar – un oiseau de Nouvelle-Guinée et du Nord de l'Australie qui ressemble à une autruche ou à un émeu.

Ils mangent tout ?
​Tout sauf les cheveux, les ongles, et le pénis. Les enfants de moins de 13 ans ne sont pas autorisés à manger, parce qu'ils pensent que manger le khakhua est très dangereux – il y a des mauvais esprits tout autour, et les enfants sont trop vulnérables.

Pour la majorité de l'humanité, le cannibalisme représente le pire de l'horreur. Est-ce quelque chose qui a nous été appris plutôt qu'un trait inné de notre espèce ? Pourquoi les Korowai ne partagent-ils pas ce sens du dégoût ?
​Je leur ai demandé pourquoi ils mangent les gens, et ils m'ont dit : « Nous ne mangeons pas les gens, nous mangeons les khakhua. » Ils ne considèrent pas les khakhua comme des gens, même s'ils pourraient être leur frère, leur oncle ou leur cousin.

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Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur Wa Wa ?
​Nous étions dans le village de Kili-Kili. Kornelius est venu vers moi et m'a dit : « Il y a un jeune garçon ici qui est un paria, il s'appelle Wa Wa. Après la mort de sa mère et de son père, le clan l'a suspecté de les avoir tués en utilisant de la magie noire, comme un khakhua. Ils ne peuvent rien faire jusqu'à ce qu'il ait environ 14 ans. » Vous n'aviez qu'à le regarder dans les yeux pour comprendre qu'il était terrifié.

J'en ai parlé toute une nuit avec Kornelius. Je ne peux pas trop entrer dans les détails car j'ai promis de ne pas dire où il est, mais il a été sauvé. En générale, je pense que les enfants devraient rester dans leurs propres cultures – mais ce cas était différent : sa vie était menacée.

Wa Wa (à droite), un mois après avoir été adopté par Kornelius

Vous n'avez pas eu peur qu'ils vous prennent pour un khakhua ?
​Non, c'est impossible. Un khakhua ne peut être qu'un Korowai. Je ne le savais même pas à l'époque, mais je n'avais pas peur. La peur obscurcit votre esprit. Dans ce genre de situations, il faut avoir l'esprit totalement clair. Il faut bien capter les signaux et le langage du corps, au cas où il y aurait un problème.

Même si ces gens sont très loin de la culture occidentale, vous êtes-vous senti un peu connecté à eux ?
​Nous sommes tous humains, n'est-ce pas ? Il y a cette histoire par exemple – dans leurs cabanes, les hommes vivent d'un côté et les femmes de l'autre. J'ai donc demandé à Agoos, le guide de mon premier voyage : « Où faites-vous l'amour ? » Il a répondu : « Quand nous en avons envie, nous allons juste dans la jungle. Personne ne peut nous voir. » Ils sont nus, rappelez-vous, alors j'ai demandé : « Ce n'est pas trop gênant à cause des moustiques ? », ce à quoi il a répondu : « Non, c'est tellement agréable qu'on en a rien à faire ! » Je chéris encore ces moments. Nous étions deux simples humains, en train d'avoir une discussion somme toute normale.

Ce n'est pas parce que ces gens vivent à l'âge de pierre (certains m'ont critiqué pour avoir utilisé ce terme, mais je pense que c'est la terminologie exacte) qu'ils sont moins intelligents. Ils sont à 90% comme nous ; ils aiment, ils détestent, ils convoitent, ils se mettent en colère, ils sont ambitieux, un homme s'élèvera au-dessus des autres parce qu'il a des qualités de leader, etc. Ce n'est pas parce que mes ancêtres ont réussi à inventer la roue qu'une personne est moins intelligente que moi.

Ces personnes n'ont pas eu l'avantage de la fécondation interculturelle que nos civilisations ont eu. Nous avons bénéficié de ces innovations grâce à la route de la soie, de la Chine à l'Europe. Nous ne savions rien à propos des mathématiques, jusqu'à ce que les Arabes ne nous les apportent. Si nous avions été isolés dans des forêts tropicales, nous serions pareils. Le cerveau humain est ce qu'il est.

Les Korowai pratiquent-ils encore le cannibalisme aujourd'hui ?
​Je ne peux pas répondre car je n'y suis pas retourné depuis des années. J'ai parlé à Kornelius qui me dit que oui, dans certaines régions éloignées. Il m'a expliqué que le clan Letin et les clans les plus reculés mangeaient encore le khakhua.

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