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Les mecs de Magnum

Peter Van Agtmael est sensible aux charmes de la guerre

Peter van Agtmael a largement contribué à documenter les conséquences des guerres américaines post 11-Septembre – chez lui comme à l’étranger.

Jusqu'ici, la carrière incroyable du photographe américain Peter van Agtmael a largement contribué à documenter les conséquences des guerres américaines post 11-Septembre – chez lui comme à l'étranger. Avant de partir pour l'Irak en 2006, il avait documenté les nombreux cas de séropositivité chez les réfugiés d'Afrique du Sud et les conséquences du terrible tsunami qui avait frappé l'Asie en 2005. Après ses boulots en Irak – et fort de plusieurs prix en poche – il est parti en Afghanistan – seul ou escorté par l'armée – et s'est mis à travailler sur les militaires blessés et leurs familles. Nous avons discuté avec lui de la mystérieuse attirance qu'exercent sur lui les conflits armés, de la censure au sens large et de la prise en charge des blessés en zone de guerre.

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VICE : Vous avez reçu un diplôme d'honneur à l'université de Yale. Qu'est ce que vous avez étudié là-bas ?
Peter van Agtmael : J'ai suivi un parcours assez généraliste ; c'est ce qu'ils attendaient de nous. Pour ma thèse, j'ai choisi d'écrire sur l'iconographie de la guerre en Yougoslavie au cours de la Seconde guerre mondiale – qui à l'époque opposait les Tchetniks aux Oustachis – et sur la manière dont elle s'était reproduite lors de la guerre des Balkans 50 ans plus tard. J'avais voulu montrer comment celle-ci avait été utilisée pour alimenter la peur et la manière dont elle avait été exploitée par les indépendantistes pour déclencher la guerre civile.

États-Unis, Wisconsin, 2007. Raymond Hubbard, un vétéran mutilé, manie le sabre laser avec ses fils Brady et Riley.

Avec le recul, vous pensez que vos études vous destinaient à vous retrouver en zone de guerre à l'âge de 24 ans ?
J'ai grandi dans la banlieue de Washington. Ces banlieues ressemblent à n'importe quelle banlieue. Il est facile de rêver d'endroits plus excitants. Quand j'étais petit, je passais mon temps plongé dans des livres d'histoire illustrés, en particulier ceux sur la Seconde guerre mondiale. Je trouvais ça vraiment passionnant et romantique.

Et puis, plus vous vieillissez et plus vous êtes frappés par la réalité de ces événements, mais l'aspect romantique demeure, même quand vous vous retrouvez au cœur des événements en question. C'est un sentiment étrange et effrayant. J'ai vécu des expériences horribles ces dix dernières années – mais aussi de belles choses. Le fait est que lorsqu'on se retrouve au milieu de ces endroits, il y a ce sentiment indescriptible qui fait que, d'une manière ou d'une autre, on se sent concerné parce qu'on travaille pour l'Histoire. Ça satisfait une curiosité naturelle – motivée par des pulsions utiles et d'autres plus sombres.

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Vous pensez que cette fascination pour le conflit existe aussi chez les soldats ? 
Je pense que ça existe à tous les niveaux. Si vous avez lu Dispatches de Michael Herr, il en parle vraiment bien – bien que la référence date un peu aujourd'hui. Il explique que vous ne pouvez pas enlever le romantisme à tout cela, qu'il est, en quelque sorte, inhérent à la guerre. C'est ancré au plus profond de cette expérience. Nous en réalisons tous l'horreur et la brutalité, mais pour beaucoup de jeunes – surtout des hommes – il existe une attirance qui n'a rien de logique ou de rationnel. Il y a mille façons d'essayer d'intellectualiser ça, de le rationaliser, d'essayer de le décortiquer, mais à la fin il y aura toujours une attirance qui ne peut être décrite ou expliquée. Du moins, pas pour moi. J'envie énormément les gens qui ne sont pas attirés par la guerre. J'ai eu une vie belle et intéressante, mais au final j'aurais aimé faire des choix différents.

Afghanistan, 10 août, 2009. Les marines du bataillon 2/8 de la compagnie Fox nagent dans le canal qui traverse leur base opérationnelle, dans la province de Helmand.

Vos photos de ces graffitis à l'intérieur des bases militaires trahissent, je crois, un enthousiasme en baisse de la part des soldats pour la guerre, ou du moins ces guerres. Avez-vous remarqué une baisse de moral au sein de l'armée quand vous étiez en Afghanistan et en Irak ?
J'ai senti une espèce d'insatisfaction par rapport au moment où j'ai commencé à couvrir ces guerres. C'était début 2006, et les choses allaient déjà mal. Mais en réalité, le plus souvent, ce que j'ai trouvé frappant c'était le manque de curiosité des soldats quant aux conséquences de leurs actes. Il y avait quelque chose de sportif dans ce qu'ils faisaient ; ils testaient leurs limites, ils le faisaient pour l'amour et la protection de leurs camarades, mais quid de la situation dans son ensemble ? Je ne pense pas que le soldat moyen, sur le terrain, en ait quelque chose à faire.

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Bien sûr, certains sont très engagés là-dedans. Mais la plupart, pas du tout. Je me souviens qu'en Irak, en 2010, un gars était venu vers moi. Il avait entendu dire que j'avais couvert l'Irak et l'Afghanistan et il voulait que je lui explique si les guerres avaient commencé en même temps. J'ai été surpris par cette question. Évidemment, il y a une trajectoire historique déterminante dans la façon dont ces guerres ont commencé. Je lui ai demandé son âge ; il m'a dit qu'il avait 19 ans. J'ai réalisé qu'il n'avait que dix ans lorsque la guerre en Afghanistan a débuté et 12 au début de la guerre en Irak. Il a rejoint l'armée dans une époque pleine de conflits armés et aucune de ces choses n'avait vraiment réussi à l'impressionner.

Je parle en connaissance de cause, parce que les soldats américains sont un échantillon assez représentatif de la société américaine. Néanmoins, je suis surpris du manque d'intérêt assez répandu parmi les soldats en ce qui concerne les raisons de ces conflits et donc, leur existence.

États-Unis, Caroline du Sud, 2011. Des soldats « blessés » se font soigner durant la simulation d'une opération de sauvetage. Comment envisagez-vous l'évolution de ces guerres ?

J'essaye de ne pas tirer de conclusions avant de d'être sur le terrain. Même si je travaille pour des médias, j'ai toujours conservé une forme de scepticisme sain. Le problème, c'est qu'il est vraiment difficile d'interpréter une situation sur le long terme quand vous observez le quotidien. En allant là-bas, j'ai appris énormément de choses sur eux et surtout – comme j'ai passé beaucoup de temps embarqué avec l'armée – j'ai énormément appris sur la manière dont les États-Unis

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font

la guerre. C'est fascinant la manière dont cette gigantesque machine militaire et bureaucratique réussit à construire de telles organisations et à les diriger.

Je me suis concentré sur ça. Je suis devenu las des gens mal informés – ou même, des gens informés décemment – qui débitent leurs opinions juste pour le désir de se faire entendre. Une fois que vous avez fait le tri entre ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas, il ne reste plus grand-chose. Je pense que la signification des événements historiques est déterminée lors de leur déroulement ou au cours de leur futur immédiat. Je suis très prudent dans mes jugements, je fais partie de ces gens qui préfèrent « attendre pour voir ». Mais bien sûr, c'est assez décourageant de voir ce qui se passe. Quand je suis parti, j'étais beaucoup plus inquiet qu'optimiste.

Est-ce que ça a été dur de travailler avec l'armée, cette « gigantesque machine » comme vous l'appelez ?
J'ai entendu parler de plusieurs cas de censure. Mais d'une manière générale, je pense qu'embarquer avec les militaires permet une liberté de travail incroyable. Il y a certains commandants d'unités qui se préoccupent de ce que vous faites, mais la plupart du temps, ils s'intéressent davantage à leurs hommes qu'à ce que vous allez sortir. Au pire, vous pouvez changer d'unité. Je n'ai jamais eu de problème avec la censure. J'ai toujours pu capturer le noyau déprimant des événements que j'ai couverts. Ici, je fais surtout référence aux Américains. Les Anglais et les Allemands, par exemple, ne vous laissent que rarement accéder à quoique ce soit – et surtout pas aux zones de combats.

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J'ai entendu parler d'une affaire avec le photographe anglais Jason Lowe, qui avait pris en photo un soldat blessé. Le soldat en question avait donné son plein consentement pour la publication des photos, mais le ministère de la Défense a voulu mettre des bâtons dans les roues du photographe. Pour moi, c'est antidémocratique. Cela dit, si j'ai dû affronter la vraie censure au cours de ma carrière, celle-ci est venue des médias eux-mêmes. On a assisté à beaucoup de discussions au sujet de ce que ces guerres laisseront comme « images », mais je pense que beaucoup d'images qui pour moi, sont emblématiques de la situation, n'ont pas eu cette chance.

Irak, Mossoul, 2006. Une scène d'horreur après un attentat suicide qui a tué 9 personnes et en a blessé 20.

Certaines de vos images ont un caractère choquant ; avez-vous eu des problèmes après les avoir publiées ?
Comprenez-moi bien à ce sujet. Je ne suis pas favorable à la publication d'images « graphiques » pour l'amour de l'image graphique. Je pense qu'il existe beaucoup de photos violentes, brutales, qui peuvent réellement avoir un effet spectaculaire. Mais il y a beaucoup d'images violentes qui, au contraire, vous plongent au cœur du sujet. Ma photo d'un soldat américain en face d'un mur taché de sang, a par exemple été publiée, et dans un mag américain en plus – mais seulement dans l'édition européenne. L'article est paru dans les deux versions, mais, dans l'édition américaine, ils ont substitué ma photo par une image d'hélicoptère random.

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Quelque chose de semblable s'est produit avec une autre de mes photos ; elle représentait un soldat blessé fixant l'objectif. Pour moi, ça montre la réticence des médias à exposer les Américains à la brutalité de la guerre. La nature même de notre démocratie fait que nous sommes tous coupables de ces guerres. Beaucoup de gens cherchent à s'exempter de toute responsabilité en disant : « Oh, j'ai voté contre Bush, j'ai fait ce que je pouvais. » D'un autre côté, nous n'avons pas vraiment eu de mouvement anti-guerre digne de ce nom. Je trouve ces gestes et revendications un peu vides.

En parallèle de ces reportages de guerre, vous avez consacré pas mal de temps à suivre des soldats blessés essayant de se réadapter à la vie en Amérique. Que pensez-vous de la situation actuelle des vétérans de guerre ?
C'est une question intéressante. Aux États-Unis il y a eu une vague de « soutien aux soldats », du moins en surface. Après la guerre du Vietnam, on a assisté à un profond dégoût pour l'armée. Les soldats étaient vus comme des criminels plutôt que comme les victimes – qu'ils étaient – de la politique étrangère américaine. Dans ces guerres, c'est l'extrême opposé qui s'est produit ; les soldats étaient presque idolâtrés. Les gens organisaient des événements « Soutenons nos troupes », ils attachaient des rubans jaunes sur leur voiture, etc. L'idée du soldat noble au service de la nation existe bel et bien. Mais ce dont je me suis rendu compte, c'est qu'en pratique, tout ça est plutôt vide. Une fois l'intérêt retombé, une grande partie des soldats blessés (physiquement ou au niveau émotionnel) que je connais n'ont pas reçu plus d'aide que ça ; à peine une tape dans le dos. L'intérêt pour les soldats se limite en général à ça : « Avez-vous tué quelqu'un là-bas ? Avez-vous été impliqué dans des échanges de tirs ? » – ce genre de trucs. L'empathie pour les soldats est, je dirais, extrêmement limitée.

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États-Unis, La Nouvelle Orléans, 2012. Parade du Dumaine Street Crew un dimanche de fête.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille toujours avec les soldats. Mais mon attention commence à se concentrer sur l'autre côté de ces guerres : les Irakiens et les Afghans touchés par la guerre. Les diasporas de réfugiés à travers le monde constituent l'une des conséquences de ces guerres. J'étais récemment en Bavière, où les lois sur l'immigration sont très strictes, pour prendre des photos de l'un de ces camps remplis de réfugiés afghans ; on les a oubliés. Ils sont confinés depuis des années dans des casernes de l'époque hitlérienne et bénéficient d'un soutien gouvernemental très limité. C'est le genre de retombées provoquées par ces guerres, et ça va continuer des années durant.

En plus des zones de guerre, vous avez aussi travaillé parmi les civils, en photographiant le quotidien des Américains, la révolution égyptienne ou l'après tremblement de terre en Haïti. Comment votre manière de travailler change-t-elle dans ces situations ?
J'essaie de travailler, peu importe où je vais. Je suis toujours attiré par des choses similaires au bout du compte. Ce que j'aime dans la photographie, c'est que je peux m'ouvrir autant que je veux à tout ce que l'endroit peut m'offrir. Évidemment, vous ne pouvez pas éviter d'avoir un point de vue, mais vous pouvez être confronté à des choses belles, nouvelles, déroutantes ou choquantes sans vous y attendre. Cela peut arriver en zone de guerre, ou n'importe où. Tant que vous gardez les yeux ouverts, c'est la même chose.

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Cliquez ci-dessous pour voir plus de photos de Peter van Agtmael.

Afghanistan, 18 août 2009. Des marines américains jouent à un jeu qui consiste à lancer une balle dans un trou en même temps qu'un hélicoptère atterrit en arrière-plan.

Afghanistan, 17 août 2009. Un sergent des marines et un vieil afghan discutent dans la base militaire de Mian Poshtay, un jour d'accalmie.

États-Unis, Caroline du Sud, 2011. Des nouvelles recrues de Fort Jackson se préparent à monter dans le bus pour rejoindre les baraquements.

Irak, Mossoul, 2006. Un jeune garçon est mis à l'écart afin d'être questionné après un raid.

Afghanistan, Nouristan, 2007. Un hélicoptère vient d'atterrir sur un héliport improvisé construit sur le flanc de la montagne, à l'avant-poste d'Aranas.

États-Unis, New York, La « Fleet Week » (semaine des véhicules) à Manhattan.

Irak, Rawa, 2006. Un soldat américain monte la garde pendant la fouille d'une maison irakienne.

Irak, Mossoul, 2006. Des femmes pleurent ; leurs proches sont détenus après la découverte d'une importante cache d'armes.

Irak, Bagdad, 2006. Jeffrey Reffner, 23 ans, quelque temps après avoir été blessé par un engin explosif improvisé sur le bord d'une route.

États-Unis, Chicago. Anthony Smith, un prisonnier retenu dans le centre pénitencier du comté de Cook, se plaint au Shérif Tom Dart de la manière dont il est traité.

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