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Petit précis de cuisine mexicaine

À Mexicali, une petite ville mexicaine située à 200 kilomètres au sud de San Diego, il existe un bar à tapin dans lequel je me pointe lorsque je veux éviter les tarés qui peuplent les rades normaux.

Photos : Karla Paulina

Préparer une ampoule pour fumer est un art à part entière.

À Mexicali, une petite ville mexicaine située à 200 kilomètres au sud de San Diego, il existe un bar à tapin dans lequel je me pointe lorsque je veux éviter les tarés qui peuplent les rades normaux. J'adore cet endroit ; je n'ai pas à feindre de m’intéresser aux gens. Personne ne me regarde. J'ai rencontré N (c'est le nom que nous donnerons à cette fille pour protéger son identité) dans les toilettes alors que j'essayais de remonter ma culotte en évitant les flaques d’urine au sol, clope au bec, ce qui a débouché sur une situation embarrassante, puis sur un début d'incendie. N m'a aidée à écraser le papier toilette qui commençait à flamber. Après avoir ri un bon coup, un élan de générosité l'a conduite à m'offrir une latte du contenu de son ampoule.

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N est prostituée et dealeuse. Elle cuisine de la méthamphétamine et du crack, et elle fait les plus jolis bangs artisanaux du coin. Cette fille a de multiples talents, mais celui dont elle est le plus fière, c'est l'art de serrer et de retenir plus longtemps que quiconque tout ce qui rentre dans son vagin : baggies de drogue ou verges de toutes dimensions.

Juste au cas où, permettez-nous une parenthèse informative. La méthamphétamine est une drogue de synthèse également connue sous les noms de crystal, ice, yaa baa, meth, etc. Elle s'achète au gramme, des petits paquets qui contiennent (évidemment moins d’) un gramme. Elle peut être blanche, jaune ou beige ; dans Breaking Bad,elle est bleue turquoise, et on peut la fumer ou l'inhaler. D'après l'agence anti-drogue américaine, la DEA, le Mexique aurait détrôné la Chine dans la production et la distribution de cette drogue. D'après le magazine Proceso (hebdo mexicain d'analyse sociopolitique influent), le cartel de Sinaloa aurait fait main basse sur la distribution de produits chimiques utilisés en amont dans la production, ces produits partant ensuite en direction de labos implantés sur le territoire américain ; le gang contrôlerait également la production à l'intérieur des frontières mexicaines. Ces derniers mois, six tonnes de ice ont été saisies dans des labos clandestins des États de Michoacan, Guanajuato, Jalisco et dans l'État de Mexico.

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En théorie, seuls les cartels ont le pouvoir de monter des labos professionnels pour synthétiser de la drogue. En Europe, les petits dealers montent souvent de modestes labos clandestins à leurs propres frais, et en assument seuls les risques. Au Mexique, la totalité du business est aux mains des cartels. La production de méthamphétamine doit se faire dans un lieu intégralement cloisonné (si de l'air entre de l'extérieur, ça explose) et l'exposition aux produits chimiques produit des effets sur le cuisinier : éruptions cutanées, brûlures et intoxications. C'est en cela que l'histoire de N est si particulière ; j'ai décidé de l’interviewer pour qu'elle nous en dise un peu plus sur ses activités professionnelles.

Pour N, le plus difficile, c'est de savoir à quel client elle peut faire confiance.

VICE : Comment as-tu appris à cuisiner de la dope ?
N :Je me suis retrouvée enfermée dans une cuisine, à San Luis Rio Colorado, et quand ils ferment les portes, impossible d'entrer ou de sortir. Là-bas, j'ai appris à mélanger les ingrédients et les produits chimiques pour faire de la ice et du crack. J'ai ma recette perso. Quand les livraisons de mes fournisseurs traînent un peu trop, je cuisine ma propre came. Je sais aussi préparer des substituts de coke. Les gens n'y voient que du feu.

Depuis combien de temps es-tu dans le business des drogues dures ?
J'ai commencé à trafiquer de la coke à 14 ans. J'en ai 21. Mon copain était proprio de la cuisine de San Luis dont je te parlais. Et des fois, quand je lui demandais de l'argent, s'il n'en avait pas, il me passait de la came que je vendais pour me faire du fric.

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Où est-il aujourd'hui ?
Il s'est fait serrer. Je ne peux pas te dire de quel cartel il fait partie, mais il couvrait la région de Sinaloa, Sonora et les deux Basses [Basse Californie et Basse Californie du Sud]. Moi, je continue de travailler pour sa famille.

Ça doit être dangereux de travailler avec les cartels. Tu les fréquentes ?
J'ai traîné avec des mecs très influents, mais ouais, c'est dangereux. Si tu fais une connerie, tu la payes de ta vie. Et personne ne fera rien pour toi. Si je me fais serrer, eh bien… il y en a plein qui attendent, prêtes à me remplacer. J'aime bien ce que je fais, je rencontre beaucoup de monde. On gagne un max de blé, et c'est ce qui compte. Mais c'est quand même fatigant, ça rend parano, tu ne sais jamais qui sera le connard qui va te truander ou te balancer. Le plus difficile, c'est de faire confiance au client, savoir à qui tu peux vendre, et gagner sa confiance aussi en tant que revendeur. C'est un grand jeu de hasard – tu ne sais jamais avec qui tu traites.

Ouais.
J'ai déjà été balancée deux fois, mais à chaque fois, c'est les balances qui se sont faites embarquer. J'avais un chauffeur de taxi qui m'emmenait à mes rendez-vous, un type de mon crew. À l'époque, je traînais avec un autre gros mec, et l’une de ses nanas est devenue jalouse en voyant la façon dont il s'occupait de moi. Il a dû commencer à lui passer moins de blé et moins de came, parce que moi, je gérais bien le truc. Et cette pute a payé l’équivalent de mille euros au chauffeur de taxi pour qu'il s'occupe de moi. Cet enfoiré me dit : « Écoute petite, je vais te laisser une chance, tu as combien ? Parce qu'on vient de me payer tant pour que je t'emmène te faire défoncer à l'aéroport. » Évidemment, c'était un aller simple. Sans retour. Alors j'ai dit à ce connard que chez moi j'avais le double de ce qu'on lui avait donné, je me suis débrouillée pour envoyer un message et quand on est arrivés chez moi, trois camionnettes l'attendaient. Le lendemain matin, le gars devait être dans un sale état, au milieu de La Salada (un grand lac de la région).

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Comment tu as commencé dans la prostitution ?
J'ai dû mettre un terme à mes études parce qu'un prof voulait me choper et je ne voulais pas. J'avais déjà eu quelques histoires avec d'autres profs, mais celui-là… j'avais pas envie, c'était un escroc. Du coup, le mec de la cuisine de San Luis m'a proposé de gérer un lupanar. Là, une autre vieille salope m'a vendue et la justice m'est tombée dessus. Tout le monde a dérouillé, les filles, les gars de la sécu, mais pas moi, parce que l'un des flics était un ami, et il m'avait reconnue. Et comme ils m'ont laissée partir assez vite, j'ai eu des embrouilles. Les gens pensaient que je jouais un double jeu. Ils me cherchaient pour me tuer, alors je me suis cachée. Maintenant, les choses se sont calmées, tout va bien. Environ 80% de mes clients sont clients des deux produits.

N a déjà été balancée à plusieurs reprises, mais elle s'en est toujours bien sortie.

Tu m’as dit la dernière fois que tu étais la dealeur de ta mère. C’est vrai ?
Ouais, et elle bosse aussi au bar avec moi. En fait, ma mère a consommé pendant 12 ans. Après je l'ai envoyée en désintox. Je donnais de l'argent à ma grande sœur pour qu'elle paye les mensualités, mais elle m'a baisée et ma mère s'est faite jeter parce que soi-disant, on ne payait pas. Quand elle est sortie, il fallait bien qu'elle travaille. Je ne pouvais pas m'occuper d'elle financièrement parce que je me charge déjà de mon frère, alors je l'ai emmenée avec moi au bar, en tant qu’hôtesse.

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Ton frère, il a quel âge ?
Il a 11 ans. Il est en CM2. Et c'est ce que j'ai de plus cher. Je m'occupe de la maison depuis que j'ai 15 ans parce que mes parents n'en étaient pas capables. Ma mère consommait et mon père s'était tiré. Je ne peux pas me plaindre de l'enfance que j'ai eue jusqu'à genre 8 ou 9 ans. Un de mes oncles s'occupait de ma grande sœur et de moi. Il s'occupait de tout. Il a toujours été là pour nous. Mais ma mère est tombée dans le crystal et elle s'est trouvée un mec. Cet enculé abusait de moi. J'avais 10 ans à l'époque.

Mon oncle, est décédé d’un cancer quand j’avais 14 ans. On s'est retrouvées à la rue. Grandeur et décadence. Et coïncidence aussi, puisque c'est là que j'ai rencontré le gros poisson, et j'ai dû commencer à faire quelque chose.

Qu'est-ce qui s'est passé avec le copain de ta mère ?
Cet enculé était pédophile. Il faisait des films pornos avec des enfants. Il m'a souvent emmenée chez lui. Et quand j'ai eu mon copain, celui qui m'a mis un pied dans ce business, j’ai envoyé chier le vieux pervers. Il s'est fait coffrer et tout, mais il n'est pas mort. Il est par là, en train de crever à petit feu. Tant mieux. Qu'il vive comme un chien.

Quand je l'ai dit à ma mère, elle s'était rangée de son côté ; elle préférait sa bite. Du coup, ouais, je pensais que c'est moi qui n’allait pas bien. Ma mère a été une sacrée connasse, mais je l'ai pardonnée. On s'est foutu sur la gueule.

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Comment ça s'est passé ?
Quand j'avais 13 ans, je lui ai filé le plus gros coup de toute ma vie. On s'est bastonnées trois fois, mais celle-ci était la plus violente. Une fois, à Noël, ma mère a ramené son copain chez ma grand-mère, et cette ordure, il a saisi la première occasion pour me tripoter. Et là, moi, au lieu de lui sauter dessus pour l'éclater, j'ai sauté sur ma mère parce qu'elle l'avait amené dans un endroit où je pensais être en sécurité. Une autre fois, j'étais en train de balayer, et elle a voulu me tirer les cheveux, alors j'ai attrapé le balai et je l'ai frappée de toutes mes forces. La vérité c'est que plus personne ne voulait la sauter. C'est pour ça que je disais : « Je ferai pas cette connerie, je ne tomberai pas dans la drogue. » Je ne voulais pas lui ressembler, mais bon… tu vois où j'en suis…

Une fois, N a dû transporter de la drogue jusqu'à Caborca, dans l’État de Sonora.

Tu consommes beaucoup chaque jour ?
Celle que je préfère, c'est celle que je cuisine moi-même. Ça fait deux ans que je fume de la ice, tous les jours. Et je ne suis jamais tombée malade. Je ne sais pas ce que c'est, vu que je consomme quotidiennement. Je tape un demi-gramme par jour, des fois un peu plus, mais c'est genre, ma dose pour être bien, sans trop planer. Depuis que je suis gamine, je prends de la coke et je picole, mais j’arrivais à gérer ma consommation. Par contre, avec la métamphétamine, c'est différent. Cette dope te speede et t'excite grave [rires]. T'as déjà baisé après avoir fumé ?

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[Rires] On m'a dit qu'on tenait longtemps.
Les mecs sont hyper durs avec ça. Et les meufs, ça les met bien aussi. Mais si t'en prends trop, tu peux péter un boulon et tu prends tout ce qui passe.

Comment ça ?
Eh bien, tout. Homme, femme, à plusieurs. Moi, j'aime les nanas. Je veux dire, mon truc, en vrai, c'est les bites, et ça ne changera pas. Mais la femme, c'est comme un fantasme. Depuis toute petite, dans l'enseignement secondaire et dans le supérieur, on jouait au jeu de la bouteille et j'ai souvent dû embrasser des filles. Et depuis, ça me plaît. C'est à dire, une femme, elle sait ce qu'elle aime, tu connais ton corps, donc c'est plus facile de se mettre bien, et c'est un autre plaisir, c'est différent. J'ai même payé pour des nanas.

Je t'ai vue supporter pas mal de mecs super chiants dans ton boulot de prostituée, surtout des vieux.
Ouais, il y a pas mal de tarés dans ce business. Une fois, un connard a fait une fixette sur moi, et, sérieux, j'ai fini par avoir peur. Il me suivait jusque devant chez moi. Une fois, dans un after, il m'a attrapée dans des toilettes qui ne fermaient pas. J'étais assise, en train de pisser, et il m'a chopée par le chignon, il m'a explosé la tête contre le mur, il a arraché mes fringues, il a sorti son portefeuille et en a tiré un paquet de billets, genre « voilà ton fric, salope. » J'ai attrapé un de mes talons, et putain, je lui ai foutu de grands coups de talon dans les couilles.

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J'ai aussi des politiciens parmi ma clientèle. Ce sont ceux qui consomment le plus et le mieux. Ce sont aussi les plus chelou niveau baise. Ils aiment que tu leur fasses plein de câlins, comme à des gosses, puis que tu leur enfiles des objets dans le cul pendant que tu leur bouffes les couilles, des trucs comme ça. Mais l'histoire la plus folle que j'ai vécue, c'est à Caborca.

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
C'était une période difficile. Normalement, la drogue monte jusqu'ici puis elle passe la frontière vers la Californie, mais elle ne descend jamais vers le Sonora. Sauf que le mec c'était un type important et il m'avait demandé une livraison à Porto Luebo, à une centaine de kilomètres d’ici. J'ai rassemblé quelques mules potentielles. On a préparé les capsules et on se les ait enfilées. Chaque capsule pèse entre 8 et 10 grammes. J'en avais 15 dans le vagin. D'autres filles avaient avalé leurs capsules pour les chier en arrivant. En théorie, on devait passer inaperçues, mais imagine un troupeau de putain de putes pur jus, gros seins, gros culs, talons hauts et coiffures stylées. Bref. Caborca est un tout petit village, et le petit village était bouillant. La rumeur nous avait devancées, annonçant des filles de l'extérieur. Quand on est sorties en direction de Puerto Lobo, il y avait un barrage de l'armée qui nous attendait sur la route. Et ils avaient cette putain de petite machine qui, d'après eux, détecte la dope. Évidemment, ils nous ont arrêtées.

On était toutes bien défoncées. Ils ont mis les filles à genoux, et ils ont cherché à me prendre mon téléphone avec tous les messages, genre, « je vais descendre mon petit, avec le chargement et même avec des filles » mais bien sûr, je ne voulais pas le lâcher. Alors le type m'a attrapée et il m'a dit : « À genoux toi, comme tout le monde, vous allez pas vous perdre. » Mais dans l'agitation, quand le type m'a pris le téléphone, ça a appelé le numéro du mec de Puerto Lobo. Le mec a entendu tout le bordel et a envoyé ses hommes à notre rescousse. Nous, comme on ne savait pas, on était en panique. Ils allaient nous faire sortir la marchandise, et en plus, ils allaient nous baiser et nous laisser, là, en vrac. Et d'un coup, les gars du gros mec sont arrivés et ils ont plombé les flics. C'est passé aux infos, il y a genre deux ans. Un massacre de flics sur la route de Caborca. C’est vraiment un coup de chance que le téléphone a appelé le client, un heureux accident. Alors moi, je mets une bougie pour celle qui nous protège, celle en qui l’on croit ; la vraie, la Santa Muerte.

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