On a demandé à plusieurs contributeurs de nous décrire leurs peurs irrationnelles

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On a demandé à plusieurs contributeurs de nous décrire leurs peurs irrationnelles

Se réincarner en Gaulois ou mourir à cause d'un chargeur – l'horreur germe d'abord dans le cerveau.

Le concept de peur est aussi ancien que celui de l'Humanité. À en croire l'auteur américain Bill Tancer, les peurs les plus fréquemment citées sur les moteurs de recherche aujourd'hui sont celles des clowns, de l'intimité, de la mort, de la conduite et de l'échec. En France, on compte un nombre considérable de personnes effrayées par la perspective de perdre leur enfant, de prendre l'avion et tout un tas de peurs socialement acceptées et aisément justifiables.

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Comme on était moyennement intéressés par les phobies tout à fait normales de notre entourage, on a demandé à plusieurs de nos collègues de nous décrire leurs peurs les plus stupides et irrationnelles, dans la lignée de celles qui peuplent l'excellent site Deep-Dark-Fears. Voici les quelques lignes qu'ils nous ont envoyées sur le sujet.

Comme tous les gens portés sur l'anxiété et la maigreur, mon cerveau a façonné de nombreuses peurs inexplicables à travers les années, toutes assez ineptes et souvent ridicules. Il y a d'abord cette peur de devoir penser à mes clignements de paupières pour toujours. Cette crainte débile – pour rien au monde je ne m'imaginerais noter toutes les fois où je cligne des yeux, c'est-à-dire selon Wikipédia, environ 7,5 fois par minute – a ruiné mon année de première. Puis il y a eu cette peur infinie d'être le seul véritable humain sur Terre, qui est en réalité un stress très fréquent chez les gens traînant comme moi un ego enflé et que l'on nomme solipsisme. Puis, il y a cette peur absurde que je traîne depuis mes 8, 9 ans : celle qui se manifeste les nuits où, après avoir joué à des jeux de société culturels avec ma famille (Trivial Pursuit, Indix, Brainstorm), j'ai peur d'aller au lit, persuadé que toutes les personnalités mortes desquelles on a parlé ou les lieux de barbarie dont on s'est rappelé ne me poursuivent jusque dans ma chambre. Puis dans mon lit. Puis, en moi.

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Je me souviens par exemple d'avoir flippé beaucoup trop vers mes dix ans parce que j'avais entendu pour la première fois le mot « Mur des lamentations », et que mon cerveau l'avait interprété comme un lieu magique et terrifiant, une porte des enfers devant laquelle des millions de personnes se prosterneraient 24 heures sur 24 en l'honneur de quelque événement tragique remontant à des siècles et des siècles. Ou une autre fois, plus tard, où les participants (dont moi) devaient trouver, au Brainstorm, des mots liés au thème de « l'assassinat de JFK ». Là, j'ai compris que l'arrivée de la peur dépendait de la collusion de plusieurs facteurs et variables ; 1. la nuit, 2. une forme de connivence entre tous les participants (elle existe de fait, vu que ces derniers appartiennent tous à ma famille), 3. être excité par la partie, 4. fouiller dans sa mémoire à la recherche de faits historiques majeurs et sordides. Si vous aussi connaissez cette peur, manifestez-vous, ça fait vingt ans que j'ai l'impression d'être le seul humain à la connaître.
– JULIEN MOREL

Curieusement, la plupart de mes angoisses irrationnelles sont assez existentielles, et ont toutes un rapport avec le fait d'être, ou d'avoir conscience d'être. Je pense que cela remonte à mon visionnage compulsif de Matrix lorsque j'avais sept ans. Par exemple, après une représentation de hip-hop assez intimidante, j'avais passé une semaine persuadé d'être observé dans mes moindres faits et gestes par des yeux invisibles, à la Truman Show — ce qui me gênait particulièrement sous la douche.

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Je n'arrêtais pas d'imaginer ce genre de scénarios. Mais celui qui m'a le plus torturé et que j'ai le plus de mal à expliquer, c'est celui selon lequel ma conscience pourrait peut-être changer de corps à tout instant. Je me demande parfois si mes souvenirs sont virtuels, et si je suis susceptible de me retrouver dans le corps d'une autre personne d'ici quelques minutes, avec sa mémoire et sa personnalité, puis une autre personne, et une autre, indéfiniment. Je réalise seulement maintenant que c'était complètement con. N'empêche qu'il m'arrive encore d'y réfléchir : « Et si tout ça n'était qu'un rêve ? Et si je me réveillais et découvrais que je suis un Gaulois – c'est systématiquement un Gaulois –, contraint de finir ma triste existence privé d'internet à me les geler tout l'hiver sous une peau de bête ? » (Généralement suivi d'une conclusion type : « Putain, je déteste la weed. »)
– PIERRE-ALEXIS CHAUVIN

J'ai peur des chargeurs. Et c'est sans aucun doute la peur la plus handicapante que l'on puisse avoir au XXIe siècle. Quelle que soit leur forme, leur couleur ou leur voltage, j'ai peur qu'ils se mettent à siffler, enfler, et exploser, avant de mettre le feu à mon appartement, mon bureau, ou même mon camping-car. Avec les piles qui coulent, ces trucs sont ma version moderne du mythe de la combustion humaine spontanée.

J'ai redoublé ma troisième, entre deux années de changement du programme de physique au collège, ce qui fait que je suis complètement passé à côté des cours de base sur l'électricité. Je ne sais pas comment marche le courant alternatif ou continu. Je sais juste que tous ces boîtiers qui font marcher les trucs qui encombrent mes poches sont autant de bombes potentielles. J'ai eu un Solex électrique il y a quelques années, que j'ai dû renvoyer chez le constructeur, après qu'une batterie a détruit la maison d'un particulier en 2009. Un soir de bouclage de magazine, au boulot, un chargeur de modem internet s'est mis à puer le cramé et à dégager de la fumée, complètement grillé au milieu de piles de papier A4. Depuis ce jour funeste, je débranche tout avant de dormir.
– ÉTIENNE ROUILLON

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J'ignore pourquoi, mais depuis que je suis en âge de sortir les poubelles, j'éprouve parfois la peur de trouver un nourrisson hurlant à plein poumons au beau milieu des ordures. Je ne sais absolument pas si c'est dû aux multitudes de faits divers portant sur des bébés congelés que j'ai eu l'occasion de lire durant mon adolescence, si c'est une extension irrationnelle d'une certaine peur de l'abandon ou si je devrais sincèrement m'inquiéter pour ma santé mentale, mais toujours est-il que cette peur est là, bien présente. Elle ressurgit lorsque je reste trop longtemps près d'un vide-ordures pour aplatir mes cartons, que je me rends compte que mon sac-poubelle est percé et laisse échapper un liquide marronâtre, ou que j'ai oublié d'enlever les couvercles de mes bocaux – en somme, dès que mon devoir de citoyenne m'oblige à passer quelques secondes de plus près des poubelles et des milliers d'enfants abandonnés qu'elles sont susceptibles d'abriter.
– JULIE LE BARON

Je suis terrifié à l'idée de perdre un membre de mon corps, qu'il s'agisse d'un doigt en fermant un peu trop violemment la porte de mon frigidaire ou d'une jambe qui passerait sous la ligne 5 du métro parisien lors d'un moment d'égarement. En fait, des films comme Crash ou La Mouche me feront toujours mille fois plus flipper qu'un slasher, sans doute parce que la vision d'un corps déformé me dégoûte, alors qu'un meurtre continue de m'indifférer au plus haut point. Je crois que je préférerais mille fois être guillotiné sur la place publique que me faire couper les doigts les uns après les autres. Et je ne dis même pas ça en fonction de la douleur, mais simplement au regard de la configuration originelle du corps humain. À la limite, je pourrais accepter de me faire retirer quelques dents nécrosées, mais uniquement si mon dentiste s'engage à les remplacer par un implant dentaire imperceptible.
–ROMAIN GONZALEZ

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Comme toutes les peurs chelous, la mienne est irrationnelle, ridicule, et survient dans un cadre particulier : plusieurs critères bien précis doivent être rassemblés, afin d'atteindre l'acmé de cette angoisse. Ça commence toujours par une lumière qui s'éteint de manière abrupte (à cause d'un minuteur, un ami malintentionné ou une coupure de courant), et me plonge dans les ténèbres. Si je suis dans un environnement inconnu, mon rythme cardiaque s'accélérera d'autant plus : je ne maîtrise pas le décor, et je ne pourrais pas m'enfuir si quelque chose survient. C'est là que j'essaye de repérer rapidement les zones les plus sombres autour de moi, repères idéaux pour créatures pétries de funestes intentions à mon égard. Dans mon imaginaire, elles prennent systématiquement l'apparence de zombies putrides et hargneux. Une fois que je sais d'où le danger va sortir, j'essaye de repérer un point de fuite stratégique, un objet contondant dont je pourrais me saisir, ou l'interrupteur le plus proche afin de retrouver le cocon protecteur de la lumière artificielle – s'il n'est pas trop difficile à atteindre. Parfois, j'arrive à prendre sur moi, mais dans certaines occasions, je me suis retrouvée prostrée au sol, ou agrippée de toutes mes forces à quelqu'un, tétanisée, à hurler pour que la lumière soit rallumée. À 28 ans, je peux vous assurer que c'est un comportement qui fait flipper pas mal de gens.
– ZELDA MAUGER

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Il faisait jour. J'attendais docilement le passage au vert d'un feu pour piétons, quand soudain, mon cerveau reptilien repéra un danger dans mon voisinage immédiat. Mon cœur se mit à battre la chamade. Du coin de l'œil, j'entraperçus une forme diffuse sur ma droite que je n'avais pas vue auparavant. Elle venait d'apparaître, sans prévenir, et me voulait forcément du mal. Le feu passé au vert, je franchis la chaussée bariolée comme un zombie, en état de choc, et n'osai me retourner qu'après avoir traversé la rue. J'aperçus alors enfin mon assaillant, de loin, un noble compteur électrique, à peu près du même gabarit qu'un homme adulte un peu trapu, noirci par de nombreuses épaisseurs d'affiches et de stickers en tous genres.

J'ai la phobie des compteurs électriques, donc, mais aussi des petits panneaux de signalisation ou encore des poubelles, ces terribles créatures des nuits urbaines. Ou encore des taies d'oreiller ou autre linges de maison posés avec désinvolture sur le manche dressé d'un aspirateur. L'autre nuit, en me réveillant en sursaut, je me suis retrouvé prisonnier dans mon propre lit, alors même que l'envie d'uriner me pressait l'abdomen. Tétanisé par la peur, j'étais incapable d'affirmer avec certitude qu'il n'y avait pas, à quelques mètres de moi, un sombre individu qui n'avait rien à faire dans ma chambre à 3 heures du matin. Certes, c'était sans doute ma chemise, en train de sécher sur un cintre paisiblement posé à ma commode. Mais comment en être certain ? Les voies du cerveau sont impénétrables. La seule solution que j'ai réussi à appliquer jusqu'ici lorsque ces prédateurs du quotidien me prennent pour cible, c'est de faire l'autruche. Qui sait, si ce compteur électrique ne m'a finalement pas touché, c'est peut-être parce qu'il avait autant peur de moi que moi de lui.
– PIERRE-ELIOTT BUET

Je ne suis pas quelqu'un de superstitieux. Gamin pourtant, j'avais des petits rituels complètement irrationnels. Pendant longtemps, par exemple, je ne pouvais pas aller dormir sans avoir dit « Bonne nuit » à tous les gens présents dans ma maison au moment de mon coucher, qui devaient tous impérativement me répondre la même chose – au mot près. J'étais persuadé que si je ne le faisais pas, je mourrais dans mon sommeil, asphyxié. J'essayais de le faire discrètement, pour ne pas éveiller les soupçons sur les vraies raisons de ma procession quotidienne. Je ne sais pas si ma famille a remarqué, mais je sais au moins que je ne suis pas mort. Environ à la même époque, au-delà de la peur que les Afghans nous attaquent (je n'avais pas vraiment tout compris), j'ai également commencé à faire un cauchemar qui me poursuit encore, dans lequel je meurs après être tombé d'un pédalo pendant une balade en famille. C'est peut-être prémonitoire. L'année dernière, en vacances au Maroc, j'ai fait du pédalo avec mes parents, et je suis encore là. Ce sera pour une prochaine fois.
– ILYASS MALKI

Je viens du sud de la France et j'ai toujours été fan de fruits de mer : je les pêche, je les décortique et je les mange goulûment. Jusqu'à peu, rien ne me rendait plus heureuse qu'une bonne ventrée d'huîtres le soir de Noël, sur du pain de seigle avec une pointe de sel et un zeste de citron. Or il y a quatre ans, alors que je déglutissais la première huître d'un énorme plateau de coquillages, j'ai senti l'huître visqueuse glisser le long de mon tube digestif pour se coller aux parois de mon estomac. Pendant tout le repas, je n'ai fait que penser à cette huître encore vivante se mouvoir dans mon ventre, aller et venir, remonter et redescendre mon œsophage. Cette pensée m'a suivie le lendemain et les jours suivants : je savais que l'huître était encore là, collée quelque part en moi et qu'elle ne me lâcherait jamais, tel un chewing-gum séché et indécollable sous le comptoir d'un bar.

Malgré cela, je suis incapable de me résigner à ne plus en manger. Je vis désormais ce dégoût comme une sorte de défi, je veux montrer à cette bestiole flasque que je suis plus forte qu'elle. Il m'arrive donc de réitérer régulièrement l'expérience : lorsque qu'un plateau d'huîtres est posé devant moi, je m'en sers systématiquement une – une seule –, et j'entame ma lutte intérieure avec le mollusque pendant plusieurs jours.
– JULIA MOURRI