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reportage

Touche pas à mon peyotl !

Cactus hallucinogène et grosse défonce dans le désert mexicain.
LT
Bangkok, TH
Un peyotl en fleur. Photo de Hans B. via Wikimedia

Fin 2012, alors que j'habitais à Mexico, j'ai décidé de partir à la recherche du peyotl, un cactus hallucinogène, dans le désert de Chihuahua, au Mexique.

En grandissant dans le Connecticut, j'avais déjà entendu parler des drogues hallucinogènes mais personne autour de moi n'avait osé franchir le pas. Je ne savais même pas vraiment ce que c'était. Puis, comme beaucoup d'adolescents, j'ai goûté à différents psychédéliques avant même de passer mon bac. Seul le peyotl, inaccessible, gardait pour moi cette aura mystérieuse.

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Quand mon ami Luis m'a expliqué qu'il existait une région isolée du Mexique dans laquelle on pouvait trouver ce cactus et se payer un trip au beau milieu du désert, j'ai pensé que l'expérience ne serait qu'une partie de plaisir.

​Les zones du Mexique où l'on peut trouver du peyotl sauvage. Carte publiée sur Wikimedia par ​Xtabay

Le peyotl, de son nom scientifique le Lophophora williamsii, pousse d'abord sous terre. Seule la partie supérieure de la plante émerge du sol. Son goût très fort le préserve de l'appétence de la plupart des animaux mais les Huichols, un peuple pré-colombien originaire du Mexique, l'utilisent lors de rituels sacrés pour provoquer des hallucinations.

Selon le docteur Jay Fikes, ancien professeur d'anthropologie à l'université de Yeditepe, les Huichols croient que le cactus leur confère des pouvoirs thérapeutiques et les aide à entrer en communication avec les Dieux. En tant qu'animistes, tout être vivant est pour eux doté d'une âme. Ainsi, en tant que plante, le peyotl peut transmettre à l'homme sa sagesse.

Mais pourquoi ce cactus qui ne paie pas de mine défonce-t-il autant celui qui l'ingère ? Selon le docteur John Halpern, professeur assistant en psychiatrie à Harvard et probablement un des plus grands spécialistes du peyotl, la mescaline, utilisée couramment pour ses effets psychédéliques et que l'on retrouve dans le cactus, en est à l'origine.

Les premiers chercheurs occidentaux se sont penchés sur cette question à la fin du XIXème siècle. Puis, le gouvernement américain a rendu illégal la substance en 1970, suite à l'instauration du Comprehensive Drug Abuse Prevention and Control Act. Cette loi concluait que le peyotl ne possédait aucune vertu médicinale. Le Mexique l'a également interdit ; seuls les Huichols ont le droit de le récolter et d'en posséder. Néanmoins, cette prohibition n'a pas empêché l'industrie touristique de profiter de l'attrait des occidentaux pour les expériences psychédéliques.

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Une broderie huichol, réalisée par Jose Benitez Sanchez et inspirée par ses hallucinations provoquées par le peyotl. Photo de ​Lynn (Gracie's mom)​ via Flickr 

Real de Catorce, site sacré et ancestral pour les chamans huichols, est devenu la capitale du peyotl et véritable lieu de pèlerinage pour tous les aspirants psychonautes. Cette ville de la province de San Luis Potosi, au nord du pays, perchée à 2 800 mètres d'altitude, est située à proximité d'une mine d'argent désaffectée. La ville a compté jusqu'à 40 000 habitants au début du XIXème siècle. L'activité minière était alors à son apogée. Après l'arrêt de la production, en 1893, seulement mille habitants résidaient toujours à Real de Catorce.

La ville est entourée de dunes désertiques. On y trouve des maisons dignes des meilleurs westerns, certaines restaurées, d'autres décrépites. Mais peu de monde s'y rend pour admirer le paysage. On vient à Real de Catorce uniquement pour goûter aux joies du peyotl. Ces dernières années, de nombreux médias américains se sont penchés sur ce tourisme de la drogue, et le commerce de cactus psychédélique a considérablement enrichi les bars, restaurants et hôtels de cette bourgade.

Real de Catorce et le peyotl doivent leur succès auprès des amateurs de drogue à L'Herbe du Diable et la petite fumée, un ouvrage publié en 1968 par Carlos Castaneda, chantre du New Age.

Dans son livre, l'auteur prétend avoir été initié à la plante par un chaman de la tribu des Yaqui. Il lui aurait expliqué comment se servir du peyotl afin d'explorer une « réalité alternative » et découvrir les vérités fondamentales de la société moderne et son incapacité à apporter le bonheur. Dans son récit, il raconte comment il s'est retrouvé à parler aux coyotes, s'est transformé en corbeau et a appris à voler. Ses anecdotes invraisemblables l'ont discrédité auprès de certains universitaires mais ont indéniablement suscité l'intérêt de nombreux lecteurs qui souhaitaient vivre des expériences similaires.

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Luis et moi étions nous aussi impatients de risquer l'aventure. Quelques jours après qu'il m'en a parlé, nous avons pris la route à bord de son vieux van blanc, direction Real de Catorce.

Lors des deux dernières heures de voyage, nous avons dû emprunter la route la plus cahoteuse et la plus poussiéreuse du monde. 17 kilomètres de pistes à 15 km/h pour ne pas se taper le haut du crâne sur la carrosserie, c'est long. La voiture soulevait tellement de poussière qu'on y voyait plus rien.

Puis, nous avons dû patienter à l'entrée d'un tunnel de deux kilomètres où seul un véhicule à la fois peut passer. Ce tunnel appelé « Ogarrio » est le seul accès routier qui permet d'atteindre Real de Catorce.

Photo de ​Peter A. Mansfeld​ via Wikimedia

La ville draine une faune disparate, reflet de toutes les cultures alternatives qui se croisent et se rencontrent dans ses rues poussiéreuses. Des mecs à la barbe grise, toujours prêts à partager leurs théories psychédéliques, se descendent des verres de mescal avec des adolescents mexicains, venus là pour le week-end, lassés des plages de Tulum. Tandis que le visiteur de passage loge dans une guesthouse, le passionné se loue un appart pour plusieurs mois. On les retrouve, marchant dans le désert, à la recherche du peyotl, perdus dans ce qui leur semble un voyage spirituel.

Vous pouvez acheter des cactus directement à Real de Catorce. La plante se décline aussi sous différentes formes : confitures, sodas, pommades… Certains produits vous défonceront, d'autres non. Mais parcourir le désert pour trouver et récolter votre propre peyotl reste le principal intérêt de ce genre d'expédition.

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La plus grande réserve de peyotl se trouve dans une zone appelée « Station 14 ». Il faut une heure de route pour s'y rendre, mais les dénivelés sont trop importants pour qu'une voiture lambda puisse l'emprunter.

Pour une dizaine d'euros, nous avons pris un « willy », sorte de Range Rover qui fait office de bus. Huit passagers peuvent s'entasser à l'intérieur, huit autres sur le toit. Il est évidemment plus sûr de rester dans la jeep mais, sur le toit, on profite de l'air frais et de la vue. Luis et moi avons opté pour cette seconde option. Tout le long du trajet, nous nous sommes donc extasiés devant les paysages et les ânes morts qui jonchaient la route.

Pendant le voyage, j'ai discuté avec des touristes qui rêvaient de visiter ce désert depuis des années. Certains connaissaient beaucoup de choses sur le peyotl et les Huichols. D'autres, comme moi, avaient juste entendu parler de Real de Catorce et de ses cactus, et étaient venus par simple curiosité.

​Real de Catorce. Photo de ​Robin Robokow via Flickr

Le willy nous a déposés au milieu de nulle part. La foule s'est peu à peu dispersée. Luis et moi étions enfin seuls dans le désert mexicain. Très vite, nous avons réalisé que nous ne savions même pas ce que nous cherchions. Nous pensions naïvement que tout s'enchainerait très facilement une fois sur place. Nous nous trompions.

« Tu sais où on peut trouver des peyotls dans le coin ? » ai-je demandé à Luis.

« Aucune idée, a-t-il répondu. Mon téléphone ne marche pas. Et le tien ? »

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C'est là que nous nous sommes rendus compte que nous étions sans outil, sans eau, sans vivre et sans téléphone et n'avions pas la moindre idée de où commencer nos recherches.

Puisqu'il est illégal de récolter le peyotl, les chauffeurs ne donnent aucune indication pour trouver le cactus. De fait, ils prétendent qu'ils ne comprennent pas pourquoi tant de touristes occidentaux leur demandent de les conduire dans le désert.

Nous avons vagabondé pendant un moment, l'air un peu con. Heureusement, nous sommes tombés sur un type plutôt costaud qui grattait le sol avec des bâtons. Il s'appelait Léon et nous a dit être propriétaire d'un hôtel à ​Monterrey​. Il organisait régulièrement des expéditions dans le désert de Chihuahua pour récolter des peyotls qu'il vendait ensuite à ses clients. Comme un vrai professionnel de la drogue, il nous a appris comment déterrer proprement le cactus.

Les peyotls les plus jeunes sont en général âgés de cinq à dix ans et font la taille d'une balle de golf. Les plus vieux font la taille d'une balle de tennis. Il est plus facile d'en trouver des gros, mais les locaux prétendent que les plus petits sont les plus puissants.

​Un peyotl. Photo de ​Kauderwelsch via Wikimedia

Léon nous a indiqué où trouver des peyotls en observant simplement le terrain. Luis et moi ne voyions absolument rien, même accroupis. Une fois un spot repéré, il nous a expliqué comment déterrer délicatement le peyotl et le cueillir à l'aide d'un petit couteau. Il est impossible d'arracher directement le cactus parce que le terrain est trop sec, et donc trop dur. Ils sont enterrés jusqu'à cinq ou six centimètres de profondeur. Quand Léon récolte le cactus, il reste intact et les racines ne viennent pas avec. La plante pourra ainsi repousser. Cette méthode doit être scrupuleusement respectée par tous : à Real de Catorce, les cactus sont consommés plus vite qu'ils ne poussent.

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Léon nous a expliqué qu'après l'avoir pelé et lavé, il fallait manger immédiatement le cactus. Une fois pelé, l'intérieur est quelque peu brillant et humide ; sa texture et sa couleur rappelle celle du poivre vert.

Après l'avoir préparé, Léon nous a prévenus : les champignons hallucinogènes sont bien plus appétissants que le peyotl. Néanmoins, je n'ai pas été particulièrement rebutée par le goût. Contrairement aux champignons, ce cactus ne sent pas la merde. Il est juste très amer et assèche la bouche.

J'étais à jeun lorsque j'ai ingéré le peyotl. Je souhaitais que l'expérience soit la plus forte possible. Léon nous avait recommandé de manger au moins douze boutons pour un trip optimal. Après avoir suivi ses conseils, je me sentais pleinement repue.

J'ai compris que j'étais défoncée quand il m'a fallu du temps pour comprendre la conversation de Luis et Léon et beaucoup de concentration pour leur répondre. Heureusement, nous ne parlions pas tant que ça. Tous mes sens étaient amplifiés. J'étais assoiffée. Le désert devenait étouffant et le sol me semblait particulièrement dur. Il m'est alors apparu évident que le peyotl se prêtait très bien aux expériences mystiques.

Le docteur Halpern m'a expliqué que le produit fonctionnait probablement comme tous les autres hallucinogènes. « Il agit sur les récepteurs sérotoninergiques du système nerveux. Ces récepteurs ont trois façons de fonctionner : off, on et on avec des effets psychédéliques. Nous pensons que toute expérience psychédélique se produit suite à une réaction de ces récepteurs. Les effets durent en moyenne huit à douze heures si vous prenez une dose de 400 mg de peyotl contenant 1 à 3 % de mescaline. »

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« Quand vous prenez du peyotl, vos émotions se ressentent brutalement », témoigne quant à lui le docteur Fikes. Il s'est souvenu d'un rituel religieux auquel il avait assisté, sous peyotl, où un taureau avait été sacrifié. À un moment, il s'était retrouvé dans l'incapacité de respirer.

​ La ​structure chimique de la ​mescaline​, principale substance active du peyotl. Image de ​Cacyle​ via Wikimedia

Pendant six heures, le peyotl a agi en moi par vagues.

Je me suis sentie parfois un peu écoeurée, mais je pense que mes nausées étaient plus dues au soleil et à la déshydratation qu'au cactus. Au milieu de mon trip, mon esprit semblait s'agiter frénétiquement, effet familier que j'associe aux autres psychédéliques.

Les premières heures se sont déroulées comme si je rêvais. Il m'était impossible de me concentrer sur quoi que ce soit. J'étais bien plus lucide à la fin du trip mais, dans l'ensemble, il n'y a pas eu de début, d'apogée et de fin bien précis. Les effets ont continué à se manifester jusqu'au jour suivant, en une longue torpeur.

Le willy qui nous a ramenés à Real de Catorce était presque vide. Je me suis donc allongée sur le toit en contemplant le ciel. Mon corps était relâché au possible. J'avais l'impression que le soleil me brûlait mais je n'avais aucune envie de bouger. Je ne pouvais toujours pas me concentrer pendant plus de quelques minutes.

Le retour à la civilisation m'a été particulièrement pénible. Je ne voulais pas que toutes ces vibrations positives que nous avions ressenties sur le toit du willy s'arrêtent. Léon nous a donné son numéro et nous a invités à venir passer quelques jours dans son hôtel. C'était une bonne idée, mais je savais pertinemment que je ne le reverrai pas.

Après plusieurs heures à déambuler dans les ruines de Real de Catorce, nous avons compris que nous devions rentrer à Mexico. Nous avions déterré quelques peyotls pour les ramener avec nous mais, à un moment du voyage, Luis a eu peur de se faire arrêter par la police et m'a fait jeter par la fenêtre les derniers boutons que j'avais conservés. Certes, le peyotl a des effets psychédéliques mais il rend tout autant parano que n'importe quelle autre drogue.

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