FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Pour une réhabilitation du happy hardcore

La réalisation la plus exacte du punk rock en musique électronique.

Photos : Ewen Spencer

À chaque période de l’histoire, le monde a connu des genres musicaux unanimement méprisés. Aujourd’hui c’est le dubstep que l’on trouve naze sous le simple prétexte que « le dubstep c’était mieux avant ». Il y a dix ans c’était le nu métal que les mecs n’aimaient pas du tout parce que c’était ‘« aussi nul qu’avant ». Et puis il y a tous ces genres périphériques genre le pornogrind et le buttrock goa. Si vous ne connaissez pas le buttrock goa, tant mieux pour vous.

Publicité

Cependant, parmi ces subcultures haïes de tous, il existe un genre qui se distingue particulièrement pour être le plus idiot, le plus mal aimé et le moins compris de l’histoire des musiques électroniques : le happy hardcore. Ça ressemble à un moment de l’histoire de la dance music que la plupart préfèreraient oublier, un truc qui aurait été abandonné un jour de pluie après une (trop longue) rave et destinée à être associée (à jamais) à toutes les causes de panique morale des années 1990, avec : les virées en caisse à 7, le Gatorade et le rap.

Musicalement, il s’agit d’un mélange punitif. Prenez 170 bpm des stabs de synthé sans intérêt, des rythmes hachés qui sonnent comme des machines à laver et rajoutez des voix d’enfants par dessus. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi cette musique est aujourd’hui considérée comme la « rave avant Pompéi » – c.-à-d. le son de la dance music (qui avait auparavant fédéré la jeunesse britannique à la fin des années 1980) qui se serait effondré quelque part en 1995 après une trop grosse montée de taz.

Bien entendu, il existe un snobisme autour du genre. On considère le happy hardcore comme le petit frère trisomique de la rave, ou son cousin fan de voitures Subaru. Et tandis que les magazines de mode orientent rétroactivement l'air du temps en exposant sur papier glacé les gens beaux et friendly qui écoutaient de l'acid-house il y a 20 ans, le happy hardcore semble être toujours synonyme de pochons de kétamine par lots de 200 et de condamnations pour vol de chiens à poil ras. Alors que les journalistes glorifient la rave comme un « moment dans l’histoire », le happy hardcore résiste plus que jamais à l’enthousiasme académique. Il est vrai que, comme je le rappelais plus haut, ce moment dans l’histoire ressemblait plus à ça : « OOSH-AH OOSH-AH-AH OOSH » sur des paroles rappelant à l’auditeur la nécessité de « voler plus haut dans le ciel ».

Publicité

Pour ma part, j'ai développé un amour véritable pour le happy hardcore – sans vraiment m’investir trop non plus – depuis un certain temps. Et quand le photographe et cinéaste Ewen Spencer m'a envoyé les images qu'il avait prises lors d'une nuit de happy hardcore à Tottenham quelque part dans les années 1990, je me suis demandé s’il n’était pas temps de réévaluer pour de vrai le happy hardcore.

Et quoi de mieux pour commencer que la musique elle-même ? Ce son doux, inconscient et profondément ridicule.

Il suffit d'écouter ce premier échantillon. C'est indéniablement lourd. Vous n'avez pas à l'aimer, et ça n’a sans doute pas de valeur musicale proprement dite, mais vous ne pouvez pas nier que c'est lourd. Ces coups de piano scintillants, ondulants – avec la bonne combinaison de drogues et de scénario festif – donnent envie aux gens de s’étirer et de toucher les notes elles-mêmes, comme si chacune d’elles était une main tendue venant du Ciel, de Dieu en Personne.

Les circuits saturés, les coups de tambours d’un navire d’esclaves, les chants paneuropéens extatiques, les paroles suprêmement débiles, la corne de brume qui semble avoir été enregistrée depuis un embouteillage porte de Clichy – c'est tout simplement de la musique superbe, ridicule, grandiose. C'est une musique qui n’en a rien à foutre de ce que vous pensez, une musique qui se met torse nu après trois verres d’Absolut, qui embrasse les demoiselles d'honneur et tient à se battre avec les videurs.

Publicité

Si Juan Atkins est le Fritz Lang de la musique électronique, alors DJ Hixxy est son Michael Bay ; si Theo Parrish est son Jérôme Bosch, Darren Styles est son John Martin. C’est naïf et immense à la fois, et ça ne vous aidera surtout pas à mieux faire vos devoirs.

Plus que tout, c'est romantique, et ça englobe parfaitement ces moments que l’on se remémore avec nostalgie en se disant « Putain, j’étais complètement irresponsable à cette époque ». Toutes les paroles parlent d'engouement et d’euphorie. C'est le son des premiers baisers, des premières pilules, de la première baise sous la pluie : de la musique naïve à destination des crapules.

D’accord, la musique électronique déprimante a elle aussi toujours existé et c’est très bien comme ça. Mais peut-être qu’à une époque où même les rappeurs n’arrivent pas à la fin de leur carrière sans avoir une crise existentielle, on devrait laisser le happy hardcore reprendre la place qui lui revient. On devrait peut-être avoir un peu moins de tolérance pour la musique qui ne s’aime pas et plus de temps pour la musique qui aime l’energy drink.

La vérité, c’est qu’on n’est pas si intelligent que le prétendent Four Tet et Autechre, et pas aussi averti sexuellement que le sous-entend The-Dream. Parfois on est juste des gens heureux d’être rassemblés dans une même pièce avec d’autres personnes. Parfois on veut juste rouler à fond la caisse sur les petites rues du centre-ville à sept dans une Punto – les ruelles étant une métaphore pour un certain état d’esprit et la Punto pour un pochon de drogues en gélules.

Publicité

L'époque dans laquelle on vit est dominée par l’art de l’analyse et de la subtilité, et ces deux concepts sont étrangers à la communauté happy hardcore. Les producteurs et DJs HH n’ont jamais compris l'intérêt de « bâtir une ambiance ». Je ne suis jamais allé à une soirée happy hardcore – je sais, je devrais et j’irai, dès que j'aurais repéré un bon bar clandestin à Portsmouth – mais j'imagine que c'est un peu comme se gargariser d'une lourde prise d’ecstasy puis s’assoir au premier rang d’un combat de catch.

Les photos d’Ewen capturent avec brio un monde que l’on a appris à ridiculiser au tournant du XXIe siècle. Même dans notre univers post-survêt d’aujourd’hui, je pense que les gens se sentent toujours un peu mal à l'aise par rapport à l'esthétique visuelle du happy hardcore. La marque Kappa, les accessoires Burburry, les Reebok Classic et les puissantes ondes de jouissance animale qui transforment les franges des participants en tarentules molles accrochées à leurs fronts suants. C'est un look que nous adorons et abhorrons à la fois. C’est l’Angleterre de la fin du XXe siècle.

Et ces gens ont l’air sérieusement cool quand ils s’amusent, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce style regagne en popularité aujourd’hui. Les teuffeurs de ces photos semblent être sortis d'un magazine de mode semestriel basé à Peckham : marques de sport britanniques aujourd'hui disparues, bagues volumineuses, joggings Umbro et boucles d’oreilles 56 carats. La scène happy hardcore est peut-être l'une des représentations les plus « honnêtes » de l’accoutrement que les stars d’aujourd’hui – de Rihanna à King Krule en passant par Palace – se sont appropriées.

Publicité

Je suis conscient que désormais pas mal de gens vont se considérer comme de purs inconditionnels du happy hardcore, et si tel est votre cas, je vous en félicite. Et pourtant, il n'y a pas de reprise du genre, aucune adaptation sur grand écran, pas de livre, pas de clin d’œil voyant sur le nouvel album de Kanye. On ne fera pas de sitôt une rétrospective sur la carrière de Scott Brown non plus. Mais sérieux, je ne vois pas ce qui pourrait repousser les gens. Avec son ancrage dans les années 1990, son cheapness intégral et son manque général de qualité, on pourrait considérer le happy hardcore comme du Monster en musique. Et, jusqu’à preuve du contraire, beaucoup de gens aiment le Monster.

Avec notre obsession actuelle pour le réinvestissement de la culture rave, le happy hardcore mériterait une deuxième chance ; après tout, chaque autre style de musique (à part le buttrock goa, à juste titre) en a eu une. C'est injuste que le happy hardcore soit considéré comme le rigor mortis de la rave, une dance music pour débiles qui se sont progressivement enterrés dans leur propre trou en forme de pill. Quand la réalité est aussi sombre que la nôtre, pourquoi ne devrait-on pas nous réunir dans une pièce et transpirer nos problèmes en écoutant l'équivalent musical d'un néon arc en ciel dont l’explosion durerait cinq heures, au ralenti.

Il est grand temps de donner de l’amour à cet enfant malade de la dance music. Il est grand temps de donner au happy hardcore une seconde chance.

Plus de stories sur la dance music et son histoire :

LES COMMENTAIRES YOUTUBE DES CLASSIQUES RAVE VOUS REDONNERONT FOI EN L'HUMANITÉ

ÉCOUTER DE LA HOUSE PENDANT 66 HEURES (J'AI RÉUSSI)

BIG NIGHT OUT – LA DRUM’N’BASS