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Romain Caillet : En fait, ils sont relativement accessibles ! Aujourd'hui, de nombreux journalistes ont des contacts avec eux. Avant, il était souvent plus facile de contacter un idéologue djihadiste qu'un simple sympathisant, le premier étant avide de publicité.Puis, vers août 2013, il y a eu le djihad en Syrie. À partir de ce moment-là, il suffisait de prendre contact avec les djihadistes sur le terrain, qui étaient demandeurs. Le journaliste Jurgen Tödenhofer – parti enquêter au cœur du territoire de l'État islamique – a contacté 80 personnes identifiées comme djihadistes sur les réseaux sociaux. 15 lui ont répondu et un lui a proposé de venir sur place.
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J'en connais certains depuis des années – notamment depuis mon passage en Égypte. D'autres m'ont contacté parce qu'ils s'intéressaient à ce que j'écrivais. Ils avaient des remarques et, du coup, on a continué à discuter. Il est plus facile de parler avec les sympathisants mais, actuellement, les seuls qui me recontactent sont des responsables médias – qui se contentent de me prévenir avant la publication d'un communiqué. J'essaie de leur arracher quelques mots, mais je n'y arrive pas toujours.Quand on prend le temps de discuter avec eux, les sympathisants racontent beaucoup de choses. Actuellement, ils constituent ma meilleure source d'information. J'ai d'ailleurs appris la mort d'un djihadiste français en discutant avec un sympathisant – cet événement n'avait été annoncé nulle part.Photo via TwitterVous arrive-t-il de les rencontrer en face-à-face ?
Quand ils sont en France, j'essaie de les rencontrer physiquement afin de savoir qui ils sont vraiment. Avec un compte Twitter ou Facebook, il est toujours délicat de savoir qui est derrière.Vous êtes-vous déjà senti en danger avec eux ?
S'ils prévoient une action, ils ne vont pas me tenir au courant. Quand certains commencent un peu à se confier [sur des projets d'attentats], je leur dis tout de suite de ne pas me parler de ça. Ce qui m'intéresse, ce sont les éléments que je peux publier, que je vais pouvoir utiliser dans mes travaux.
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Ces sources ouvertes constituent mes principales informations. Par la suite, mes contacts permettent de nuancer et de préciser ces informations. Analyser une vidéo d'un groupe djihadiste apporte plusieurs éléments.Ces sources ouvertes affinent notre connaissance de l'idéologie d'un groupe et de ses relations avec d'autres groupes djihadistes – ainsi, l'État islamique n'a pas hésité à critiquer Al-Qaïda au sujet de la position « ambiguë » d'AQMI par rapport au mouvement indépendantiste dans l'Azawad, au Nord-Mali.Les vidéos permettent également de connaître la sociologie de l'organisation. Par exemple, dans les vidéos de l'État islamique au Maghreb, très peu d'Algériens apparaissent. Cela confirme le faible nombre d'Algériens dans le mouvement.Par ailleurs, je pense qu'il est toujours utile de savoir que Marine le Pen apparaît dans une vidéo d'AQMI, même si elle n'est pas désignée comme cible. Beaucoup de gens ne l'avaient pas reconnue – son visage était flouté et une voix traduisait son discours en arabe. Ces vidéos représentent une mine d'informations. On se doit de les consulter.
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Afin d'éviter cela, je ne fournis jamais de liens. Je réalise des captures d'écran, je ne mets pas en avant des scènes ultraviolentes et j'essaie de recenser les éléments informatifs. Si j'ai conscience du caractère uniquement propagandiste d'une vidéo, je ne vais pas la décrire.Dans une vidéo au sujet du Maghreb, l'État islamique a mentionné le fait que le roi du Maroc a gracié un pédophile espagnol [Daniel Galvan, ndlr]. J'étais bien obligé d'en parler, parce que cela fait partie des critiques des islamistes – cette prétendue tolérance du Maroc vis-à-vis du tourisme sexuel. Mais, afin d'équilibrer mon propos, j'ai pris soin de préciser ce qu'occultait la vidéo – le roi du Maroc est revenu sur sa grâce, provoquant la réincarcération du pédophile.J'ai un autre exemple en tête. Dans une vidéo historique, AQMI évoquait la présence française et les tortures en Algérie. Parmi les illustrations, le groupe s'était servi d'une photo d'un harki tué par le FLN. Je n'ai pas diffusé cette vidéo, mais j'ai mentionné que, parmi les atrocités mises en avant, certaines n'étaient pas le fait de l'armée française mais du FLN.Vous arrive-t-il de faire des cauchemars après avoir visionné de tels contenus ?
En fait, je me force à m'imaginer devant un film – je me dis que ce que j'observe n'est pas réel. Seules les discussions entre djihadistes me rappellent que tout ce que je vois est bien réel.Suivez Antoine sur Twitter.Romain Caillet est sur Twitter.