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Profession : spécialiste du djihad

Ce que l'on apprend de l'être humain et de la France périphérique lorsqu'on échange avec des fous de Dieu.

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Un « geek du djihadisme ». Selon Libération, c'est ainsi que le journaliste de RFI et spécialiste des mouvements djihadistes David Thomson décrit Romain Caillet. Après un master d'Histoire médiévale, ce chercheur français converti à l'islam décide de se focaliser sur les djihadistes. Il mène ses premières recherches en Égypte – pays dans lequel il apprend l'arabe et enquête sur les mouvements islamistes. En 2010, après l'obtention d'une bourse du Ministère des affaires étrangères, il s'installe au Liban. Cinq ans plus tard, au lendemain d'un déplacement au Maroc, il est refoulé de son pays d'accueil en raison, selon lui, de ses critiques dirigées contre le Hezbollah. Les services de sécurité libanais lui reprochent alors « d'être lié à des organisations terroristes ».

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Aujourd'hui, Romain Caillet travaille en dehors du monde académique. Il effectue des missions de conseil pour des « organisations internationales » et publie des billets sur un site Internet géré par un cabinet suisse d'analyse stratégique. Son travail lui vaut l'hostilité d'une partie du monde universitaire – dont il déplore, en retour, la méconnaissance du phénomène djihadiste. A contrario, des personnalités comme David Thomson ou le blogueur Jacques Raillane – un ancien de la DGSE – saluent sa connaissance du phénomène.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement de Daech, d'Al-Qaïda et d'autres mouvements salafistes armés, Romain Caillet échange avec les militants sur les réseaux sociaux, rencontre les sympathisants et visionne inlassablement la propagande. Convaincu qu'il est plus instructif de parler aux truands qu'à la police, il construit principalement ses recherches sur la base de sources djihadistes. Nous avons voulu en savoir plus sur son quotidien au contact des extrémistes musulmans.

VICE : Comment entre-t-on en contact avec des djihadistes ?
Romain Caillet : En fait, ils sont relativement accessibles ! Aujourd'hui, de nombreux journalistes ont des contacts avec eux. Avant, il était souvent plus facile de contacter un idéologue djihadiste qu'un simple sympathisant, le premier étant avide de publicité.

Puis, vers août 2013, il y a eu le djihad en Syrie. À partir de ce moment-là, il suffisait de prendre contact avec les djihadistes sur le terrain, qui étaient demandeurs. Le journaliste Jurgen Tödenhofer – parti enquêter au cœur du territoire de l'État islamique – a contacté 80 personnes identifiées comme djihadistes sur les réseaux sociaux. 15 lui ont répondu et un lui a proposé de venir sur place.

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Aujourd'hui, il est de nouveau très difficile de contacter les djihadistes en Syrie et en Irak. J'ai des échanges avec des sympathisants – en Europe ou dans les pays arabes – mais je n'ai plus aucun contact direct sur le terrain. Ils ne me répondent plus.

Comment ces sympathisants sont-ils venus à vous ?
J'en connais certains depuis des années – notamment depuis mon passage en Égypte. D'autres m'ont contacté parce qu'ils s'intéressaient à ce que j'écrivais. Ils avaient des remarques et, du coup, on a continué à discuter. Il est plus facile de parler avec les sympathisants mais, actuellement, les seuls qui me recontactent sont des responsables médias – qui se contentent de me prévenir avant la publication d'un communiqué. J'essaie de leur arracher quelques mots, mais je n'y arrive pas toujours.

Quand on prend le temps de discuter avec eux, les sympathisants racontent beaucoup de choses. Actuellement, ils constituent ma meilleure source d'information. J'ai d'ailleurs appris la mort d'un djihadiste français en discutant avec un sympathisant – cet événement n'avait été annoncé nulle part.

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Vous arrive-t-il de les rencontrer en face-à-face ?
Quand ils sont en France, j'essaie de les rencontrer physiquement afin de savoir qui ils sont vraiment. Avec un compte Twitter ou Facebook, il est toujours délicat de savoir qui est derrière.

Vous êtes-vous déjà senti en danger avec eux ?
S'ils prévoient une action, ils ne vont pas me tenir au courant. Quand certains commencent un peu à se confier [sur des projets d'attentats], je leur dis tout de suite de ne pas me parler de ça. Ce qui m'intéresse, ce sont les éléments que je peux publier, que je vais pouvoir utiliser dans mes travaux.

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Souvent, je compare mon travail à celui de Jérôme Pierrat – journaliste spécialiste du milieu parisien. J'ai beau échanger avec des voyous, ça ne m'empêche pas de parler à des chercheurs utilisant des sources policières. Cela nous permet de comparer nos analyses. Parfois j'ai raison, parfois ils ont raison.

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Pourquoi est-il utile de visionner la propagande djihadiste ?
Ces sources ouvertes constituent mes principales informations. Par la suite, mes contacts permettent de nuancer et de préciser ces informations. Analyser une vidéo d'un groupe djihadiste apporte plusieurs éléments.

Ces sources ouvertes affinent notre connaissance de l'idéologie d'un groupe et de ses relations avec d'autres groupes djihadistes – ainsi, l'État islamique n'a pas hésité à critiquer Al-Qaïda au sujet de la position « ambiguë » d'AQMI par rapport au mouvement indépendantiste dans l'Azawad, au Nord-Mali.

Les vidéos permettent également de connaître la sociologie de l'organisation. Par exemple, dans les vidéos de l'État islamique au Maghreb, très peu d'Algériens apparaissent. Cela confirme le faible nombre d'Algériens dans le mouvement.

Par ailleurs, je pense qu'il est toujours utile de savoir que Marine le Pen apparaît dans une vidéo d'AQMI, même si elle n'est pas désignée comme cible. Beaucoup de gens ne l'avaient pas reconnue – son visage était flouté et une voix traduisait son discours en arabe. Ces vidéos représentent une mine d'informations. On se doit de les consulter.

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Ne risquez-vous pas de devenir un relais de leur propagande ?
Afin d'éviter cela, je ne fournis jamais de liens. Je réalise des captures d'écran, je ne mets pas en avant des scènes ultraviolentes et j'essaie de recenser les éléments informatifs. Si j'ai conscience du caractère uniquement propagandiste d'une vidéo, je ne vais pas la décrire.

Dans une vidéo au sujet du Maghreb, l'État islamique a mentionné le fait que le roi du Maroc a gracié un pédophile espagnol [Daniel Galvan, ndlr]. J'étais bien obligé d'en parler, parce que cela fait partie des critiques des islamistes – cette prétendue tolérance du Maroc vis-à-vis du tourisme sexuel. Mais, afin d'équilibrer mon propos, j'ai pris soin de préciser ce qu'occultait la vidéo – le roi du Maroc est revenu sur sa grâce, provoquant la réincarcération du pédophile.

J'ai un autre exemple en tête. Dans une vidéo historique, AQMI évoquait la présence française et les tortures en Algérie. Parmi les illustrations, le groupe s'était servi d'une photo d'un harki tué par le FLN. Je n'ai pas diffusé cette vidéo, mais j'ai mentionné que, parmi les atrocités mises en avant, certaines n'étaient pas le fait de l'armée française mais du FLN.

Vous arrive-t-il de faire des cauchemars après avoir visionné de tels contenus ?
En fait, je me force à m'imaginer devant un film – je me dis que ce que j'observe n'est pas réel. Seules les discussions entre djihadistes me rappellent que tout ce que je vois est bien réel.

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