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Société

Les souffrances de la jeune Rama, 17 ans, lesbienne et musulmane

Dans un quartier du 77, deux jeunes filles musulmanes dissimulent leur relation au nom de la religion.

Photo via Flickr.

« Sale lesbienne de merde », « va lécher des chattes, grosse pute » et bien d'autres joyeusetés – les insultes sont devenues monnaie courante pour Rama. Selon ses dires, elle n'y prête même plus attention. Elle assume son orientation sexuelle. À 13 ans, elle était déjà très proche de ses amies tandis qu'elle ne montrait pas le moindre signe d'intérêt pour la gent masculine. C'est environ trois ans plus tard que le déclic s'est fait. Cette année-là, elle rencontre sa moitié, Aïcha. Depuis un an et demi, seules ses amies proches et sa sœur sont au courant.

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« L'homosexualité est contre-nature dans l'islam », me déclare Rama de but en blanc, tandis que l'on commence notre conversation. Lorsque certaines de ses amies ont appris qu'elle était lesbienne, elles ont immédiatement coupé les ponts. Elles la regardent désormais avec dégoût. Mais toutes ses copines n'ont pas réagi de la même manière. Quelques-unes l'ont même félicitée et bombardée de questions : « tu es vraiment musulmane ? » ; « comment a réagi ta famille ? » Rama y répond naturellement, sans la moindre gêne. Ses amies se sont ainsi retrouvées dans le secret. Toutes celles qui sont dans la confidence sont tenues d'être aussi discrètes que possible ; et pour cause : les parents de Rama ne doivent surtout pas le savoir.

Aujourd'hui, sa mère comme son père ignorent tout de l'homosexualité de leur fille. Et lorsque l'un d'eux a le malheur de parler de mariage à leur fille, Rama a toujours une bonne excuse : « je leur dis que je suis de toute façon trop jeune, me dit-elle. Ou encore : "je dois finir mes études" et des trucs tels que "je n'ai pas encore tous mes repères." » Rama, malgré ses 17 ans, sait quoi répondre lorsqu'on l'attaque. Car elle souhaite vivre sa vie amoureuse de la façon la plus dissimulée possible.

Ses parents sont d'origines tunisiennes, de Tunis. Dans sa famille, seule sa petite sœur est au courant. Ça date du jour où toutes deux se promenaient et discutaient de leur vie amoureuse – et des garçons. Âgée de 15 ans, Kenza lui a alors demandé quel était son type d'hommes. Rama lui a décrit l'homme idéal qu'elle recherchait. Pour ce faire, elle avait fait l'ébauche d'un portrait standard, sans grande conviction. Elle semblait distraite. Son attention était focalisée sur les filles qui passaient à leurs côtés, et sa sœur l'a remarqué. Quand elles sont rentrées à la maison, sa sœur a commencé à jouer les entremetteuses. Elle lui a proposé de faire la connaissance d'un garçon ; elle lui a même promis de lui donner son numéro de téléphone. Mais Rama refusait en bloc. Là, elle s'est sentie obligée d'ajouter quelque chose. Et elle lui a avoué.

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Sa sœur est tombée des nues. Immédiatement, elle s'est inquiétée pour elle, ayant peur des répercussions qu'une telle annonce pourrait avoir au sein de leur famille, et dans le quartier. Toutes deux habitent un quartier populaire de la banlieue parisienne, en Seine-et-Marne. Rama a, en réponse, tenté de la rassurer, quitte à lui mentir ouvertement juste pour la calmer.

« Qui sait, mon homosexualité est peut-être temporaire, lui a-t-elle dit. Un jour, je changerai encore d'orientation sexuelle. Je redeviendrai hétérosexuelle. » Sa sœur l'a accepté. Depuis, elle se révèle d'ailleurs être une alliée de taille, toujours prête à la couvrir et à lui trouver des alibis pour justifier ses absences.

Avant Aïcha, Rama n'était jamais sortie avec quelqu'un, fille comme garçon. « Les histoires d'amour ne m'intéressaient pas », m'assure-t-elle. Mais depuis leur rencontre, Aïcha a bouleversé son existence. Elles fréquentaient le même lycée, près du quartier du 77 où Rama réside. Selon ses dires, il a suffi d'un regard pour qu'elles tombent amoureuses l'une de l'autre. Aïcha aussi est musulmane. Leur première rencontre reste gravée dans la mémoire de Rama. Ce jour-là, elle était en train de se chamailler avec l'une de ses amies, « pour rigoler ». Par inadvertance, elle a cogné l'une des amies d'Aïcha. Lorsqu'elle s'est retournée pour s'excuser, c'est là qu'elle l'a vue. La beauté d'Aïcha l'a chamboulée.

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« Salut », lui a dit Rama, son regard accroché au sien. Cette histoire d'amour a débuté comme des milliers d'autres. Mais il s'agit de celle d'Aïcha et de Rama.

D'abord amies, leur affection partagée s'est peu à peu transformée en véritable liaison amoureuse. Les deux adolescentes ont dans un premier temps appris à se connaître. « On se parlait tout le temps, puis on a décidé de se retrouver en dehors du lycée », me dit Rama. Un jour, elles ont dû improviser un nouveau point de ralliement à cause du mauvais temps. Le ciel était gris et lourd comme souvent à Paris ; il n'arrêtait pas de pleuvoir. Elles se sont toutes les deux réfugiées sous un abribus du quartier.

Là, Rama a réalisé que le simple fait d'être avec Aïcha la rendait heureuse. Aïcha elle, semblait gênée. Mais une semaine plus tard, elles échangeaient leur premier baiser. « C'était si doux », se souvient Rama.

Lentement mais sûrement, une ombre plus profonde finit parobscurcir ce tableau enchanteur : l'attachement d'Aïcha à la religion. Au fur et à mesure de leur relation, Aïcha dévoile peu à peu sa honte d'être lesbienne.

En amour, on dit souvent que les opposés s'attirent. Chez Rama et Aïcha, c'est aussi le cas. L'une, c'est le jour et l'autre, la nuit. Elles se complètent. « Dès le début, notre couple a été fusionnel », me dit Rama. Elles s'aiment, c'est un fait. Mais elles ne s'exposent pas publiquement pour autant. Là, leur homosexualité n'y est pour rien. Aïcha et Rama se moquent des gens qui se roulent des patins au tout-venant dans la rue, et elles refusent de s'abaisser à faire la même chose. S'afficher devant tout le monde, très peu pour elles.

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Dans leur quartier, l'homosexualité ne fait pas l'unanimité. Néanmoins d'après Rama, on ne peut pas dire qu'une « réelle homophobie y règne ». Rama a déjà surpris des débats à ce sujet, et n'y a jamais pris part ouvertement. Certains sont pour, d'autres contre. Ceux qui n'y sont pas favorables, ne sont pas forcément musulmans, des athées l'étaient aussi. Plusieurs autres habitants, en revanche, répètent à qui veut l'entendre : « les gens font ce qu'ils veulent ».

L'homosexualité de Rama ne se remarque pas. Rama est une fille comme tant d'autres. Si ses parents venaient à l'apprendre, ils seraient « très déçus d'elle ». Elle est persuadée qu'ils essaieraient de la « ramener sur le droit chemin, vers l'islam ». Ils l'obligeront à parler à un imam et lui présenteront des hommes pour qu'elle se marie. Néanmoins, malgré le stress d'être découverte par ses parents, elle parle librement de son homosexualité. Parfois, elle ne s'en rend même pas compte. Lorsque le père d'une de ses amies lui a demandé si elle était en couple, elle lui a tout avoué. Aïcha, en revanche, est très réservée. Seules ses meilleures amies sont dans la confidence. À part elles, tout le monde pense qu'elle est hétérosexuelle.

Lentement mais sûrement, une ombre plus profonde finit parobscurcir ce tableau enchanteur : l'attachement d'Aïcha à la religion. Au fur et à mesure de leur relation, Aïcha dévoile peu à peu sa honte d'être lesbienne. Elle a l'impression de « faire des infidélités à l'islam ».

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« J'en souffrais, me dit Rama. Je voulais être sa fierté comme Aïcha était la mienne. Quand je la voyais triste, je souhaitais qu'elle aime à nouveau les hommes afin qu'elle soit en paix », me raconte Rama, émue aux larmes. Tout au long de leur relation, Rama a toujours tenté de la rassurer. « Ce n'est pas grave d'être une lesbienne musulmane. Tu es comme ça. Et quand on sera plus âgées, tout ira mieux », lui répétait-elle.

Mais Aïcha est très pratiquante. Elle va prier tous les jours. Sa famille est très respectée dans le quartier, et connaît plusieurs imams. Aïcha est promise à un bel avenir. Sa mère en a parlé, un jour, avec Aïcha. Elle est impatiente de voir sa fille mariée et de devenir grand-mère. « Après cette discussion,Aïcha a couru dans sa chambre et s'est effondrée », se rappelle Rama. Aïcha, 16 ans tout juste, a beaucoup de pression sur les épaules.

Les parents de Rama, en revanche, sont peu pratiquants. Ils vont rarement prier à la mosquée malgré leur très grande foi en Allah. Ils expriment leur amour vis-à-vis de leur religion tous les jours, en aidant leur prochain et en respectant les règles de vie du Coran. Quelques-unes de ces règles sont honorées « plus ou moins » par Rama : respecter les autres, ne jamais insulter ou encore donner à une personne dans le besoin. Aujourd'hui, elle est encore à la recherche d'elle-même. Elle désire avoir une vie pimentée et imprévisible que l'islam n'est pas en mesure de lui donner, selon ses dires. Elle reste toutefois attachée à sa religion, croit en Allah. Mais elle ne s'y épanouit plus. Elle ne se revendique pas laïque – même si elle reconnaît l'être, au fond. Devant ses parents, Rama se doit de préserver son image de musulmane modèle. Elle remercie Dieu et parle de « l'importance de la religion » en leur présence.

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Quant à Aïcha, quoique tiraillée entre sa famille et son amour interdit, elle continue à voir sa chère et tendre. « Parfois, on se retrouvait chez moi. Mais je préférais la voir à l'extérieur. Elle se lâchait plus, laissait libre cours à ses sentiments », m'explique Rama. Ces petits moments qu'elles partageaient ensemble renforçaient leur amour. C'était des câlins qui duraient une quinzaine de minutes, sans un regard ou une parole. Cela suffisait à les combler.

Mais Aïcha s'est fait rattraper par ses vieux démons. Malgré son amour évident pour Rama, être lesbienne la faisait toujours autant culpabiliser. Ses perpétuelles remises en question ont d'ailleurs causé nombre de disputes au sein du couple. Rama tolérait de moins en moins d'être son objet défendu.

Car de son côté, lorsque Rama imaginait son futur, Aïcha y tenait toujours une place de premier ordre. Aïcha elle, n'arrivait pas à abandonner son rêve d'enfant, c'est-à-dire avoir un mari, des enfants et une maison. Évidemment, Rama n'avait plus sa place dans cette vie-là.

Pour Rama, Aïcha était son âme sœur : son seul et unique amour. Elle souhaitait aller plus loin. Car sa petite amie a toujours refusé de faire l'amour avec elle, sous prétexte qu'elle ne pourrait jamais se marier si elle s'y autorisait. « Je ne dirais pas que je voulais "satisfaire mes envies". J'avais juste envie qu'elle me prouve ses sentiments. Et à mes yeux, c'est la plus belle preuve d'amour », me confie Rama. Ensemble, elles ont été jusqu'au cunnilingus.

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De son côté,Aïcha la blâmait pour son désintérêt vis-à-vis de la religion. Contrairement à elle, Rama ne priait pas tous les jours. Elle osait même faire des remarques, des blagues parfois, sur « son Dieu ». « Allah, je le prends au corps-à-corps », lui disait Rama pour rire. Sans surprise, de tels propos n'amusaient pas Aïcha. En réponse, elle l'engueulait.

Afin de préserver son couple, Rama a essayé de changer. « J'ai voulu faire des efforts », me dit-elle. Mais au bout d'un moment, de guerre lasse, elle s'est arrêtée. « Si elle m'aime vraiment, elle m'acceptera avec mes défauts », se justifie-t-elle, revancharde.

Car leurs différences ont fini par séparer Rama et Aïcha. Il y a un mois, Rama reçoit un message sur son téléphone portable. Celui-ci lui annonce qu'Aïcha tient à mettre un terme à leur relation d'un an et demi. Rama est sous le choc – elle pensait que son couple allait survivre à toutes les épreuves. « Elle n'arrivait plus à supporter nos disputes et mon irrespect envers l'islam », se remémore-t-elle. Une semaine après, elles se sont revues. « C'est fini », lui a dit à nouveau Aïcha. Puis elle lui a donné un baiser d'adieu.

Depuis lors, Rama n'arrête pas de penser à elle. Elle n'imagine pas sa vie sans Aïcha. Elle me dit que toutes les filles avec lesquelles elle essaie de se projeter dans un futur plus ou moins proche, lui ressemblent. Il y a un mois encore, Rama pensait épouser Aïcha et finir sa vie avec elle. Aujourd'hui, elle est réduite à suivre son ex-moitié par réseaux sociaux interposés et à lui envoyer de temps en temps un message, « pour avoir de ses nouvelles ».

Parfois, Aïcha ne prend même plus la peine de lui répondre.

*Rama est le véritable prénom de notre interlocutrice.

Jessica est sur Twitter.