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Société

Rencontre avec un prêtre wiccan français

En France, on estime à 5000 le nombre d'adeptes de ce mouvement religieux néo-païen et tous ont l'air de s'être échappés d'un concert de Grateful Dead.

Xavier au ​Festival des Déesses.. Photo publiée avec l'aimable autorisation du ​Cercle Sequana

​J'ai rencontré Xavier dans un café de Saint-Germain-des-Prés. Cheveux longs mais dégarnis sur le haut du crâne, lunettes en demi-lune, pentacle au cou, gilet de soie décoré d'arabesques – il m'était difficile de rater ce wiccan de 50 ans. Autour de lui étaient assis d'autres de ses coreligionnaires, qui ont préféré rester anonymes. Tous se sont rencontrés sur Internet et profitent de l'enthousiasme de Xavier pour se rencontrer régulièrement. Car la Wicca est une des religion les plus paradoxales de notre époque : elle est hermétique et refuse le prosélytisme, tout en prônant une liberté et une tolérance exacerbées.

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La Wicca a été fondée en Grande-Bretagne par G​e​rald Gardner dans les années 1940, seulement quelques années avant l'abrogation du Witchcraft ​Act en 1951. Gardner disait avoir été initié aux arcanes de la magie par des descendantes de sorcières. Il a souhaité faire revivre cette tradition en refondant des ​covens wiccan, sorte de confrérie initiatique. Ce fut le début de ce mouvement qui se réclame du néo-paganisme. Chaque fidèle peut choisir les dieux ou les panthéons avec qu'il ressent le plus d'affinités.

Aujourd'hui, il existe des dizaines de mouvances wiccans dans le monde entier. Aux États-Unis, une étude ​réalisée en 2001 estime à 134 000 le nombre d'adeptes. Une étude plus récente de 2008, considérait qu'il y avait ​1,2 millions de pratiquants influencés directement ou indirectement par la Wicca et le New Age. En France, ce phénomène touche encore très peu de monde ; Xavier estime à 5 000 le nombre de français se réclamant de cette obédience. Ils préfèrent rester discrets, lassés d'une comparaison avec le satanisme et la magie noire.

Xavier est prêtre wiccan ; il a déjà célébré des mariages et anime différents forums liés à la Ligue Wic​can Eclectique, mouvement qui se différencie des autres covens plus traditionnels, où l'initiation est obligatoire et le secret, de mise. Nous avons parlé de sorcellerie, de tolérance et des grandes réponses que la Wicca peut apporter à l'humanité.

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Un autel réalisé lors d'un sabbath. Les deux bougies représentent la Déesse et le Dieu.

VICE : Pourquoi es-tu devenu wiccan ?
​Xavier : Depuis que je suis enfant, je me sentais attiré par la lune. Je sortais souvent les nuits en forêt et créais mes propres rituels. Je suis issu d'une famille catholique très conservatrice. Cette éducation m'étouffait : l'école privée comme seule perspective et les scouts d'Europe comme seuls loisirs. Pendant très longtemps, ma vie spirituelle relevait en quelque sorte de la schizophrénie. D'un côté, j'étais un athée militant – dans le même temps, j'allais vénérer des déesses lunaires. Tout cela était très incohérent.

En 2008, j'ai découvert la Wicca Éclectique sur internet. En comprenant qu'il existait une véritable communauté structurée de néo-païens, j'ai décidé d'assumer mes aspirations et de devenir à païen à part entière.

Considères-tu la Wicca comme une religion ?
​Oui, la Wicca est un culte sérieux, mais qui n'est ni grave, ni austère. On n'y trouve pas cet aspect compassé qui détermine toutes les grandes religions mainstream. En général, on associe la religion aux interdits moraux, au dogmatisme. Pour la Wicca, il n'existe qu'une seule règle : « Fais ce que tu veux sans léser personne. »

La Wicca laisse la place à la l'instinct, à la créativité, à la liberté en quelque sorte. Elle correspond en ceci à mon éthique personnelle. Je n'aimais pas les dogmes des religions dominantes, la haine qu'elle comporte : l'homophobie, le sexisme, le patriarcat… Pourquoi les femmes n'ont-elles pas le droit ​de dire la messe ? Dans la Wicca, de nombreuses femmes ont été élevées au rang de Grande Prêtresse.

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Xavier et la ​Dame de Brassempouy. Photo : Hubert Mondon

En tant que païen, as-tu un panthéon préféré ? Quelles divinités vénères-tu ?
​Mon père, voulant m'initier à la culture antique, me lisait souvent Homère. Ce n'est donc pas par hasard que je me suis tourné vers le panthéon grec. Et puisque j'ai cette relation un peu spéciale avec la lune, c'est tout naturellement que j'honore les trois divinités lunaires de l'Olympe : H​écate, Arté​mis et Sélén​ée. Hécate correspond à la nouvelle lune, la lune noire, la mort ; Artémis aux étapes intermédiaires, les premier et quatrième croissants et Sélénée la pleine lune, la vie. Elles symbolisent ainsi le cycle de l'existence. Mais chaque wiccan adopte le panthéon qu'il souhaite, ou plusieurs si ça lui chante.

La Wicca est donc une religion particulièrement tolérante.
​Je dirais que tout polythéisme est par essence tolérant. Quand on vénère une centaine de dieux, un de plus ou de moins ne change pas grand-chose. Quand les Grecs rencontraient d'autres civilisations, ils adoptaient leurs divinités. La déesse égyptienne Isis avait un temple à Athènes. Plus ils avaient de Dieux pour protéger la cité, mieux elle se portait. Le germe de l'intolérance est né dans les religions du Livre, qui proclament « Tu n'auras pas d'autres Dieux devant moi ».

Je vénère aussi d'autres panthéons. Lorsque je veux me purifier par exemple, j'invoque le Dieu cornu, Cernu​nnos.

La Wicca a parfois été associée à une secte, comme la Wicca International Witchcraft de ​Jacques Coutela. Crains-tu que certaines pratiques puissent être considérées comme des dérives sectaires ?
​Regarde la doctrine d'​Alesteir Crowley : pour certains wiccans lucifériens, leurs limites éthiques s'arrêtent à la volonté du pratiquant. Il n'existe pas d'autorité centrale pour la Wicca, pas de pape ou d'autre organisation hiérarchique. Donc, si une secte se réclame de la Wicca, personne ne peut s'y opposer.

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En ce qui nous concerne, nous sommes très loin de toutes dérives sectaires. Nous n'avons pas de gourou, nous ne demandons pas d'argent, il ne faut pas coucher avec quelqu'un pour être initié… Le fait de pouvoir pratiquer notre religion sans règles strictes constitue un véritable antidotes aux dérives sectaires. Sur le forum de la Ligue Wiccan Eclectique, nous modérons les propos qui proclament une vérité absolue. Dès qu'on sent que quelqu'un devient autoritaire, on intervient.

Autel réalisé pour le sabbath de Samain, Halloween pour le grand public.

Comment se déroule un rituel wiccan ?
​L'imagination et la créativité réclamées par la Wicca éclectique m'ont tout de suite attiré. On invente ses propres prières et ses propres sorts. Mais certaines constances se retrouvent chez tous les pratiquants. Nous commençons par tracer un cercle, en suivant la rotation du soleil. Le cercle est une sorte d'église transportable, que nous pouvons déployer où et quand nous voulons. Personnellement, je pars toujours du nord. Tout dépend de votre instinct et des résultats obtenus.

Puis j'invite les « directions » à me rejoindre dans le cercle. Au nord, le gardien de la terre, à l'est, celui de l'air, au sud, celui du feu, à l'ouest celui de l'eau. Après cette introduction, nous appelons les divinités et nous faisons un sacrifice. En général, nous l'offrons sous forme de libation : du vin, du cidre, des jus de fruits, etc. Le choix de la libation dépend des divinités. Après, selon le nombre de participants et les envies de chacun, d'autres pratiques peuvent se greffer au rituel : des ex-v​oto pour remercier une divinité qui agit en notre faveur, des lectures de poésie, de la sorcellerie.

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Tu dis pratiquer la sorcellerie. Tu peux m'en dire plus ?
​Je pratiquais la sorcellerie avant d'être wiccan. J'inventais des sorts, influencés par certaines lectures. Selon moi, la sorcellerie réside dans l'interaction entre deux mondes : le monde scientifique et le monde des divinités.

Pour réussir un sort, il faut être convaincu de son efficacité et de sa réalité. Je n'use pas de magie pour réaliser des phénomènes invraisemblables. N'importe quelle circonstances de la vie courante peut en revanche être influencée par la sorcellerie. [Il se lève et va prendre une baguette sur son autel] Pour jeter un sort, il faut accumuler de l'énergie, de la mana. La baguette va servir à projeter ce que j'appelle l'intention. La baguette souligne ainsi la projection de ma volonté.

Prends-tu des drogues lors des rituels ?
​Jamais dans un cadre spirituel. Nous manipulons des forces qui agissent véritablement. Nous faisons de la sorcellerie et il faut donc rester maître de ses actions. Dans la tradition gardnérienne, on recommande certaines pratiques pour accéder à la transe : des chants et des dans répétitives, la sexualité, des coups de fouets… Certains prennent des psychotropes pour l'atteindre. Mais prendre des substances qui sont utilisées depuis des millénaires par d'autres civilisations, sans comprendre leurs traditions et sans chaman, je ne suis pas sûr que cela ait un intérêt spirituel. Parfois, un petit pétard ou un peu de vin peut aider. Mais il faut rester maître de ses moyens.

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Gerald Gardner, fondateur de la Wicca. Photo ​via​

Te sens-tu héritier d'une tradition ?
​En un sens, oui. La Wicca a été fondée par Gardner ; il disait avoir été initié par un coven de sorcières, héritières d'une tradition millénaire. Est-ce vrai ? Je ne sais rien. Mais une filiation existe. Toutes les religions s'inspirent des précédentes. On retrouve l'épisode du Déluge dans l'épopée de Gilgamesh, datant de -2600 av JC ou dans la mythologie grecque. Ils sont très similaires au récit biblique.

Je me souviens d'une sortie que nous avions faite avec le Cerc​le Sé​quana, près de Magny-en-Vexin. On y trouve un mégalithe sur lequel est sculptée une déesse en collier. Nous avons prié cette divinité oubliée depuis des millénaires avec des gestes qui pouvaient être ceux de nos ancêtres. Qu'il y a-t-il de plus naturel de se regrouper en cercle ? Il est aussi possible que les premières civilisations avaient conscience des points cardinaux : il suffit juste d'observer le soleil.

Et au final, as-tu trouvé des réponses aux grandes questions de l'existence ?
​Je crois en la réincarnation. Lors d'un rituel de purification, j'ai invoqué Cernunnos. Je l'ai entendu me répondre. Il m'a dit qu'il allait me purifier, mais juste avant de me réincarner. Mais je ne crois pas à l'idée de karma et à la culpabilité qu'elle sous-entend. La possibilité d'une justice post-mortem me paraît bien trop infantilisante. Les païens ne se mettent pas à genoux devant leurs dieux. Je ne veux pas être humilié par une divinité ; notre relation n'est pas d'égal à égal, bien sûr. Il s'agit plutôt d'un contrat passé entre le divin et les hommes. La Wicca ne rabaisse pas l'humain, mais l'élève.

Merci Xavier.