La République libre du Saugeais n’est toujours pas indépendante – et elle le vit plutôt bien

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La République libre du Saugeais n’est toujours pas indépendante – et elle le vit plutôt bien

J'ai discuté avec Louis Perrey, le secrétaire général de cette micronation de Franche-Comté qui n'est reconnue par personne.

La Présidente de la République du Saugeais, Georgette Bertin-Pourchet, accompagnée des deux douaniers républicains. Photos publiées avec l'aimable autorisation de Louis Perrey

Le Saugeais est une micronation de 128 km2 située dans le Haut-Doubs. Si son autoproclamation s'est faite en 1947, elle n'est toujours pas reconnue internationalement. Et en se penchant sur son histoire, on comprend vite que celle-ci est assez unique. Contrairement à d'autres entités similaires, les Saugets ne sont ni des anarchistes, ni des libertariens, ni des types en costume ecclésiastique.

Bien qu'il existe un héritage culturel remontant au 12ème siècle sur ce territoire, la République ne s'est fondée qu'à la suite d'une vanne entre le préfet de la région et le futur président. Par ailleurs, l'office de tourisme vante un hymne en patois « rempli d'humour et d'ironie ». Aussi, ils ont élu une femme présidente dès 1972 – à l'applaudimètre. Au fil de mes recherches, je commençais à craindre d'être tombé sur une énième bande de comiques décidés à fonder une micronation ironique. Heureusement, la réalité est toute autre : malgré cet aspect « folklorique », les Saugets sont plutôt des personnes âgées — la Présidente a 80 ans —, attachées au patrimoine local et à leur identité, qui ont simplement profité d'une boutade pour institutionnaliser une communauté ancienne.

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J'ai donc passé un coup de fil à leur secrétaire général, Louis Perrey, histoire d'en savoir un peu plus. Avant l'interview, je ne savais pas dans quelle mesure les Saugets se prenaient au sérieux. Alors que je pensais réveiller la fibre nationaliste de mon interlocuteur et m'exposer à une diatribe sur le droit à l'autodétermination des peuples, j'ai vite compris qu'eux-mêmes ne se faisaient pas trop d'illusions : ça leur sert juste à ramener quelques touristes. Ainsi, vous pouvez penser que les Saugets ont créé leur micronation uniquement pour attirer l'attention des vacanciers sur leur ville où personne ne va. Et c'est peut-être vrai, après tout. Toujours est-il que M. Perrey a gentiment répondu à mes questions, et qu'il se moque probablement de ce genre d'allégations.

Louis Perrey (deuxième en partant de la gauche), la Présidente et ses deux douaniers. Photo via

Bonjour Louis Perrey, pouvez-vous me présenter votre rôle de secrétaire général ?
Louis Perrey : Je suis tout de suite après Madame la Présidente. Je reçois surtout par internet, je coordonne les journalistes ou autres qui veulent des rendez vous, je prépare les douanes avec la délivrance de laissez-passer et j'explique l'historique du Saugeais aux [visiteurs].

On a notre grande fête nationale, la journée des citoyens d'honneurs du Saugeais, avec 500 à 600 convives. Durant le repas, la Présidente intronise des citoyens d'honneurs avec une remise de médaille et de diplôme avec discours. Tout est bénévole. Chaque début d'année, il y a aussi les vœux de la présidente, donc je fais le compte rendu de l'année écoulée.

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Il peut y avoir d'autres manifestations. Souvent, il y a l'armée qui vient faire des prises d'armes, donc il faut les recevoir, comme tous ceux qui vont visiter. Après, il faut répondre aux courriers, aux gens qui demandent des renseignements sur la République et son histoire. Quelles fonctions assure la République du Saugeais ?
Le Saugeais en lui-même existe depuis le Moyen-Âge, c'est indéniable, historiquement et géographiquement. La République existe depuis 1947. D'ailleurs, c'est parti sur une boutade, donc on fait « comme si ». Il y a eu M. Georges Pourchet, son épouse Mme Gabrielle Pourchet, puis maintenant c'est sa fille qui est Présidente. Ils sont élus à vie, et on essaye de pérenniser cette tradition, quoi. Ça fait connaître le Saugeais, mais aussi le reste du département.

En dehors de l'aspect folklorique, ça crée aussi du tourisme.
Oui, voilà, parce qu'il y a des spécialités locales : les viandes fumées, les salaisons, les fromageries, etc… Il y a beaucoup de tourisme qui passe par là.

Qu'est ce que vous faites en tant qu'État ? Vous avez eu des timbres, non ?
On a eu un timbre pour le 40ème anniversaire de la République. Après, on a dit On va peut-être faire une monnaie ! On avait tout, il n'y avait plus que les signatures à remplir. Mais bon, comme les Français ne l'ont pas tellement entendu de cette oreille… On n'a fait qu'un billet commémoratif.

D'accord. Et vous aimeriez obtenir une indépendance réelle ?
Oh non, je ne pense pas, ce serait dur. On est en relation avec toutes ces communes libres ou Républiques, même à l'étranger, comme au Frioul par exemple. Les micro-États, aussi. Si c'était facile, on le ferait, mais bon, il faut vivre. Parce qu'on paie nos impôts en France, bien sûr.

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Je vois. Et vu que légalement, vous n'êtes pas un État, ça change quoi de vivre sur votre territoire ?
On est fier d'être Saugets, alors on revendique ça par rapport à tous ceux qu'on voit, les Français, quoi. On dit qu'on est en République, enfin, c'est le folklore. On sait que vu que tout est parti de l'abbaye de Montbenoît, c'est touristique, ca ramène pas mal de monde, alors on en profite pour parler du Saugeais, de son historique, etc… On a notre drapeau, les blasons…

Et vous m'avez parlé de l'histoire du Saugeais. Donc il existe une identité saugète ?
Ah oui, oui, oui ! Déjà on a notre hymne national qui date de 1910, avec des paroles en sauget. Depuis le Moyen-âge, le Saugeais était reconnu par une bulle pontificale de 1199. Le pape Innocent III reconnaissait les dépendances des moines, qui avaient fait venir des colons pour défricher la région. Ils venaient principalement de Savoie, donc il y a eu un dialecte, encore parlé par certains anciens. Mais il se différencie des dialectes d'alentour si bien que c'est plus une langue d'oc que d'oïl parce que les colons venaient du sud.

Il y a un [droit] coutumier du Saugeais qui date de 1458. C'étaient les moines par exemple qui fixaient la dot pour le mariage des filles ; et quand quelqu'un bâtissait dans un hameau, tout le monde devait l'aider. Il y a certaines lois qui ont perduré longtemps, jusque début 20 ème. Ça montre l'originalité et l'identité spécifique du Saugeais par rapport à ceux qui nous entourent.

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Il y a pas mal de légendes. C'est vrai, l'histoire avec le préfet ? C'est un peu votre mythe fondateur, en fait.
Voilà. En avril 1947, il y avait un restaurant assez renommé vers l'abbaye, tenu par M. et Mme Georges Pourchet. Il y avait un grand banquet qui réunissait tous les élus du coin, avec la présence de Louis Ottaviani, le préfet de la région. Le tenancier aimait bien plaisanter, alors il demande au préfet : « Est-ce que vous avez un laissez-passer pour entrer dans le Saugeais ? » Alors le préfet lui fait expliquer vraiment ce qu'est le Saugeais, et de rétorquer « Ça ressemble à une République ; à une République, il faut un Président, et je vous nomme Président de la République du Saugeais ! »

Hourra. C'est pas un peu romancé, quand même ?
Ah non, non ! Ensuite, M. Pourchet décède en 1968. Sa veuve a été élue à l'applaudimètre Présidente de la République lors d'une kermesse avec tous ses concitoyens. C'était en 1972 et elle fut Présidente jusqu'en 2005, à l'âge de 99 ans.

Après, on a fait une Constitution, parce qu'on ne voulait pas toujours élire sur une boutade ou à l'applaudimètre. Donc, il y a eu 30 grands électeurs qui ont été cooptés au prorata du nombre des habitants des 11 communes, et ils ont élu en janvier 2006 la nouvelle Présidente, Mme Georgette Bertin-Pourchet. Elle a son écharpe aux couleurs du Sauget… Bon alors, c'est inaugurations, réceptions, invitations, etc… Sa maman a même été reçue par Valéry Giscard d'Estaing à l'Élysée.

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Le timbre de Montbenoît et du Saugeais réalisé par l'artiste Jean Delpech

Justement, je voulais vous poser une question à ce sujet. C'était dans quel contexte, en fait ?
On avait fait pas mal de pub, c'est allé jusqu'aux services de l'État. Il y avait Edgar Faure qui était de la région et qui nous a beaucoup aidé. Il avait des appuis à Paris, il lui a fait rencontrer Giscard, raviver la flamme sous l'Arc de triomphe. [Edgar Faure] est d'ailleurs devenu le premier citoyen d'honneur, en 1975.

Comme la Présidente connaissait beaucoup de monde, et que c'était une dame, elle passait un peu en priorité. Elle pouvait se permettre de demander certaines choses pour ses sujets.

Comme quoi ?
Par exemple, les jeunes ne voulaient pas aller à l'armée trop loin, alors elle faisait une petite lettre aux généraux et ils n'allaient qu'à quelques kilomètres.

Vous avez d'autres anecdotes ?
L'histoire des laissez-passer, c'est parti quand M. Pourchet l'avait demandé à M. le préfet. Alors maintenant, on a une douane mobile. Chaque fois qu'on peut, on arrête les personnes qui passent sur les routes, les bus… Pour entrer ou sortir, il faut un laissez-passer signé par Mme la Présidente.

Il y a quelques années, il y avait une réunion de ski avec des invités. Le douanier avait ordre d'arrêter tout le monde. Il y avait un sous-préfet qui n'a pas trop aimé, alors il n'est pas venu à la réception. Ça avait fait un petit pataquès avec les services de l'État, administratifs ou autres. C'était un peu un incident diplomatique, si on veut.

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Aïe. Je me demandais, en tant que voisins, vous portez un regard particulier sur la vie politique française ?
Oh oui, avec nos voisins suisses aussi. Mais c'est toujours bon enfant, folklorique. J'imagine que votre Présidente est plus populaire que François Hollande ?
Oh bah oui bien sûr, oh là là [rires]. Surtout ces temps-ci, oui !

Officiellement, c'est une république démocratique, mais au final c'est plutôt une dynastie.
Oui, il y en a beaucoup qui nous disent ça [rires]. Mais bon, maintenant, la Présidente a 80 ans, elle n'a pas d'enfants, alors… Et puis, elle est élue à vie, on verra après. Il y aura des élections.

Le blason du Saugeais. Photo via

Sinon, j'ai lu que vous aviez douze ambassadeurs.
Ils sont nommés pendant la journée des citoyens d'honneur du Saugeais, ils ont un peu la même fonction qu'eux. Il y en a en Suisse, en Belgique, et dans les régions limitrophes.

[Les ambassadeurs et les citoyens d'honneurs] sont des personnes qui nous aident beaucoup, qui font connaître ou reconnaître le Saugeais en dehors de ses frontières. Et puis, ça nous amène des touristes, des visiteurs.

Cool. Comment devient-on citoyen d'honneur ?
Il y a beaucoup de demandes, c'est un titre honorifique, il n'y en a qu'une dizaine ou une douzaine par an. La Présidente les trie, elle les connaît.

Pour finir, dans quelle mesure c'est sérieux ? Tout part d'une plaisanterie. Et puis, vous ne cherchez même pas particulièrement à obtenir l'indépendance.
C'est indéniable que le Saugeais existe. On a notre dialecte, notre hymne nationale. Mais bon… C'est plus pour faire parler du pays, quoi.

Vous ne cherchez pas vraiment à institutionnaliser ce truc, en gros.
Oui, voilà. Mais ça existe depuis des siècles. Tout est parti de l'abbaye. C'est l'une des plus belles de Franche-Comté.

J'espère la visiter un jour. Vous souhaitez ajouter quelque chose ?
Euh… Vive le Saugeais, et vive la France !

Merci beaucoup, bonne journée M. Perrey.