FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO QUI COMPTE

Reviews

Vous pouvez rien faire contre un album qui vous fait penser au skateboard, à Dinosaur Jr. et aux vacances. C'est l'inverse de la...

MALE BONDING

LO-FI-FNK

TOTAL BABES

PERSONA LA AVE

Créé par deux cerveaux malades et un logiciel de MAO en provenance d’Albanie, l’album le plus attendu de la planète taz-rap est sorti pour faire chier tous les fans du groupe 1995 et leur apprendre la supériorité de l’argent sur l’être humain. Cet album ne défend rien mais s’inscrit sans le vouloir contre pas mal de trucs recommandés par l’homme, notamment les notions d’art, de raison, de sens et de vie. On dirait un voyage dans la guerre, et pas dans l’idée « d’aller à la guerre », mais plus dans celle de partager la peur de millions d’hommes en même temps, alors que les bâtiments alentour suppurent et explosent comme des bubons de haine. Meilleure musique d’hélicoptère en activité.

Publicité

ARTHUR JOCKENHAUER

ROOTS MANUVA

4everevoluion

Big Dada

Quand vous êtes dans une fête, assis sur l’un des bords du canapé, que vous attendez patiemment le moment où vous allez enfin pouvoir virer le truc qui passe et écouter un bon morceau, juste à l’instant où vous vous apprêtiez à effectuer une manœuvre en direction de l’ordinateur festif dont l’écran est partagé entre les fenêtres Spotify, iTunes et Dailymotion, il y a un mec qui arrive, généralement étudiant, et qui fout un morceau de Roots Manuva. On lui demande alors ce que ce c’est, ce à quoi il répond « Manuva ! » et sa sociabilité innée et communicative s’étend au reste de l’assemblée qui ne tardera pas à reprendre les meilleures vannes du

Service après-vente des émissions

. En gros Roots Manuva, c’est la bande-son des soirées qui se passent avec vous et sans vous, c’est cette zone grise où vous vous demandez si vous allumez une clope avant de partir ou si vous allez pointer la rate à tête de tortue qui vous regarde depuis cinq ans, sur Internet.

STOMY BALLSY

KHALIF DA MENACE

JUNIOR: The

Legend of 8ball

Skylife Music

Un nouveau type qui sort de nulle part quelque part dans le sud des États-Unis, et qui a l’air de ne pas du tout avoir envie de révolutionner le rap. Bravo ! Vous faites chier, vous les ambitieux. Vous avez toujours envie de repousser les limites, de franchir des trucs, de bâtir des ponts, alors que nous, les humains, on a juste envie de retrouver ce qu’on connaît, de n’apporter aucun élément de réponse et encore moins de découvrir des trucs. C’est chiant. Là par exemple, je viens de découvrir que le nouveau type en question est né en 1996 et que

Publicité

Get Rich or Die Tryin

’ est le premier album qu’il ait acheté de sa vie. J’aurais préféré ne ­jamais le savoir. Laissez-moi loin de votre Internet, de votre soif d’apprendre et de vos mots compliqués, je suis aussi bien seul à écouter Black Moon, à l’abri des jeunes et de leurs téléphones portables qui font « bip bip ».

MAÎTRE VIEUX

DJ DIAMOND

Flight Muzik

Planet Mu

Les catogans des mecs de Planet Mu ont tellement influencé la scène footwork de Chicago qu’ils ont réussi, à force de courage et d’abnégation, à faire entrer la dance music ghetto dans son ère prog. Le juke est devenu intelligent, et la manifestation de cette intelligence s’est matérialisée par des morceaux avec des beats qui tremblent ou des cut-up du mot trunk ­répété pendant quatre minutes, traités de façon à ce qu’ils deviennent des « motifs ». Je place cet album au même degré d’intelligence que le singe de Youtube qui fait semblant d’être malade ou que le stylo officiel du KGB dont l’encre s’efface toute seule.

JIMMY MORE HELL

Il suffit de se reporter au tilde triomphant ­venant sacrer de son ondulation ibérique et thaumaturge le titre de leur deuxième album pour se rendre compte que les mecs de Neon Indian mettent un remarquable point d’honneur à en faire trop en toute circonstance. Si on ajoute à ça le haussement d’épaules avunculaire avec lequel ils ont pris le parti de mal vieillir, on est bien obligé de reconnaître que ces gros fainéants sont indiscutablement nos frères.

Publicité

JEAN-PIERRE VERLAN

MODESELEKTOR

Monkeytown LP

Monkeytown Records

Alors qu’à Paris l’ambition de la plupart des trentenaires se résume souvent à figurer dans le top SayWho? des cinquante mondains qui ont lu le moins de bouquins cette semaine, à Berlin les trentenaires continuent à écouter la même musique que celle qu’ils aimaient déjà en 1997, à collaborer avec des singes et à ne jamais serrer la moindre meuf se lavant régulièrement les cheveux. Il m’apparaît de plus en plus clairement que ce n’est qu’en vertu de ce dernier point que je n’ai pas encore rejoint les rangs tazés de mes camarades tenant des discours sur Berlin, mais plus les années passent sur leurs fixies le long du canal Saint-Martin et plus je pense que le temps finira par abattre cet ultime contrefort de mes préjugés.

FÉLIX ATARI

LO-FI-FNK

The Last Summer

Columbia/Sony

APPARAT

The Devil’s Walk

Mute

Si on était un matin d’hiver ensoleillé, que je venais de recevoir une lettre d’amour manuscrite et très émouvante d’une fille avec qui ça n’avait jusqu’ici jamais marché et que je croyais encore qu’un album sorti après 2003 pouvait vraiment me faire quelque chose, je me laisserais facilement avoir par ce disque d’electronica tragico-fœtale à descendance mi-shoegaze mi-Coldplay, mais concrètement, aujourd’hui, je n’éprouve en l’écoutant qu’un sentiment diffus de mélancolie de la mélancolie, et même si comme ça, ça a l’air profond, en fait non, ça me rend très amer et très creux.

Publicité

BRANDADE & MONICA

SINT

Monitor Select

The Analogue Quadrant

J’imagine et surtout j’espère que la deuxième moitié du XXIe siècle verra naître un ordre monastique ne se consacrant qu’à reproduire à l’infini les morceaux d’electro drexciyienne et affiliée, ainsi qu’un autre ordre ne s’intéressant qu’à refaire à l’infini les tracks acid mélodiques du catalogue Rephlex, puis qu’ils finiront par fusionner en retrouvant ce disque néerlandais qu’un faussaire fera passer pour antérieur à leur bibles respectives, et que ce nouvel ordre, installé dans les ruines sacrées des anciens locaux de Noos et Infonie, imposera jour et nuit ce culte de l’identique musical à tous les habitants de l’ancienne La Défense.

ÉTIENNE MINOU

Retour en grande forme des petits princes de l’electro-pop scandinave sur cet album qui enchaîne les pépites avec un allant non dissimulé, sans jamais perdre de son élégance caractéristique. La production, ample et accessible, donne une parfaite assise tant aux compositions ciselées d’August qu’à l’exquise mièvrerie de la voix de Kent (Neil Tennant n’est jamais loin), et sert à merveille les atmosphères claires-obscures qui hantent les morceaux les plus audacieux, comme « Marchin In » ou « Forever ». Une nouvelle sortie de très bon aloi pour l’équipe de chez Moshi Moshi Records, qui annonce d’ailleurs pour la suite plusieurs maxis de son duo fétiche, remplis à craquer d’inédits… Vite, une date de sortie !

Publicité

ÉTIENNE MINOU

MALE BONDING

Endless Now

Sub Pop

Vous pouvez rien faire contre un album qui vous fait penser au skateboard, à Dinosaur Jr. et aux vacances. C’est l’inverse de la métaphysique, c’est l’envers de la subtilité et ça défonce tellement qu’entre le moment où j’ai mis play et celui où j’ai écrit ces lignes j’ai eu à peu près 25 fois envie de revêtir une casquette.

HUBERT MENSCH

TOTAL BABES

Swimming Through Sunlight

Old Flam

Est-ce que c’est un brontosaure, un brachiosaure ou un diplodocus ? Ça fait 10 minutes que je me pose cette question à laquelle j’aurais su répondre tout de suite quand j’étais enfant. On avait de bons ­domaines d’expertise quand on était enfants. Alors que maintenant on s’attache à déterminer si la pop lo-fi ­blagueuse des mecs de Cloud Nothings ne serait pas un énième album qui longe le gouffre de l’esthétique Polaroïd d’une appli iPhone. Mais est-ce que ce dino s’en soucie, lui ? Non. Parce que ça fait des milliards d’années qu’il sait que la répétition n’est pas le défaut de ces albums, c’est leur principe : ils rappellent que la révolution de la Terre autour du Soleil finira (sauf astéroïde) par amener le retour perpétuel de l’été, des pics hormonaux, de la glace à l’eau et de la même pop lo-fi, et que l’innovation ça fait chier tout le monde.

KEVIN SPACED-OUT

COÏTUS INT.

Dead Excitement EP

Bunkerpop

À l’aube des années 1980, quand le monde était encore décimé par les usines, les chemins de fer et le tétanos, des Néerlandais se sont mis en tête de faire de la musique froide et distante comme les étoiles éteintes. Ils ont aussi décidé de s’appeler « coïtus international » en référence à la transmission de la mort par la transmission de la vie, et aussi parce que l’idée de piner à l’échelle globale les faisait déconner. Bunkerpop a eu la bonne idée de ressortir ce cinq titres des abîmes de la subculture batave, et c’est tout à fait ce que je voulais écouter sous ce gros ciel noir qui crache des petites gouttes d’eau mesquines. C’est du postpunk de coupe-vent.

Publicité

BASILE POLI

Ces deux Moscovites font exactement la musique que j’attendais de la part de deux fils souriants du Parti qui ont mangé de la viande chaque jour des vingt-deux dernières années de leur vie. Ils adorent la sincérité et l’alcool de patate, la déconne et les Ramones, mais il flotte comme une ondée de tristesse, une brise humide et froide qui imprègne l’ensemble de cette cassette pourtant dédiée à la sympathie universelle. Ce sentiment ineffable s’appelle l’Europe de l’Est, et tu dois faire avec, libéral de merde.

JIMMY MORE HELL

AMEN DUNES

Through Donkey Jaw

Sacred Bones

Damon McMahon a tendance à prendre des initiatives gênantes par leur sincérité – comme « s’isoler dans une cabane en forêt dans les Catskills pour enregistrer un album » ou « aller vivre en Chine » – qui pour nous autres platoniciens brouillent vite la frontière entre le Bien et le Chiant. Heureusement, sa cosmologie personnelle est plutôt à mi-chemin entre les présences spectrales qui détraquent les circuits électriques et les rituels d’extase des peuples primitifs, donc je vais me dispenser de lui appliquer les critères de jugement de la musique occidentale et le laisser faire tranquillement de belles chansons désincarnées et incantatoires qui me garantiront l’accès au monde des esprits au cas où SFR WiFi déconne.

JEAN YANNE CURTIS

SLEEPING BAG

Sleeping Bag

Joyful Noise

Il avait l’air de ne pas manger de pain ce groupe donc moi je convoque ma bonne volonté culturelle et tac, je lance l’album. Au bout d’un moment je me rends compte que j’écoute mais j’entends rien. Pourtant je me concentre, je hoche la tête sur les refrains, enfin je prends mon travail au sérieux hein mais je sens une angoisse physique qui monte, comme un petit acouphène, comme visiter le pavillon neuf d’anciens camarades de classe déjà installés dans la vie où les chambres ont chacune un « univers » décoratif aux tons assortis et se trouver saisi par un sentiment diffus d’horreur face à quelque chose de familier derrière lequel tu regardes une abysse qui te regarde aussi. À ce stade, le petit bruit désagréable est un hurlement continu et j’ai la nausée alors bon, désolé Sleeping Bag, vous voyez que j’ai deux ou trois problèmes à régler avant de pouvoir apprécier votre indie rock bon enfant.

Publicité

VENER HERZOG

THE BAND

IN HEAVEN

Seven Minutes

in Heaven

NorseKorea

PERSONA LA AVE

Throwaways

Persona La Ave

À force de vouloir ralentir la vitesse du monde pour la soumettre aux rythmes visqueux qui hantent les abysses de leur cerveau mélancolique, les musiciens neurasthéniques d’Internet vont finir par atteindre des vitesses négatives et régresser jusqu’à retrouver ce liquide amniotique maternel qu’ils n’ont jamais quitté qu’à leur corps défendant.

MARCO POLIO

FOOL’S GOLD

Leave No Trace

IAMSOUND/Sony

Non vous inquiétez pas vous n’en laisserez aucune.

DENNIS WHOPPER

ZOLA JESUS

Conatus

Sacred Bones

Comme tous les gens qui vont sur Pitchfork entre deux TD d’histoire de l’art utilisent l’adjectif baroque pour parler de Zola Jesus, et que Zola Jesus a elle-même pris l’initiative de placer son disque sous l’autorité du regretté Spinoza, je m’attendais à être happé par une fresque grandiose dans laquelle des métamorphoses mélodiques prendraient appui sur des rythmiques exubérantes pour donner son élan à une ode eschatologique chantant le mouvement perpétuel, les proportions abolies et la rédemption finale de l’homme au sein de la substance divine. Mais je me suis rendu compte que mon imagination venait de subir sa vingt-sixième défaite consécutive face au réel quand j’ai commencé à me demander quels étaient les trois meilleurs moyens pour se débarrasser d’une grosse bourge qui gémit en jouant du violoncelle.

Publicité

BAKHTINE AUBRY

Les théoriciens de microscène peuvent déceler toutes les influences qu’ils veulent mais moi ces grosses turbines ça me fait moins penser à de la dreampop qu’à

Fast & Furious

, ce qui confirme une fois de plus l’axiome selon lequel tout jeune shoegazer sensible devient d’autant plus déconneur que sa position spatiale se rapproche de cette zone entièrement régulée par l’argent et la tension sexuelle, à savoir la banlieue subtropicale de West Palm Beach.

JARVIS COKEHEAD

BALAM ACAB

Wander / Wonder

Tri Angle

L’Histoire est farceuse. En repoussant les limites de la chillwave et du raisonnable, ce petit mec de 19 ans – qui doit avoir la dégaine des figurants de

Juno

et qui est capable de déployer des routines argumentatives hyper affûtées au sujet d’une chronique injuste de Pitchfork ou d’un congrès du Tea Party – a voulu enregistrer l’album le plus blanc de tous les temps. Seulement il est allé tellement loin dans son syncrétisme chillwave/ witch house/ electronica baisée que son album sonne presque comme une tape instrumentale de Main Attrakionz ou Clams Casino, mais en moins bien. Ce mec a été l’instrument de sa propre mise à l’amende.

LADY DE NANTES

GROUPER

Water People / Moving Machine

Yellowelectric

Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu un disque aussi traître à chroniquer, je veux dire sérieusement, jeune fille, « Liz Harris alias Grouper », tu veux en venir où ? Tu sais très bien que je suis sensible aux meufs deep dans ton style, avec des airs d’elfe du Midwest, et qui jouent des arpèges gris-mauves vachement prenants sur le coup, et oui je vais peut-être d’abord me montrer aimant et dévoué, même si c’est pas exactement ça qui te plaît mais après, tu le sais, tôt ou tard, j’aurai envie de revenir à mes névroses de mec pseudo bien dans ses baskets qui doute confortablement, et de mettre Steely Dan ou Chic – et là franchement, on fera quoi ?

Publicité

DADDY MORILLES

MAPS AND DIAGRAMS

Get Lost

Time Released Sound

SUN ARAW

Ancient Romans

Sun Ark Records

J’ai toujours adoré Sun Araw mais jusque-là j’associais arbitrairement leur « position » à des fantasmes civilisationnels synonymes d’Ailleurs et d’Autre et d’aventure lente, comme le Sud-Est asiatique khmer ou le Congo de Conrad. Là ils parlent de nos ­ancêtres brillants devenus débiles, et ça me touche beaucoup. Ils ont raison Sun Araw de faire un sort à cette civilisation romaine surprise en pleine débâcle morale, travaillée de l’intérieur par de coupables dissidences, vautrée dans le stupre marchand, incapable de se défendre sans d’humiliantes alliances, et jetée en pâture à l’Histoire pour ses arts décadents, ses mœurs avachies, ses vertus piétinées, sa soumission à l’ordre libéral européen, aux forces dissolvantes du mondialisme triomphant, à d’odieuses cliques de banquiers et de profs rationalistes, et qui mérite de crever sous les éclats de rire des barbares.

MONSIEUR PROVOC

ZUN ZUN EGUI

Katang

Bella Union

Face à ce séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle du Grand Mix, je regrette que les philosophes qui étudient le rapport entre l’avènement de la technique et l’expérience de la guerre moderne fassent si peu de cas de l’éclairage que pourrait jeter sur leurs analyses une attention un peu plus sérieuse à ces shrapnels d’altérité que sont les musiques du monde. Le bon côté des choses, c’est que ça permettra sans doute à l’humanité d’oublier encore plus vite les quêtes assourdissantes et les trombes de guitares tapageuses de tous ces criards aventuriers de la cymbale perdue.

FÉLIX ATARI

C’est de la musique électronique contemplative qui prend son temps et prend des airs mais sans l’élément liquide, surf mélancolique de Fennesz et sans le côté âpre, le goût de terre en noir et blanc de Tim Hecker. C’est aussi chiant que les albums d’Alpha avec des chats sur la pochette quand j’étais au collège et que je m’ennuyais déjà. J’ai l’impression d’être en congé maladie et de tromper l’ennui en me promenant dans les allées d’arbustes à Truffaut. Ce disque, c’est la semaine des quatre mardis.

JULIEN CRACK