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Culture

Le Japon n’a rien à espérer de l’avenir, selon Ryu Murakami

J'ai rencontré Ryu Murakami pour discuter de l'influence américaine au Japon, de la jeunesse, de la violence, et de son nouveau roman.

Photos : Nico Perez

Ryu Murakami est l'un des auteurs japonais les plus connus et les plus controversés. Son premier roman, Bleu presque transparent, était un roman noir sur des jeunes Japonais désenchantés qui crament leur vie dans une spirale de drogues et de rock, dans l'ombre et sous l'influence d'une base militaire américaine. Ce livre, qu'il a écrit à l'âge de 24 ans, lui a valu le Prix Akutagawa, l'un des plus prestigieux prix littéraires du Japon, et la réputation de maître du roman noir et de la littérature violente dans son pays natal. Aujourd'hui âgé de 61 ans, Murakami continue de produire des travaux qui s'attaquent à la réalité d'une nation qui connaît une fracture grandissante, à travers les yeux de ses habitants les plus méprisés, les plus violents, et les plus marginalisés.

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Dans From the Fatherland with Love, [Hanto o Deyo, inédit en français] publié au Japon en 2005, Murakami place l’intrigue à un niveau international. Ce roman dépeint un Japon ravagé par un cataclysme économique, abandonné par la communauté internationale et sur le point d'être envahi par la Corée du Nord. Alors que le gouvernement nippon, anxieux, se demande comment faire face à cette situation, un groupe de jeunes sanguinaires, sataniques et totalement immoraux décide de se débrouiller seul pour combattre le régime nord-coréen.

J'ai rencontré Ryu Murakami pour discuter de l'influence américaine au Japon, de la jeunesse, de la violence, et de son nouveau roman.

VICE : Depuis votre premier roman, Bleu presque transparent, la présence américaine au Japon a été un thème récurrent dans vos travaux. Selon vous, c'est une influence négative ?
Ryu Murakami : J'ai grandi dans une base militaire américaine, ça a certainement eu une grande influence sur l'écriture du roman. Mais cette influence n'est pas complètement négative. Évidemment, le Japon a perdu la guerre, et du coup, les gens d’ici ont l'impression que c'est par la force qu'on nous a fait entrer en démocratie et qu'on nous a fait avaler des pans entiers de la culture américaine. Ma génération a aimé certains aspects de l'influence américaine, mais il y en a d'autres qu'elle a détestés. Nous avons également bien mieux compris la complexité et la diversité de la culture américaine que la génération précédente.

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Votre livre donne l'impression que l'arrivée soudaine de la culture américaine et de la contreculture ont créé un vide dans la mentalité collective traditionnelle japonaise. Et beaucoup de vos personnages semblent sombrer dans ce vide.
À mon sens, c'est une excellente interprétation de ce qui s'est passé. Le problème, c'est que quand on regarde le système sociopolitique japonais, le collectif est toujours plus important que la minorité ou que l'individu. Il est très rare, mis à part quelques cas très particuliers, que l'individu soit considéré comme important.

Pourquoi les gens ne peuvent-ils faire les deux ? Vivre comme des individus au sein d'une communauté ?
Parce que les gens qui s'y essaient finissent par devenir marginaux.

Les marginaux sont des personnages centraux dans beaucoup de vos travaux. Mais la majorité de ces personnages sont devenus marginaux parce que les circonstances les empêchaient de vivre comme tout le monde. La marginalité n'était pas un choix volontaire de leur part.
Beaucoup de gens veulent exister et vivre en tant qu'individus, et c'est aussi mon cas. Pour ce faire, on peut opter pour ne pas travailler dans des entreprises traditionnelles, ne pas faire ce qu'on attend de nous en tant que membres de la société. Le plus souvent, ça rend la vie plus difficile. À travers ces gens qui sont exclus de la société par leur histoire ou par un concours de circonstances, il m'est plus facile d'écrire et de décrire à quel point il est difficile de vivre cette vie.

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Ça me rappelle une lettre qu'une jeune fille m'avait envoyée. Elle s'était disputée avec ses parents parce qu'elle rêvait de faire carrière dans la confiserie, et elle avait décidé de fuguer. Au milieu de nulle part, en attendant un bus, elle lisait un de mes livres et elle a ressenti un regain de courage en voyant qu'elle n'était pas un cas isolé et qu'il y avait d'autres marginaux comme elle, d'autres gens inadaptés à la société. Les réactions et les anecdotes comme celle-ci me rendent vraiment heureux.

Dans Les bébés de la consigne automatique, les personnages portent un fardeau qui vient de leur abandon, lorsqu'ils étaient bébés, et ce fardeau devient une rancune envers le monde qui les entoure et une envie de tout détruire. Vous avez en vous ce nihilisme ?
J'ai aussi des problèmes avec le monde qui m'entoure. Parmi ces gens qui ont souffert dans leur jeunesse, les créatifs sauront peut-être canaliser cette colère ou cette énergie destructrice par le biais de l'écriture ou de la musique. Dans le cas contraire, ils se tourneront probablement vers la violence, voire le terrorisme. Si l'énergie destructrice s'accompagne d'une sorte de morale, ça peut déboucher sur une révolution.

Les émeutes de Londres, en 2011, étaient un exemple de cette jeunesse frustrée qui explose spontanément dans une rébellion désorganisée et destructrice. Pensez-vous que quelque chose comme ça pourrait jamais arriver au Japon ?
Ça me paraît très peu probable. Le Japon devient de plus en plus docile, et j'ignore pourquoi. Peut-être que les gens croient que, quoi qu'ils fassent, ça ne changera rien. Pourtant, ce genre d’événements arrive tout le temps en Europe !

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Dans votre nouveau livre From the Fatherland with Love, le gang de Ishihara, des adolescents sanguinaires, inadaptés et marginalisés, ont tous des histoires horribles et un désir fou de violence. Même s'ils finissent par combattre les Coréens du Nord, leur première réaction est de se ranger de leur côté pour combattre le Japon. Pourquoi ?
Normalement, on aurait dû envoyer James Bond pour combattre les Coréens du Nord, mais je ne voulais pas écrire ce genre de livre. Je l'ai construit de façon à ce que les gens dont cette société veut se débarrasser soient ceux qui la sauvent. Pour créer ces jeunes, je me suis inspiré de Aum Shinrikyō, la secte japonaise responsable de l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo. Cette secte comptait beaucoup d'enfants innocents dans ses rangs. Quand ils ont grandi, ces enfants ont eu beaucoup de mal à s'insérer dans la société à cause de leur passé. J'ai pensé à ce qu'ils avaient pu ressentir en grandissant. N'auraient-ils pas développé une rancune contre la société qui ne les a pas acceptés ?

D'après vous, comment le Japon réagirait-il aujourd'hui si la Corée du Nord lançait une invasion ?
Ce n'est pas une situation réaliste, mais si ça arrivait, je crois que le Japon serait incapable de réagir, complètement démuni. S'ils attaquaient Guam, par exemple, là, les États-Unis réagiraient. S'ils s'attaquaient à la Corée du Sud, Séoul serait à feu et à sang, mais là encore, il y aurait des représailles. Mais s'ils bombardaient une île japonaise inhabitée, ni les États-Unis ni la Corée du Sud ne bougeraient le petit doigt, et je ne crois pas que le Japon pourrait régler le problème seul.

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Il y a une phrase dans le roman qui dit très simplement : « Le Japon n'a rien à espérer de l'avenir. » Pensez-vous que c'est vrai ?
C'est une question drôlement difficile. Le Japon est de plus en plus divers, et dans cette diversité, il y a ceux qui peuvent se tourner vers l'avenir, et ceux qui ne peuvent pas. Aujourd'hui, il est plus difficile qu'hier de vivre et de trouver un travail.

Comment voyez-vous l'avenir de la jeunesse japonaise ?
Très sombre.

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