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Drogue

Scarabée vole toujours

L'histoire du Français arrêté en possession de 25 kg de weed et 100 grammes de coke quelque part en Belgique - et toujours en cavale.

Scarabée, chez lui à East London, au mois de juillet 2014. Ça fait six ans qu'il est recherché par la police française pour trafic de stupéfiants.

Une nuit de septembre 2008, Scarabée et Max* rentrent une nouvelle fois d'Amsterdam, capitale des Pays-Bas. Bifurquant tous deux sur les autoroutes A1, E17, E19, A27, A2 et A10 qui relient Amsterdam à Paris, ils roulent, chacun dans une caisse séparée, plus paisiblement encore que d'habitude. Ils dépassent sans entrave la frontière belge. Scarabée, l'autoproclamé prince des go-slow - l'inverse des go-fast, ces transports de drogue en berline rapide - suit son compère au volant d'une Polo de location avec 25 kg d'herbe (15 kg de white widow, 10 kg de G13) et 100 grammes de coke sur lui. L'autoradio tourne. Il joue du rap américain à moyen volume. Comme d'habitude.

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Sur l'autoroute, Scarabée et celui qu'il appelle son ouvreuse veillent à maintenir une distance de 20 kilomètres entre leurs véhicules. Celle-ci permettrait, si jamais l'affaire tournait mal, à la voiture de Scarabée de quitter l'autoroute et de rejoindre les départementales alentour, moins surveillées. Ils communiquent par téléphones interposés tous les quarts d'heure.

« Il était 2 h 30 », Scarabée se souvient. Max est toujours loin devant. Il n'a pas conscience de ce qui est en train de se passer 20 km dans son dos. « Aux alentours de Gand, en région Flamande, un véhicule de la police belge est apparu de nulle part. Les flics m'ont interpellé et demandé de me ranger sur la voie de secours. » Scarabée obtempère et arrête le véhicule. Vite, les policiers fouillent la voiture. « Au début, ils ne trouvaient rien. Ils ont regardé la carte grise, pour vérifier le poids de la caisse. Puis, ils ont pesé la voiture à vide sur une espèce d'énorme balance. Il y avait 26 kg de surplus. Alors, ils ont démantelé la caisse pièce après pièce. Et ils ont trouvé la dope. » Ç'en était fini de Scarabée.

Au mois de juillet 2014, je suis pourtant en train de parler avec lui sur Skype, et il m'énumère tous les détails de l'arrestation qui aurait dû lui coûter plusieurs années de sa vie. Il me fait visiter son appartement via sa webcam. « On est quelque part dans East London. C'est ici que je vis avec ma copine », commente-t-il. Il est plutôt anxieux, mais souriant. Il a réchappé à presque quatre ans de prison ferme. Ce jeune homme de 27 ans au teint diaphane est loin de ressembler au hors-la-loi traditionnel. Ce n'est que lorsqu'il fouille dans son passé que le voyou en lui resurgit.

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Je l'ai rencontré en 2007 à Paris, de la même manière que beaucoup d'autres connaissances : en soirées, au cours desquelles nous avons partagé quelques discussions sous alcool. Au fil de nos rencontres, je m'étais rendu compte d'un truc : ni moi, ni personne alentour ne connaissait son nom. Pour l'appeler, tout le monde se servait d'un seul et même sobriquet : Scarabée.

En me renseignant auprès de quelques amis communs, j'ai vite compris pourquoi. Le job de Scarabée était l'un de ceux sur lesquels il valait mieux ne pas s'étendre. Il était transporteur-grossiste. C'est-à-dire qu'il parcourait des centaines de kilomètres dans une voiture de location dont le coffre était systématiquement rempli de drogues. Entre 2005 et 2008, selon ses estimations, il aurait déplacé entre 2 et 2,5 tonnes de résine de cannabis, herbe et cocaïne confondues.

Un sachet appartenant à Scarabée contenant plusieurs champignons hallucinogènes destinés à la vente, 2014. 

L'appartement dans lequel vit Scarabée aujourd'hui est neutre. Il s'agit plutôt d'un refuge. Le papier peint blanc est orné d'un seul poster, collé là pour combler le vide. Scarabée est assis dans un vieux fauteuil et tire frénétiquement sur sa cigarette.

Il est né en 1986 en Guyane française, de parents métropolitains. À 14 ans, dans la brousse amazonienne, il monte de petites arnaques pour se faire de l'argent de poche - jeux de cartes truqués, revente de téléphones volés. À l'âge de 16 ans, c'est la liberté qu'il s'achète en acquérant sa première moto. Amateur de mécanique, il retape et revend plusieurs motos et se procure vite une coquette somme d'argent. Deux ans plus tard, il part finalement travailler dans un garage automobile à Cayenne, chef-lieu du département, qu'il quitte après son bac, à 18 ans.

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En 2004, il abandonne l'outre-mer pour entamer des études d'économie à la faculté de Paris-Sud, dans l'Essonne. À peine arrivé, il lâche les cours. « Entre le RER, la cage qui me servait d'appartement et le froid de novembre en métropole, j'ai fini par ne plus vouloir descendre dans la rue. » Son acclimatation à la vie parisienne est difficile. Il est embauché en tant que mécano dans un garage de Saint-Denis. C'est là qu'il fait la connaissance de Max.

Max a le même âge que Scarabée - 19 ans à l'époque, et vit dans la banlieue nord de Paris depuis toujours. Le soir, il vend de la weed à des connaissances. Tous deux ont une idée en tête.

Tandis qu'ils se retrouvent pour fumer des joints, ils s'amusent à imaginer toutes les façons de dissimuler de la drogue dans une voiture. « On se disait : "On peut cacher quelques kilos dans la carrosserie. Puis d'autres dans la roue de secours, etc." » Ce qui n'était au départ qu'une simple blague devient vite une affaire sérieuse. De par son autre job, Max possède plusieurs connexions solides dans le business des stupéfiants. Un ami basé à Angers leur file quelques cours sur ce qu'il appelle le transport. Lui est branché go-fast. « Il nous a dit : "C'est un business lucratif, mais très risqué." C'est ce qu'on cherchait. »

Ils commencent à faire leurs premiers allers et retours entre Amsterdam et Paris à 220 km/h, la roue de secours pleine d'herbe. « La première fois que j'ai fait un go-fast, la dose d'adrénaline était si puissante qu'une fois arrivé, je me suis effondré. Je suis resté une demi-heure sur le sol de mon appartement, presque en lévitation. »

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Au bout du troisième essai en quatre mois, Scarabée se fait arrêter par la police belge pour excès de vitesse. « Je me suis fait pécho sur l'autoroute avec une plaque d'immatriculation française. Heureusement, j'avais un bon scénario. Je roulais avec trois gros sacs ; j'ai dit que je venais de rompre avec ma meuf et que je rentrais sur Paris. Ils m'ont laissé filer avec une grosse amende, sans contrôler la caisse, ni mon caleçon rempli de coke. »

Plusieurs kilos d'herbe en bocaux vendus avant l'arrestation de Scarabée, 2007.

À la suite de cette histoire, Scarabée comprend que la vitesse n'est pas le meilleur moyen d'échapper à l'ire des policiers motorisés. La meilleure solution, c'est de faire profil bas et appuyer sur l'accélérateur uniquement s'il prend du retard sur la voiture de Max - le véhicule propre. Son rythme de croisière est ainsi passé de 200 à 110 km/h. Il se spécialise dans le « go-slow », technique qui consiste à transporter des produits stupéfiants sans se presser en prenant si besoin des routes secondaires. À compter d'avril 2006, Scarabée fait un aller et retour Paris-Amsterdam toutes les deux semaines, vers 1h du matin.

« C'est l'heure où l'on comptait le moins de contrôles douaniers dans les deux zones les plus tendues : les péages à proximité de Paris et le péage de Lille. Ensuite, on passait la frontière belge par des villages du Nord-Pas-de-Calais - jamais par les anciennes frontières. Les stups ne sont jamais là-bas », m'a-t-il précisé.

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Arrivés à Amsterdam, Scarabée et Max rencontraient leur contact, un Néerlandais propriétaire d'un coffee-shop. Le contact plaçait l'herbe compressée et les autres produits dans le coffre. Scarabée et son adjudant planquaient ensuite les kilos à l'intérieur des pare-chocs, dans la carrosserie et derrière la roue de secours. Les deux compères remettaient 35 000 euros en liquide au Néerlandais. L'opération durait moins d'une heure. Puis ils reprenaient la route dans l'autre sens. Jusqu'à cette nuit de 2008.

Après deux jours de garde à vue en Belgique, Scarabée a été mis en examen en France pour trafic de drogue. Quelques jours plus tard, il recevait une notice de mandat d'arrêt, lui stipulant qu'il devait se présenter dans les 24 heures devant un juge d'instruction.

Sauf qu'au lieu de se rendre à la justice, Scarabée, encore sous le choc, choisit de quitter le territoire. « Il fallait que je tente le tout pour le tout. Du coup, j'ai décidé de me tirer. J'ai reçu ma peine par contumace - 40 mois de prison ferme. »

Au volant de la voiture de Max, Scarabée revient aux Pays-Bas et se fait héberger par un ami pendant une semaine. Disposant de 15 000 euros en liquide, il achète de faux papiers à un faussaire rencontré un an auparavant. Il doit débourser 3 500 euros pour un passeport et 500 pour un permis de conduire. Il reste finalement six mois entre Amsterdam et Alkmaar, un peu plus au nord. Ses économies bien entamées, il part en direction d'Aarau, en Suisse. « Je voulais me retrouver au calme. La cavale, ça entame le moral. » Finalement il y reste un an et demi. Fin 2010, il décide de rejoindre sa copine installée à Londres.

Ça fait bientôt quatre ans que Scarabée est en cavale, bien caché dans son appartement vide de la banlieue de Londres. Il ne sait pas si Interpol le recherche. Il attend le moment fatidique, qui ne viendra peut-être pas. « On n'arrête jamais de jouer à un jeu tant qu'on gagne. La fin doit toujours venir d'une force extérieure. C'est peut-être pour ça que je continue. » En 2014, dans un autre pays, Scarabée deale du cannabis et des champignons hallucinogènes - à une échelle bien moindre qu'à Paris six ans auparavant - pour arrondir ses fins de mois.

* Les noms ont été changés.

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