Sebastian Meyer a fondé la première agence photo d'Irak

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Sebastian Meyer a fondé la première agence photo d'Irak

Comment créer un réseau de grands reporters au milieu des bombes et du sang.

Sebastian Meyer est un photographe américain qui a quitté le pays pour s’installer en Irak en 2009, où il a fondé avec son collègue Kamaran Najm la première agence photo du pays, Metrography. 60 photographes travaillent pour eux, et Metrography est devenue un vrai vivier de talents locaux, dans un pays qui a souffert de la guerre et de dizaines d'autres conflits internes au cours des dernières décennies. Sebastian a couvert des conflits en Irak, Afghanistan, et en Libye, et a été récompensé pour son travail en de multiples occasions. Il a notamment remporté un Exposure Award – catégorie Documentaire et Photojournalisme – pour ses photos en Libye, et l'année dernière, il a été élu Révélation 2011 par la fondation Magenta. Sebastian a pu se libérer quelques instants pour nous parler de son agence, de la vie en Irak, et nous expliquer comment éviter de se prendre un obus de mortier dans la tronche lors de notre prochain voyage en Libye.

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VICE : Commençons par la Libye. Qu’est-ce qui t’a amené là-bas ?

Sebastian Meyer : Pendant la révolution égyptienne, j’étais en reportage, coincé à Bagdad, et c’était très frustrant. Je me levais tous les jours à cinq heures du matin, et j’allais shooter toute la journée. Le soir, je rentrais chez moi, et je regardais ce qui s’était passé pendant la journée sur Al-Jazeera. J'avais vraiment envie d'être là-bas, mais je devais respecter mon engagement. Quand j’en ai eu fini, Moubarak était déjà tombé, mais la révolution en Libye était en marche. J’ai immédiatement quitté Bagdad, et j’ai filé droit vers Souleimaniye, la ville irakienne où j’habite. J’ai récupéré les 7000 dollars en cash d’un reportage que j’avais fait en Janvier, planqués dans une vieille chaussette, et j’ai sauté dans le premier avion pour Le Caire. Là-bas, j’ai rencontré les gars du Washington Post, et on est partis tous ensemble en Libye.

Combien de temps es-tu resté là-bas ?

En tout, j’y suis resté un mois et demi. Je voulais y rester plus longtemps, mais j’avais une conférence à donner dans le Minnesota au début du moi de Mai. J’ai pensé à annuler, mais je suis quand même parti, et honnêtement, je crois que j’ai pris la bonne décision. J’étais très fatigué, au bout du rouleau. La révolution libyenne a été une expérience incroyable. La façon dont la révolte a explosé, le déroulement des événements… Tout était fascinant, et ça a réussi à intéresser la Terre entière. C’était aussi très dangereux, et j’ai failli y rester à plusieurs reprises.

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Quelle est la situation la plus dangereuse que tu as vécu en Libye ?

C'était à Misrata, alors que j'étais en première ligne. Je suivais une équipe d’ambulanciers, et on était constamment sous une pluie de roquettes, d’obus, et de bombes à fragmentation. Le boulot des ambulanciers était de rester en alerte – on pouvait avoir besoin d’eux à tout moment. Dans ces moments là, on restait assis à attendre alors que les bombes pleuvaient autour de nous. Il n’y avait rien a photographier, rien à faire, rien pour m’occuper, pour me changer les idées. On devait juste attendre que ça passe.

Les 60 photographes de Metrography sont-ils publiés dans les grandes revues occidentales ? D’où viennent-ils, et comment se sont-ils mis à la photo ?

Seulement une dizaine de nos photographes ont un niveau suffisamment professionnel pour être publiés dans des grandes revues. Tous viennent d’horizons assez différents : certains sont des fils de photographes, d’autres sont amateurs. La plupart ont commencé à bosser pour les infos durant la guerre. On a quelques photographes qui ont fait les Beaux-Arts. La plupart des plus jeunes sont des réfugiés, et les plus vieux sont souvent des vétérans de la guerre entre l'Iran et l'Irak. Nos photographes viennent de tous les horizons, et chacun d'entre eux possède sa propre histoire.

Comment as-tu rencontré ces photographes ?

Par le bouche-à-oreille. Tous les journalistes se connaissent, donc ça a été facile de les contacter puis de les recruter. Mais parfois, ça a été moins simple, surtout dans les régions les plus dangereuses, comme Anbar, Mosul, ou d’autres zones du Sud. Les femmes photographes étaient aussi très difficiles à trouver.

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Combien de femmes photographes font partie de l’agence ?

On en compte deux, et elles sont toutes les deux très bonnes. Julie Adnan a été publiée dans le National Geographic. Julie et Binar ont un univers assez unique. Premièrement, elles peuvent se faire accepter par les 50 pour cent de la population iraqienne que nous hommes, ne pouvons atteindre. Deuxièmement, elles ont tendance à intimider les hommes, juste parce que ce sont des femmes. Elles ont un pouvoir désarmant, et ça se ressent sur leurs photos. Elles dégagent généralement plus d’intimité dans leurs photos que les hommes.

Quels obstacles t'ont fait face quotidiennement ? J'imagine que tu devais te tenir sur tes gardes à chaque instant.

Le plus dur, c’est la paranoïa qu’ont les gens à propos des journalistes - et surtout des photographes, ou vidéastes. Le gouvernement est parano, la police est parano, même le citoyen lambda est parano. On passe beaucoup de temps à caresser les gens dans le sens du poil, juste pour pouvoir prendre une simple photo. Au niveau de la sécurité, j’habite dans le nord du pays, qui est assez calme. En revanche, certaines régions du sud sont particulièrement dangereuses. Donc oui, nous sommes obligés de faire attention à nous quand on se rend dans ces régions. Ceci dit, j’arrive à me faire passer pour un Kurde sans trop de problèmes, ce qui m’évite d’attirer l’attention. J’arrive à passer suffisamment inaperçu pour éviter d’être pris pour cible, donc je ne me fais pas trop de soucis.

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Est-ce que financièrement, c'est plus intéressant pour toi depuis que les médias ont quitté l’Irak ? Ou au contraire, est-ce que tout le monde s’en fout de l’Irak maintenant que la guerre est finie ?

Je dirais que l’Irak fait moins la une de l’actualité depuis que l’armée américaine s'est retirée. En plus, le public est fatigué d'assister à cette vague sans fin d’attentats et autres faits divers horribles. C’est devenu plus dur de vendre des reportages, c’est certain. Mais comme tu dis, il n’y a presque plus de journaux irakiens. La concurrence n’est pas rude. Pour être honnête, je n’ai pas déménagé là-bas pour les affaires, même si ça a bien marché ; c'est plutôt parce que j’ai toujours trouvé cet endroit fascinant.

OK, et qu’est-ce qui y est si fascinant ?

Le côté dur, extrême. Tout est grand, énorme, et petit, invisible à la fois. Il n’y a pas vraiment de place pour les compromis. Rajoute le fait que l’Histoire y vit toujours, comme au présent, et tu obtiens un endroit remarquable.

Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

En ce moment, au nord, les Kurdes sont en train de créer leur propre état, ce dont ils rêvaient depuis des siècles. Au sud, les Sunnites et les Chiites se battent depuis 1500 ans, comme si on était encore au VIIème siècle. Je pourrais évidemment parler des autres religions, de l’hospitalité légendaire des irakiens, de leur calme, alors qu’il risquent leur vie tous les jours. Puis leur musique, le pétrole, la structure tribale de la société… Tout ça forme l’endroit le plus riche en histoires – et articles potentiels – que l’on puisse trouver.

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Tu penses rester en Irak lorsque le pays sera stable ?

Je ne sais pas. Quand le pays sera stable, on aura sans doute plus de contrats professionnels, et ça peut faire pencher la balance. Istanbul et Le Caire sont deux carrefours où de nombreux journalistes sont basés. Peut-être que les gens s'installeront à Bagdad bientôt.

Tes enregistrements audio du front permettent au public de mieux comprendre, et même de vivre la photo. Penses-tu que ceci soit important, à une époque où les gens ont tendance à être désensibilisés par les journaux et Internet ?

Évidemment. J’essaye de repenser un peu la photographie de guerre. Je ne crois pas qu’une image immobile soit assez puissante pour faire ressentir une scène de guerre. Si une photographie de guerre n’arrive pas à effrayer le public, alors elle est ratée. J’ai l’impression que nous sommes devenus indifférents aux photos de guerre, et c’est mon boulot, en tant que journaliste, de pousser les gens à oublier cette indifférence. Rajouter du son, je pense que c’est une sorte d’expérience.

Mais ne crains-tu pas que cela puisse brouiller ton message, en tant que photographe ?

Mes enregistrements sont de très mauvaise qualité, n’importe quel amateur vous le dirait. Je ne peux pas faire les deux, prendre des photos et enregistrer. J’ai juste accroché un enregistreur sur ma hanche, et je suis allé prendre des photos. Dans un monde meilleur, j’aurais un journaliste radio qui travaillerait avec moi, et on ferait des choses merveilleuses.

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Comment vois-tu le déclin du photojournalisme, notamment avec l’arrivée du matériel professionnel à prix réduit ?

Je n’étais pas là à la « grande époque » du photojournalisme. Je pense que le métier était déjà sur le déclin quand j’ai commencé. Je ne crois pas forcément que ce soit la faute à la démocratisation des appareils professionnels, même si je pense que ça a joué. J’ai l’impression que les photos ont perdu de leur valeur à cause d’Internet. Les photographies sont indispensables aux journaux ou aux magazines, mais pour un articleonline, pourquoi n’ajouter qu’une image ? Pourquoi ne pas mettre de vidéo ? Prends le site de la BBC, par exemple. Il y a encore trois ans, chaque article était accompagné d’une photo. Aujourd’hui, il y a toujours une petite vidéo pour mettre l'article en contexte.

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